jeudi 1 novembre 2012

La mort de Liù


Vous aimez pleurer ? Bienvenue chez Puccini. Ses livrets d’opéra sont tragiques mais pas du tout incompréhensibles, comme souvent chez Verdi par contre. 
Non, ici, on est dans le réalisme, le vérisme, on comprend très vite et très bien que la situation est catastrophique et qu’elle ne va pas s’arranger, en tout cas pas pour notre héroïne préférée. Ce n’est pas toujours le rôle titre, ce n’est jamais celle qui gagne, c’est toujours celle qui meurt, plutôt de mort violente et sans aucune issue de secours possible. 
Et bien entendu - nous sommes à l’opéra tout de même - après un air particulièrement touchant : Vissi d’arte pour Tosca, Un bel di vedremo pour Butterfly… A l’instant où son destin se scelle.

Dans Turandot, une histoire pleine de drame familial, de rites ancestraux, de mandarins joviaux et grimaçants, d’empereur de Chine et de princesse mal lunée (c’est le moins qu’on puisse dire), ce n’est pas ladite princesse au cœur froid qui nous fait larmoyer. Non, en fait cela nous importe peu, qu’elle ne veuille appartenir à aucun homme à cause d’une sombre histoire d’enlèvement d’aïeule et que l’heureux élu prince Calaf, viril et sûr de lui, finisse par la faire fondre d’amour et de volupté. C’est banal, pour un livret d’opéra.

Mais là où tout se métamorphose, là où quelque chose se passe, là où le cœur se serre en dehors de toute prouesse vocale, c’est lorsque la « petite » esclave Liù, attachée au service du vieux père de Calaf, prise au piège de son propre passé, doit se donner la mort pour échapper à la torture qui la ferait parler et perdre le seul amour de toute sa vie, inaccessible et sans espoir. 
Alors elle finit en beauté, Liù : elle avoue son amour impossible pour Calaf, elle, l’esclave invisible et soumise ; elle lance à Turandot : l’amerai anche tu (toi aussi tu l’aimeras) et elle meurt ravie d’avoir pu donner autant de preuves de cet attachement, de cet amour de toutes manières irréalisable. On n’est pas dans Peau d’Ane où les princes se marient avec des (fausses) souillons. Ici, la princesse de glace Turandot ne se mariera qu’avec un homme de sang royal qui élucidera les 3 énigmes inventées par elle. Tant pis pour les gueux qui auraient deviné quand même.
Mais ce qui touche dans la scène de la mort de Liù, ce n’est pas tant tout ce qu’elle nous dit, c’est tout ce qui se passe après. Car une fois morte, Liù se fait le révélateur de toute l’horreur de ce royaume de sang, de mort et de peur. 
La foule devient roide de honte, les femmes ravalent leur tristesse, Calaf se renferme, horrifié et même Turandot se tient coite, interdite devant cette chose qu’elle ne connaît pas, révélée par Liù : l’amour. 
Et une fois que son vieux maître a compris que Liù ne sera plus jamais à ses côtés, après avoir en vain lancé des imprécations contre ce peuple si sanguinaire, il ose dire enfin tous ces mots que jamais elle n’aura entendu, des mots d’amour dans le plein sens du terme. Et la foule les reprend, les chuchote, les fait glisser à son oreille. Ils la recouvrent comme un linceul alors même qu’elle n’a plus de souffle et en même temps que tous murmurent « Liù, poesia », la poésie nous prend en effet et nous fait pleurer sur le sort de tous les anonymes qui n’ont droit à rien, qui ne s’indignent de rien, qui vivent et meurent selon le bon vouloir des princes et des princesses, dans leur ombre, jamais en pleine lumière, sauf lorsque Puccini le met en scène et en musique.

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