vendredi 22 juin 2018

Les Ponts sur la Cam

Vous en connaissez beaucoup, vous, des faubourgs urbains aux maisons qui ne paient pas de mine mais qui possèdent toutes de magnifiques bibliothèques remplies de livres ? Bienvenue à Cambridge, ville historique et universitaire qui conserve haut la main une aura de "ville de la connaissance". Plus de 40 % de la population possèdent un diplôme d'éducation supérieure, plus de deux fois la moyenne nationale. C'est vous dire si la librairie du coin de la rue est bien achalandée.
Une ville jeune et cycliste (c'est très plat), où les collèges construits en l'an 1300 baignent leurs pieds dans l'eau de la Cam, toujours empruntée par les punters qui vous font glisser le long des rives, très encombrées le week-end ! En bateau donc, on traverse, presque allongés au fond des barques la multitude de ponts, dont celui des soupirs, qui, je vous rassure, ne rivalise pas avec le vrai, le seul, le vénitien, dans lequel les prisonniers soupiraient après avoir entendu leur sentence... Grisés par les explications du punter, jeune étudiant fraîchement sorti d'un de ces collèges moyenâgeux ou jeune salarié en CDD. On est en plein dans la société libérale où chacun se débrouille pour finir ses fins de mois. Où chacun n'est pas tout à fait l'égal des autres, surtout s'il est bien né...
Mais enfin, lorsqu'on est touriste, en week-end et juste là pour flâner le nez au vent, que nous importe ! On profite donc des pelouses vertes où l'on peut s'étendre en rêvant ; du jardin botanique aux drôles de serres en bois ; de la vue tout en hauteur tout au bout des marches étroites de Great Saint Mary dans laquelle on aperçoit les carillons de Cambridge, fameux. Je crois même qu'il existe encore une société des carillonneurs...
Et puis bien entendu, on visite la chapelle de King's College, qui n'a de chapelle que le nom vu qu'elle est plus grande que n'importe quelle chapelle au monde et même, peut-être, de Sa Majesté Sixtine... Comme dirait l'autre, quand tu entends tous les jours la messe dans ce type de chapelle, c'est sûr que tu n'as pas la même vision du monde.
Aujourd'hui, pourtant, les 31 collèges, gérés de manière autonome et indépendante, n'assurent que l'hébergement et le suivi pédagogique des étudiants.  C'est l'université qui se charge de l'enseignement. Presque gauchiste, King's College ? Ca paraît peu probable...

Après le tourbillon protubérant et tonitruant de Londres, Cambridge est un havre de douceur et de paix.

vendredi 15 juin 2018

Les hirondelles de Corfou

 Il faudra un jour écrire un manuel de l'ingéniosité grecque à narguer les oppresseurs, ces trésors de ruse déployés pour signifier aux Turcs, aux Italiens, aux Allemands, qu'une vie terrestre ce n'est rien, une seconde à peine, avant le retour de la liberté. 
Michel Déon - Le rendez-vous de Patmos


La "capitale" de Corfou, Kerkyra, a bénéficié de nombreuses protections, parfois pesantes. Ainsi, malgré un périmètre restreint, cumule-t-elle deux forteresses, une "vieille" qui n'a jamais été prise par les différents envahisseurs qui repartaient au bout de quelques jours, ou quelques mois, rageurs, dans leur pays d'origine et une "nouvelle", encore un peu occupée par ces gens de la marine qui pourtant ne se montrent guère.






Entre les deux, il y a les musées : celui d'art asiatique dans le palais populaire de St Michael et Georges, entouré de promenades et de jardins au dessus de la mer et celui d'art religieux byzantin, à l'église de Panagia Antivouniotissa, en retrait mais toujours sur le bord de mer. Le musée archéologique, lui, est fermé depuis plusieurs années, au grand scandale de tous les amoureux des vieilles pierres : on ne peut donc plus y voir la gorgone du fronton du temple d'Artémis ni aucun des fragments retrouvés sur l'île des Phéaciens.

 Kerkyra est inscrite au patrimoine mondiale Unesco. Elle ne bougera donc plus, et restera piétonne, pavée, tortueuse, sombre et fleurie. Avec ses escaliers incongrus et inutiles :




















Avec ses peintures murales pâlies par le soleil flamboyant :















Son puits vénitien, au coeur d'une place secrète, conservera son côté mystérieux qui nous fait pour un instant entrer dans une histoire magique de Corto Maltese...




