1
Il
faisait si froid, je me suis réveillée. J’ai d’abord vu les étoiles, puis en
baissant les yeux, un peu de braise du feu éteint. C’était sûrement l’absence
de chaleur qui m’avait réveillée et d’ailleurs, je ne sentais rien non plus à
mes côtés, alors que Lucas aurait dû être là. Sans bouger, je le cherchais un
peu des yeux. Je ne vis que des masses informes, comme la mienne sûrement,
étendues, posées comme une rosace autour du feu. Tout était silencieux
maintenant. Nous étions si joyeux hier soir, malgré la nuit, malgré le froid.
Nous avions ri, nous avions chanté et beaucoup bavardé. Le repas, lui, laissait
à désirer vu que tout était froid et mou. Drôle de réveillon et de nouvelle
année. Une idée de garçon, ça, aller à moitié camper sur les rochers et les
cailloux du Cap Creus en hiver… Ne restait maintenant que le côté idiot de
cette équipée : dormir à ciel ouvert, en plein mois de décembre, juste
parce-que les indépendantistes vouaient depuis quelques décennies, au premier
lever de soleil de l’année, une sorte d’hommage, de culte, de sacrifice… Oui,
c’était presque un sacrifice que venir ici admirer le lever frileux du soleil, qui
pourtant se levait chaque jour de la même façon partout… Mais Lucas avait été
convaincant, comme toujours. Il voulait avoir fait ça, et puis ça serait
tellement important pour lui de faire savoir à tous nos fans, à tous ceux qui
nous suivaient, qu’on y était tous les deux, ensemble !! Dans les quelques
mille photos qu’il avait prises hier au cours de notre soirée feu de bois, il y
en aurait bien une ou deux de réussies. En pensant à la future première page de
l’année que Lucas ne manquerait pas de publier sur Facebook dès notre retour,
je me suis rendormie. A mon deuxième réveil, au jour à peine naissant, Lucas
était à côté de moi. Je ne pensais plus à la nuit et me rapprochais un peu
plus. On aurait sûrement été mieux
dans la voiture, au petit matin. Mais la veille au soir, faire la fête à 5 dans
une Clio, ça aurait été moins top. On commençait à entendre le ronronnement des
voitures qui montaient, elles-aussi, sacrifier au rite. Je n’avais pas envie de
bouger, pas envie de mettre autre chose que le nez dehors. Dans mon duvet, il
faisait presque chaud. Mais les autres se sont réveillés aussi, se sont mis à
parler, quelqu’un a rallumé le feu, un autre disant qu’on allait être pris par
les gardiens, qui surveillaient à la jumelle, justement, les bords de plage et
les signes de campement sauvage. Dans combien de temps se lève le soleil, ai-je
demandé. Une heure maximum. Bon, ça me laissait le temps de me réveiller
complètement. Les garçons étaient debout, ils buvaient quelque chose, sûrement
les restes d’alcool de la veille.
J’ai demandé qui viendrait avec moi jusqu’au phare, histoire de pouvoir
boire, gratis, une tasse de chocolat chaud, préparé et distribué par
l’association Catalogne indépendante, à tous ceux qui seraient présents encore ce
1er jour de l’année, puis, pourquoi pas, esquisser quelques pas de
sardane. Mais personne n’a répondu oui, trop loin, trop de marche dans la nuit
et le froid. Tant pis, je me contentais d’un peu d’eau, un biscuit. Je
m’éloignais juste un peu pour m’accroupir, puis je m’approchais du clapotis de
l’eau, passais un peu de mer sur mon visage, brr, enlevais mon bonnet et
laissais se dérouler mes longs cheveux dont j’étais si fière. Et que Lucas
aimait tant. On a quand même décidé de monter sur les rochers les plus proches
pour regarder le rougeoiement attendu.
