Au début, bien
évidemment, on ne se rend compte de rien. D’ailleurs, en général la première
nuit on ne dort pas beaucoup. Donc on n’entend rien que le souffle ténu de
l’autre, lové contre son épaule, éventuellement les bruits inconnus si on est
dans la maison de l’autre. On dort si peu en fait que le sommeil de quelques
heures est lourd et puis on a décidé que rien ne viendrait gâcher ce tout début
de liaison, ce tout début d’amour.
Après quelques semaines,
on a commencé à s’habituer l’un à l’autre et surtout on s’est aperçu des
différences entre le sommeil de l’un et celui de l’autre : l’un dort,
l’autre pas. L’un a besoin de noir total, l’autre peut laisser quelques rais de
lumière éclairer de lune la chambre. L’un a toujours froid et tire toute la
couette de son côté, l’autre a toujours chaud, même nu et ne s’étonne d’avoir
froid que lorsque toute la couette est passée de l’autre côté en pleine nuit.
L’un se réveille aux aurores, l’autre s’accroche au lit chaud, aux draps tièdes
qui sentent bon l’amour et la nuit ensemble. L’un se réveille plusieurs fois
dans la nuit, tant il est angoissé tant il a de choses à penser, l’autre se
réveille également mais se rendort aussitôt, sans réfléchir, sans angoisse,
sans interrogations. L’un se lève immédiatement tant il a de choses à faire,
l’autre ne rêve que de rester encore un peu dans ses bras, et pleurniche des
baisers, de la tendresse, même le matin de bonne heure.
Après quelques
mois, on s’est habitué à nos différences et ni l’un ni l’autre ne s’étonne
d’être si « différents », on fait avec, c’est tout. Même si les
frustrations commencent à venir, même si chacun d’entre eux a l’impression de
faire d’énormes concessions, un peu plus chaque jour. Puis ils en font de moins en moins. Chacun reprend sa façon
naturelle de dormir, sans s’inquiéter de ce que fait ou fera l’autre.
Ce qui fait que le décalage entre les deux s’accentue : l’un a commencé sa journée depuis plusieurs heures lorsque l’autre émerge. C’est le dimanche, un des seuls jours entiers à passer ensemble, c’est juste dommage et ça influe sur le reste de la journée.
Ce qui fait que le décalage entre les deux s’accentue : l’un a commencé sa journée depuis plusieurs heures lorsque l’autre émerge. C’est le dimanche, un des seuls jours entiers à passer ensemble, c’est juste dommage et ça influe sur le reste de la journée.
Après quelques
années, les attentions de départ s’éliminent naturellement au fur et à mesure
que le décalage s’accentue et que le temps passe : mieux vaut ne pas
parler des bruits incongrus tout au long de la nuit, des soupirs de lassitude
ou pire, d’ennui, des couchers dos à dos qui font suite à des incompréhensions
mutuelles, des attentes muettes, de l’oreiller mouillé de pleurs silencieux, du
sentiment d’avoir un mur de brique construit au beau milieu du lit.
Enfin ça se termine : lorsque les ronflements de l’un ne deviennent plus supportables, lorsqu’on entend plus que ça, même si l’on sait qu’il nous arrive également, parfois, d’avoir un léger bruit nasal… mais ça ne peut ressembler à ce tracteur en tournée, à cette locomotive en furie qui emplit le lit, la chambre, la maison entière puisque même installé sur le canapé du séjour on l’entend encore…
Enfin ça se termine : lorsque les ronflements de l’un ne deviennent plus supportables, lorsqu’on entend plus que ça, même si l’on sait qu’il nous arrive également, parfois, d’avoir un léger bruit nasal… mais ça ne peut ressembler à ce tracteur en tournée, à cette locomotive en furie qui emplit le lit, la chambre, la maison entière puisque même installé sur le canapé du séjour on l’entend encore…
Je défie
quiconque de tenir à ce rythme plus de quelques mois sans changer de vie, de conjoint,
d’endroit, sans s’enfuir loin où enfin apprécier une nuit seul entre les draps,
où rien ni personne ne peut nous réveiller, où rien ni personne ne peut nous
tirer les draps, où l’on éteint la lumière juste quand on en a envie, seul enfin
s’allonger et s’étirer, quel délice.
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