La vieille forteresse se visite, est en bon état et regarde du côté du continent, de l'Epire, d'un petit air goguenard. Aujourd'hui en son sein ne restent que certains anciens bâtiments encore debout parmi tous ceux érigés selon les époques et les besoins de défense ou de démonstration de puissance, et l'église Agio Giorgious, qui ressemble à un temple à s'y méprendre. A noter qu'aujourd'hui, l'école de musique de Kerkyra est abritée dans un des bâtiments qui donne directement sur la mer, on peut donc y entendre des batteries effrénées ou des claviers lancinants, le soir juste après la fin de la récré.
Le nouveau fort est moins beau mais on peut aussi y monter, gratuitement, pour y admirer la vieille ville qui s'étale à ses pieds. Dans tous ses ocres, ses jaunes et ses blancs, elle s'étire et se laisse admirer, paresseuse, comme un chat.


La décrépitude des façades ne se voit que de près et les clochers rouges se dressent fièrement au milieu des toits de tuiles.

On parle de clochers mais comme partout en Grèce, les cloches des églises sont à part, à côté. On remarque d'abord les cloches, toujours en premier, et ensuite l'église, trop souvent engoncée dans d'autres maisons, dans des coins de rues improbables ou rencognées sur elles-mêmes. En Grèce, l'église fait partie de la vie quotidienne, il faut s'y faire.










L'indolence n'est ici qu'une apparence, il faut juste se caler aux heures les plus chaudes, où personne n'aurait l'idée de travailler. On se lève tôt le matin, on vaque à ses affaires jusqu'à midi, ensuite on ferme jusqu'à 5 heures. Et puis tout se réveille et s'agite jusqu'au petit matin...

 Les balades sont tranquilles et longues, comme l'île : on va du vieux port à la pointe d'Anemomilos où un moulin en panne veille sur les baigneurs du soir ; on part se faire peur au pied de la piste d'atterrissage, en face du Pantokrator qui veille, en guettant les avions qui descendent sur la presqu'île de Kanoni pour atterrir sous notre nez ; on retourne au vieux port en croyant que c'est le nouveau mais le nouveau, plutôt ancien, est encore un peu plus loin, du côté de la nouvelle forteresse, très vieille finalement. Mais quelle importance ?
Car on finit toujours par se retrouver le nez devant l'épicier-fruitier, ouvert 24h/24h, qui pratique des prix incroyablement bas sur les produits de première nécessité comme les olives, les tomates et les kumquats, spécialité qui sert de base à de multiples gourmandises corcyriennes.








Et le soir, les centaines d'hirondelles qui crient et tournoient au dessus des toits, jusqu'à l'heure du calme, de la sérénité nocturne...


Quelques jours à Corfou, à pied ou en bus qui vous transporte partout pour pas cher, avec toujours la compagnie Ktel, sorte de coopérative nationale, à la grecque, performante et organisée, du moment qu'on se cale sur ses horaires et qu'on trouve l'arrêt de bus, lui aussi toujours improbable et pourtant tellement évident... Des vacances qui réconcilient l'âme avec le coeur.

dimanche 10 juin 2018

Corfou, l'île aux jasmins

Une île ionienne, entre Italie, Grèce et Albanie...

It is full of beautiful trees, pears, pomegranates and the most delicious apples
There are luscious figs also, and olives in full growth
The fruits never rot nor fail all the year round neither winter nor summer for the air is so soft that a new crop rippens before the old has dropped
Pear grows on pear, apple on apple, fig on fig

Homère - Odyssey

C'est l'histoire d'une île trop bien placée dans la Méditerranée sur laquelle la géopolitique s'est acharnée : des consuls, des protectorats, des invasions et une indépendance bien tardive... Indépendance grecque bien entendu. Aujourd'hui, malgré les nombreux lions vénitiens qui parsèment les forteresses, anciennes ou nouvelles, l'île de Corfou est bien grecque, aucun doute là-dessus. Et puis elle est malgré tout à l'origine de la Guerre du Péloponnèse, faut pas oublier...