2
Il
faisait tellement chaud dans cette chambre d’hôtel. Même en laissant la fenêtre
entrouverte, on se serait cru dans une clinique. Tiens, d’ailleurs, en y
réfléchissant, c’est vrai qu’il faisait penser à une ancienne clinique
reconvertie : des portes de chambre assez larges pour laisser passer des lits
d’hôpital et leur équipement, des couloirs immenses, une odeur indéfinissable. J’avais
à peine entendu les fêtards du réveillon se coucher après un bon petit
gueuleton dans l’un des 4 restaurants ouverts, à la porte desquels on avait
vainement frappé la veille. Je m’étais vite rendormi, il fallait se lever tôt, pourtant
on était plutôt bien, là, tous les deux. Je voulais me rapprocher de Lucie, de son
corps chaud, presque moite. Mais
il n’y avait personne. Un bruit d’eau dans la salle de bains me fit comprendre
qu’elle s’était levée. Un coup d’œil sur le portable : encore une demi heure de
cette tiédeur écoeurante à laquelle finalement je m’habituais presque. Pas de
fête hier soir, pas de flonflons, bah, quelle importance, j’ai jamais aimé cette
ambiance de cotillons, je ne suis pas du genre bon vivant. J’aurais quand même
mieux aimé autre chose que des churros mal refroidis pour dîner mais faute de
grives, n’est-ce pas… J’ai sursauté en même temps que Lucie lorsque le bip bip
nous a réveillés tous les deux une seconde fois. Ce coup-ci, fallait pas se
rendormir. Le premier jour de
l’année, aller voir le lever du soleil au phare du Cap Creus ! C’était bien une
idée de fille ! Seul le chocolat chaud a
la taza promis sur l’affiche pour tous ceux qui seraient présents m’avait
convaincu, et puis lui faire plaisir, être avec elle, c’était déjà suffisant.
Je passais ma main dans ses cheveux courts, ébouriffés comme chaque matin, puis
un baiser, se lever, s’habiller et sortir dans le froid bleuté. Pourquoi se
chercher des souvenirs, des moments spéciaux à vivre ensemble ? Je préfère
ne rien penser et me laisser conduire sur la route du phare. On y croise
d’autres futurs indépendantistes, en voiture ou à pied, emmitouflés comme nous.
La route est finalement assez longue, mais on arrive à se garer pas trop loin,
sans savoir qu’on sera content tout à l’heure de s’être mis dans le sens du
départ, sans demi tour à faire, impossible dans la file véhiculaire et
piétonnière… Je dors encore à moitié et me demande comment on aura le courage
d’aller marcher, comme prévu après, quelques kilomètres dans ces rochers
reconvertis. On monte jusqu’au phare, enveloppé de nuit, il n’y a pas grand
monde. On grimpe jusqu’au bistrot, seul endroit éclairé. On rentre ? Je
reconnais dès les premières notes Deep Purple. Ici ils ont apparemment tenu le
coup toute la nuit, en musique et en chansons. On arrive à s’asseoir tout au
fond, avec nos chocolats chauds à 2 euros. On les savoure à petites gorgées,
c’est toujours mieux que dehors où il fait encore froid. On doit attendre au
moins une demi-heure, autant la passer à écouter de la bonne musique. Il y a un
petit vieux qui doit venir chaque année depuis qu’il a trente ans, il y a des
couples d’âge mûr, des plus jeunes. C’est marrant, on dirait une fête de
famille sans famille. Hélas, au bout de quelques morceaux, la musique s’étiole,
c’est plus du rock, c’est du traditionnel catalan ou autre, en tout cas, c’est
pas terrible. Une lumière blafarde apparaît dehors, alors on se décide à
sortir. On s’approche du bord, là où les rochers commencent leur descente vers
la mer, là où on verra le mieux le disque jaune amorcer sa montée.
