dimanche 27 janvier 2013

les lettres du poète


Gardez-vous vos lettres d’amour ? Ou bien les triez-vous, comme pour les déchets ménagers ? Celle-ci je la garde, celle-là je ne la garde pas… après, quand on a changé d’amoureux, on est obligé de tout mettre dans une enveloppe, que l’on cache au fond d’un tiroir pour les séquences nostalgie, surtout en cas de rupture intempestive.
Hélène Cixous, elle, a tout gardé, même les lettres du tout début, quand on ne sait pas encore que ce sera un grand (et long) amour. Et elle raconte, sur presque 200 pages sans ponctuation, le pourquoi et le comment de ces lettres, leur recherche, leur relecture, leur presque perte pour toujours. « L’Amour même dans la boîte aux lettres » (Galilée 2005), c’est un livre escargot qui s’enroule sur lui-même on ne sait pas bien dans quel sens. 

On me dit que cet écrivain est féministe. J’ai quand même des doutes, vu la teneur de certains paragraphes où cet amour-ci la rend tellement aveugle qu’elle se pose un millier de questions sur des dizaines de pages comme : a t’il vraiment dit, voulu dire, su dire, « mon amour » ? «  J’aurais passionnément voulu m’assurer, au moment où nous abordions le trottoir, que tu avais dit ces mots, au moins cela, qu’ils étaient de toi et non par toi, par distraction, et qu’ils n’étaient pas le contraire de ce que j’espérais qu’ils étaient ». Ou alors on n’a pas la même notion du féminisme.
Ce n’est pas un livre facile à lire, à cause du manque de ponctuation et des mots qui semblent souvent sans rapport, sans attache, sans suite : «  Je supporte la joie animiste parce que tu existes et parce que j’ai toujours mon placenta qui m’apporte les jus d’orange que tu ne m’apportes pas. ». Ca pourrait être du Brigitte Fontaine, sans l’avantage de la mélodie.
Ca parle de poésie (un peu) de littérature (un peu plus), mais ce n’est pas du tout pour la « guichetière du coin », qui n’y comprendrait goutte. Sauf sur les milliers de questions qu’on se pose quand on est amoureux, finalement, là tout le monde s’y retrouve. 
Je crois que dans la collection Harlequin, les héroïnes s’en posent aussi beaucoup, des questions. Et ne trouvent pas forcément beaucoup plus de réponses à la fin.

jeudi 17 janvier 2013

savoir rire de soi


l’étrange perchoir

Mon cou devient goitreux
et les nerfs y éclatent.
Les pinceaux s’égouttant
sur ma face me font
Comme un masque d’azurs, d’ocres
et d’écarlates.
Je peine, ventre en l’air
Et la barbe au plafond

Mon crâne s’est rivé
entre mes omoplates,
Mes lombes dans ma panse
ont poussé si profond
Que j’ai gaster saillant
reins tors et fesses plates,
Le sternum tout en arc,
et l’échine en siphon.

Je n’aperçois mes pieds
qu’au hasard d’une glace ;
Sur l’étrange perchoir
où la faveur me place
Je vomis le dégoût
de peindre et de manger

Et moi libre sculpteur,
attaché comme un cuistre
Au joug d’un méchant
maître et d’un art étranger,
J’ai l’œil faux, la main lourde
et la couleur sinistre.

Michel Ange, sonnet écrit lorsqu’il peignait la voûte de la Sixtine

mercredi 9 janvier 2013

fragment(s) d'exposition(s)


Après les promenades dans Rome, les promenades dans (les musées de) Paris… nous avons fait le « plein » d’œuvres artistiques, même si je renâcle toujours devant les tarifs et les files d’attente, alors qu’en même temps les musées de Londres sont « free entry ». Doit-on mériter d’entrer dans les temples de la culture, après plusieurs heures d’attente et un délestage du porte monnaie conséquent ? Oui, je sais, malgré cela, les 3 musées que sont le Louvre, Beaubourg et Orsay ont battu les records de fréquentation en 2012. Peu importe, il faudrait quand même qu’on m’explique.

L’expo DALI était bien faite même s’il manquait quelques œuvres prévues au catalogue et pas des moindres, mais « la persistance de la mémoire » était là et aussi la « tête raphaélesque éclatée », que j’ai ramenée d’ailleurs pour la contempler plus souvent puisque je ne vais pas aller à Edimbourg dans les mois qui viennent… Le clou étant quand même la mise en scène inversée du décor Mae West, que chacun(e) pouvait s’approprier, on n’y a pas manqué.