C'est l'histoire d'une île couverte de fleurs, une île verte, tellement rare en Grèce. Il y a des bougainvilliers partout, rouges et violets ; des arbres bleus inconnus ; des jasmins envahissants et odorants qui jaillissent de n'importe où. Des chèvrefeuilles et des amaryllis, d'autres drôles de fleurs encore, méconnues et surprenantes. Hors des villes, toujours des plantes multicolores, fleuries, vigoureuses, qui attirent comme un aimant une faune d'insectes et autres comme on n'en voit plus du tout dans nos contrées aseptisées : ça vrombit, ça virevolte, ça bruisse, ça vibrionne. Les chèvres, elles, font le tour des bosses de la montagne en agitant leurs clochettes. De loin, on les confond avec les pierres. Elles évitent soigneusement les anciennes prairies cultivées, aujourd'hui en friche et pourtant bien vertes. On peut facilement rester des heures à les contempler, seules dans la montagne, comme celle de M. Seguin, mais bien plus adaptées à la liberté...






































On peut y faire, hors saison, des randonnées qui longent des falaises argileuses ou calcaires. On peut se baigner dans des eaux toujours claires et bleutées. On peut aussi grimper jusqu'au mont Pantokrator, 916 ou 960m, qu'importe au fond, mais pour y arriver, impossible de choisir quel sentier suivre, tellement nombreux, tellement montagnards, tellement incertains. Peut-être ceux qui ont le courage de faire le Corfu Trail arrivent à s'y repérer ; sinon il faut juste suivre son instinct et décider de revenir lorsque on ne sait plus où on est.













De là on voit les côtes de l'Albanie, toute proche et inconnue : on observe le continent, qui ressemble à s'y méprendre à cette partie où l'on est mais qui paraît en même temps inaccessible et tellement inhabituel. L'herbe n'est jamais plus verte un peu plus loin, on le sait bien, il vaut mieux rebrousser chemin.

Il y a le sud de l'île, moins touristique que le nord, impossible de savoir pourquoi. Les falaises y sont également belles et les balades aussi intéressantes. Le nord ouest, très balnéaire, doit être impossible en saison, mais reste visitable au mois de mai. 
Sidari, connu pour son canal d'amour que je ne recommande à personne : envahi d'hôtels et de piscines, de restaurants ou cafés aux pieds dans l'eau, la seule plage qui n'en a que le nom est à moitié enfouie sous la terre qui dégouline d'en haut. On ne peut s'y baigner, on ne peut que tenter, d'un pied peu sûr, d'apercevoir ce canal étroit qui n'a plus rien d'amoureux et qui ne ressemble pas aux réclames. Ce qui reste de naturel et de vertigineux doit se gagner en montant au bord des falaises, le long desquelles on peut suivre un sentier et découvrir une anse rocheuse presque secrète pour s'y faire des bains argileux loin des foules, en tout cas jusqu'à midi. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt.

On est monté, à Kassiopi, sur les vestiges envahis de ronces d'une forteresse byzantine dont il ne reste qu'un corps de garde et une terrasse. La porte monumentale a été restaurée grâce aux fonds européens mais les oliviers ont bel et bien gagné et n'ont pas été délogés.


Et puis surprise, à Kalami, un havre de paix, une baie calme et tiède. Choisie par Lawrence Durrell qui y a séjourné il y a longtemps, dans une White House à l'époque au milieu de rien,  qu'on peut encore louer aujourd'hui, pour une semaine de laisser aller. On y a mangé au bord de l'eau, chez Thomas' Place, une cuisine corfiote simple et copieuse. Les gens sont heureux d'être là, de commencer une saison après un hiver trop immobile. Pourquoi s'en faire ? Tout passe et tout recommence.
Durant ces quelques jours, j'étais en pleine lecture de "Pages grecques", de feu Michel Déon qui a passé une grande partie de sa vie en Grèce et toujours dans des îles. Une vision d'abord paradisiaque qui s'estompe avec l'âge : la Grèce d'Homère, idéalisée, dont il ne reste que des vestiges pillés. Remplacée par une Grèce moderne, résolument européenne mais tellement différente de notre Occident effréné. Heureux qui comme Ulysse...