3
Une
fois les premiers rayons enfin sortis de la mer, mes os ont commencé à se
dégeler. Il fallait qu’on bouge,
pour éviter d’être transis. On a tout rangé, un peu en vrac dans les sacs à
dos. Lucas était un peu absent, fatigué sûrement ? On est monté au parking
pour laisser les sacs dans la voiture, puis on s’est quand même un peu baladés
le long de la côte, sur les cailloux, en dehors du chemin quelque peu bétonné
censé faire passer les touristes devant les rochers aux formes étranges qui
auraient inspiré Dali. On était passé à Port Lligat la veille en arrivant, mais
il fallait réserver pour visiter alors on a abandonné. D’ailleurs la maison ne
payait pas de mine, même si la crique, elle, était vraiment très jolie, inaccessible
et bleutée, avec quelques voiles blanches au repos. On vit de rien ici,
sûrement. On a fait quelques tours et détours, le long des sentiers mais le
cœur n’y était plus. Tout en haut, Lucas a pris des photos, quelques touristes
se promenaient déjà, encore emmitouflés dans la lueur des premiers rayons. Regardez
celle-là nous criait-il, on dirait un extraterrestre qui descend de sa
soucoupe !! C’est vrai que les gens étaient drôlement habillés, avec des
combinaisons de ski et des bonnets qu’ils n’allaient pas tarder à enlever. Peut-être
venaient-ils du phare ? Ils avaient donc quelque chose dans le ventre,
contrairement à nous. On est redescendu près de la mer pour s’amuser près de
l’eau. Mais tout le monde était fatigué, on sentait une certaine lassitude et
l’énervement dû au manque de sommeil a fait le reste. L’un des garçons a
commencé à chicaner Manuela, qui n’a d’abord rien dit puis lui a demandé de la
laisser tranquille. Il a insisté un peu gauchement alors Lucas a démarré aussi
sec en prenant la défense de Manuela, qui d’habitude n’a besoin de personne. Je
n’ai rien dit, j’étais fatiguée moi aussi. Il y a eu une prise de bec entre les
garçons, pour rien, ils se sont presque battus, ou c’était pour faire
semblant ? Ils ont bien fait semblant, se sont empoignés et un peu
bousculés. En tout cas on a décidé de repartir tout de suite, sans attendre que
ça dégénère complètement. Les lendemains de fête sont toujours déprimants.
Lucas a pris le volant d’un air bougon, les trois autres derrière, entassés mais
chacun dans son coin. Manuela n’a pas tardé à s’endormir et j’ai bien peur d’en
avoir fait autant. Ce n’est qu’en arrivant à Girona, chez nous, que je me suis
réveillée en entendant Lucas pester contre lui-même : non mais quel
con ! J’ai oublié l’appareil photo là-bas et je ne m’en rends compte que
maintenant ! Même plus la peine d’y retourner, c’est sûr, quelqu’un l’a
trouvé et l’a embarqué ! Aussi, si l’autre ne m’avait pas énervé, là, avec
ses conneries de gros lourd, j’aurais pas posé la sacoche sur le rocher pour
mieux me défendre… non mais quel nul, quel nul !! Etant donné que j’avais
dormi tout le trajet et l’avais laissé se taper la conduite, j’allais pas en
rajouter… je l’ai donc consolé du mieux que j’ai pu en lui disant que je lui en
offrirai un tout neuf dans quelques mois pour son anniversaire et que pour
l’instant, ce n’était quand même pas si grave. Il me semblait que Juan avait
aussi pris quelques photos hier soir. On aurait encore un peu de souvenirs et
puis même… Lucas est parti se coucher et j’ai rangé un peu, avant de me doucher
et le rejoindre.
4
Il
a fallu attendre vraiment longtemps, pas pressé le soleil catalan… alors j’ai
pris des photos de la foule autour de nous, qui attendait aussi, chacun avec un
verre de chocolat chaud. Chaud oui, mais pas du tout a la taza celui-là, valait pas un clou, j’ai fini par le jeter.
Nous, on avait froid, Lucie s’était emmitouflée de la tête aux pieds, on aurait
dit un touareg. Je l’ai prise en photo, encore et encore. L’immobilité nous
pesait, mais quoi faire sinon attendre ? Tout le monde attendait, il y
avait vraiment beaucoup d’amateurs, quelle drôle d’idée pour des
indépendantistes... Lorsque le soleil s’est enfin levé, quelques uns ont sorti
la bouteille de champagne, l’orchestre et les danseurs s’en sont donné à cœur
joie mais nous n’avions pas envie de danser, seulement de descendre marcher
pour enfin avoir chaud, d’ailleurs tout le monde partait en même temps, il
fallait se dépêcher pour ne pas rester immobilisé dans le flot des voitures.