Pas de regret cependant pour ceux qui n’y sont pas allés : pour mieux comprendre et aimer Dali, il faut juste aller à sa maison de Port Lligat et au musée de Figueras. C’est là que tout se situe.
On s’est plongé ensuite dans les contes orientaux, 1001 nuits à l’IMA, avec des tas de livres anciens et enluminés, d’icônes, peintures, vidéos et autres objets. C’est dans ces contes « orientaux » qu’on trouve des histoires aussi connues qu’Aladin et la lampe merveilleuse, Ali baba et les 40 voleurs et… Sindbad le marin. Les autres contes qui parsèment les 1001 nuits de Shéhérazade, je vous en reparlerai, je dois lire et raconter le Tome 2, chèrement choisi et acquis au sein de cette architecture un tant soit peu déambulesque et labyrinthique. Les 25 ans d’art contemporain exposés ont achevé de nous faire rêver, bien plus proches du quotidien de censure et de guerre contemporaines, loin de l’imaginaire occidental des djinns, vizirs maléfiques, sultans capricieux et danses des 7 voiles.

Après Sinbad, évidemment, on ne pouvait faire moins qu’admirer l’âge d’or des cartes marines (BNF), des « portulans », cartes enluminées et descriptives sur parchemin pour tous ceux qui naviguaient sans carte fiable, depuis le début de la navigation et pendant des siècles encore, avec seulement la moitié du monde connue, et encore pas toujours très bien indiquée… Quel courage de se lancer dans ces mers insatiables, avec à la clef des terres peut-être imaginaires, dangereuses sûrement, lointaines sans doute. Certains y allaient quand même, pour l’or, la cannelle ou la postérité ? : Je conseille à ceux qui seraient intéressés « L’Entreprise des Indes – Erik Orsenna - éd. Stock – 2010 », histoire de Christophe Colomb racontée par son frère, cartographe. Et à propos de Colomb, il m’a quand même fait mourir de rire quand j’ai découvert cet extrait de ses « Lettres du 4ème voyage » en 1503 :
Le monde est petit, les terres en forment les six septièmes et un septième seulement en est couvert d’eau. La preuve de cela est déjà faite et je l’ai exposé dans d’autres lettres, au moyen des citations de la Sainte Ecriture avec la position du Paradis terrestre.
 
Je vous raconterai une autre fois les pérégrinations navales d’un certain Ulysse, racontées et sublimées par Homère, qui font encore rêver bon nombre de lecteurs grands et petits, émerveillés par Polyphème, Circé, Calypso et autres Lotophages.

Le scribe accroupi du Louvre, vieux de presque 5000 ans, auquel il manque son pinceau, est toujours aussi pimpant, souriant, étonnant par son regard si clair et son réalisme presque contemporain. Il se tient bien droit dans sa vitrine éclairée, au bout de l’aile des antiquités égyptiennes, après les statues de rois et autres têtes couronnées mais c’est lui qui tient la vedette. Il attend que le pharaon lui dicte quelque chose à inscrire sur son papyrus, déroulé. Le pharaon est momifié, le scribe reste accroupi pour la postérité. Je voudrais qu’il reste toujours, en compagnie de la petite danseuse de Degas, sous vitrine elle aussi, un peu plus loin à Orsay.

Je ne peux pas tout raconter, mais pour en finir avec les histoires de bateaux, de découvertes posthumes et d’écritures, je laisse une toute petite place, en souvenir de l’expo « Bohèmes » au Grand Palais, à ce diable à gueule d’ange qui après avoir révolutionné et enflammé le milieu des poètes plus ou moins maudits s’en est allé lui aussi pour toujours, ailleurs, au delà des mers, sans jamais écrire un vers de plus. « Reviens, reviens, cher ami : Rimbaud-Verlaine, L'Affaire de Bruxelles » de Bernard Bousmanne chez Calmann Lévy, à lire absolument, un beau livre passionnant, très original et qu’on ne quitte plus. On le trouve dans toutes les bonnes médiathèques.
L’expo m’aura aussi appris que « scènes de la vie de bohème » était une pièce théâtrale d’un certain Murger, fin du XIXème, pièce à succès phénoménal et cependant totalement éclipsée et oubliée dès la parution et la production de « La Bohème » de Puccini, qui fait encore pleurer les midinettes et les cœurs trop tendres. Mais comment voulez-vous lutter contre la douceur et la séduction des voix italiennes ?