On
s’est garé à La Tudela, ce drôle d’endroit échappé de l’oubli après être passé
par des époques fastes et d’autres moins luxueuses. Dali y emmenait ses amis
depuis Port Lligat, il se faisait photographier, lui aussi, en compagnie de
Gala qui posait, heureuse et insouciante. Avant la mode verte, avant la
publicité tapageuse autour de Dali et Port Lligat, tout ça ne servait à rien,
personne n’y allait, personne n’en voulait. Et puis les idées écolos et l’engouement
pour le patrimoine ont permis de refaire ces sentiers, sur lesquels on s’est
mis à marcher, encore bien emmitouflés mais un peu réchauffés quand même. Les
pauses obligatoires devant les rochers qui auraient inspiré certains tableaux du
maître ; certaines formes vraiment figuratives et en plus, changeantes selon la
distance, la prise de vue. Il y avait très peu de monde, on est allé tout au
bout, à la mer. Au retour, on s’est un peu arrêté sur la plage de galets, avant
de remonter à la voiture. Lucie s’est assise sur un rocher plat et m’a regardé
photographier les oiseaux de mer. A l’arrière plan, quelques membres d’une
famille éparse se sont mis à faire des mouvements de yoga, sans trop y croire. Lorsque
je l’ai rejointe, Lucie m’a montré une housse d’appareil photo abandonnée sur
un autre rocher. Elle ne l’avait pas touchée, mais il n’y avait plus personne
autour à qui ça aurait pu appartenir alors je l’ai prise. L’appareil photo
était dedans. Avec encore plein de photos. Des photos de jeunes qui faisaient
la fête, une fille aux cheveux longs qui revenait sans cesse et des paysages.
On a attendu encore un peu puis on l’a embarqué. Sur le chemin du retour, on
était silencieux, fatigués. Même pas eu envie de faire un détour par Port Lligat
et la maison de Dali, pourtant si particulière dans la calanque si jolie,
bleutée. On est rentré à l’hôtel, douche et au lit. Lucie s’est endormie
presque tout de suite. Quand elle s’est réveillée, j’étais encore entrain de
regarder les photos de l’appareil abandonné. Il y en avait des milliers, ce
type était dingue, il prenait chaque photo des dizaines de fois, de quoi avait-il
peur ? La même fille revenait toujours. J’avais reconnu le sud de la
France, et d’autres sites que je ne connaissais pas. Lucie m’a regardé comme si
j’étais fou, la patience, c’est pas son fort, ni la curiosité d’ailleurs. Elle
regrettait juste que l’appareil ne vaille pas grand-chose, les photos perdues,
quel gâchis, surtout si le voyage avait été long. J’ai fini par le ranger et
moi aussi je me suis assoupi.
5
Depuis
qu’on était rentré, Lucas était bizarre, toujours énervé, toujours impatient.
Comme s’il attendait quelque chose qui ne venait pas. Ca ne pouvait pas être la
perte de l’appareil photo, il valait que dalle. Les photos, oui, ça c’était
dommage. Notre périple français avait été pourtant joli et plein de souvenirs
étaient perdus à jamais. Mais enfin ce n’était quand même pas grave. Pas de
quoi fouetter un chat. Bon, je prenais mon mal en patience. On avait repris nos
habitudes et moi, mon entraînement pour le championnat de Catalogne, en mars. Un jour qu’il était encore plus énervé que
d’habitude, je lui ai montré le message d’un type sur mon blog. Un message en
anglais, que je n’avais pas vraiment compris : j’ai quelque chose qui vous
appartient ou un truc comme ça. Je me suis dit que c’était un fou. N’ai pas
répondu. Quelques jours plus tard, récidive : J’ai quelque chose que vous
avez perdu, à Cadaques en décembre. J’ai demandé à Lucas si ça ne pouvait pas
être l’appareil photo mais ça l’a mis dans un tel état d’énervement, alors
qu’il aurait dû être content de l’avoir retrouvé, je n’ai rien compris. Moi j’étais
plutôt intriguée, même si je ne comprenais pas trop la démarche et surtout comment
ce type avait pu nous retrouver. Après quelques échanges, c’était bien de cela
dont il s’agissait : en vacances à Cadaques, ce Français avait trouvé
l’appareil photo de Lucas sur la plage, l’avait embarqué et nous avait
retrouvés, sur internet, grâce aux photos de moi sur le circuit de Pla de
l’Estany. Il demandait comment nous le renvoyer. Lucas a précipitamment donné
son adresse perso. J’ai rien dit, l’appareil photo était bien à lui, mais quand
même…je ne le comprenais vraiment pas. C’est moi qui ai dû penser à demander ce
qu’il voulait en remerciement et là j’ai ri ! Le type demandait le montant
de l’envoi du colis en cacao, pour s’en faire le matin, a la taza, comme celui qu’il avait tant apprécié lors de son séjour
en Catalogne. J’ai trouvé ça sympa mais Lucas était toujours grognon. Les mecs,
parfois, quels boulets…
On
a attendu que le colis arrive. Pas de chance pour Lucas, le jour où il est
arrivé, j’étais chez lui. Lui était déjà parti à la fac et le facteur est tombé
sur moi par hasard. J’en ai profité pour regarder les photos, les dernières,
celles que je n’avais pas vues, celles du dernier jour. J’ai reconnu la fête,
le soir autour du feu, j’ai reconnu les visages, les rires, les grimaces. Et
j’ai compris pourquoi lors de mon réveil au milieu de la nuit Lucas n’était pas
à côté de moi : les dernières photos étaient de Manuela, dévêtue et
offerte dans la nuit froide. Offerte à Lucas, qui avait accepté l’offrande.
J’ai reposé l’appareil dans le carton, j’ai noté l’adresse du toulousain
curieux et je suis partie sans bruit. Parfois peut être, il vaut mieux ne rien
savoir.
6
Depuis
qu’on était rentré en France, j’avais bien aimé jouer un peu à Sherlock Holmes
et traquer les indices d’une carte mémoire pour retrouver la trace d’un couple
d’indépendantistes catalans. Faire ce genre de choses m’amuse, me détend. Et
puis l’appareil photo ne valant rien, il fallait bien en faire quelque chose
d’utile… alors pourquoi pas le rendre à son propriétaire ? Lucie, elle,
n’aurait pas passé une seconde sur internet pour refaire le puzzle, d’ailleurs
quand je la tenais au courant de mes recherches, elle s’énervait rapidement, ne
comprenant pas comment on pouvait passer tant d’heures sur des trucs pareils.
Mais c’est déjà presque mon métier de passer des heures à déchiffrer des codes,
des chiffres, des images et des mots, sur un écran. Et pour une fois, ce
n’était que du plaisir… Alors lorsque j’ai été sûr qu’il s’agissait bien d’eux,
j’ai envoyé un message, puis un autre, plus clair. Et elle a répondu ! Oui,
ils étaient bien à Cadaques pour le Sol Ixent. Oui, ils avaient passé la nuit à
La Tudela. Oui, ils avaient laissé leur appareil photo, s’en étaient rendu
compte trop tard pour revenir en arrière. Oui, ils voulaient bien que je leur
renvoie, adresse à Gérone, un peu au dessus de Barcelone. On aurait presque pu aller leur porter
au retour, mais bien sûr, on ne savait pas à ce moment là. Quand même, j’étais
content de moi, je n’avais pas fait tout ce travail pour rien. Et comme on
avait vainement cherché du chocolat en poudre spécial pour la taza, je leur ai demandé de m’en envoyer en retour, pour
paiement du colis. La fille a bien ri. Mais elle a tenu sa promesse. Moi aussi.
J’ai envoyé l’appareil tel qu’il était avec la carte mémoire pleine de photos et
quelques jours après, j’ai reçu 10 kilos de chocolat, du meilleur, que je vais
déguster petit à petit. Je commence même à devenir un expert, car le coup de
main pour le réussir n’est pas évident, surtout sans machine à vapeur. Je suis
content finalement, ça aura été un drôle d’échange, une drôle de
correspondance, un drôle de hasard, mais ça a fait deux heureux : l’un
avec son appareil photo, l’autre avec son chocolat. Les filles, elles, ne sont
jamais contentes…
Retrouver
toutes les photos qu’elle croyait perdues, c’était plutôt une bonne nouvelle,
non ? Mais j’ai pas eu de réponse à mon dernier message, après les
échanges de colis. Ces deux-là étaient jeunes et beaux. Sur les photos, ils
avaient même l’air d’être amoureux. La fille aux cheveux longs était sur les mille
photos du début, partout, souriante, heureuse. Un plaisir de la voir. C’est
vrai aussi que sur les toutes dernières, celles de nuit, une autre fille est
venue la remplacer et le jeune photographe frénétique n’a pas su faire
autrement qu‘appuyer sur le déclencheur, encore. L’abandon de la preuve du
délit était-il un acte manqué, délibéré ? Alors la réception a sûrement
été un peu douloureuse. Parfois
peut-être il vaut mieux ne rien savoir.