Les
romans de Martin Suter ont tous cette première particularité de commencer un
peu lentement, le temps que les personnages soient présent(é)s. Et d’un seul
coup, ça démarre, on ne lâche plus le livre jusqu’à la fin. Ce sont toujours
des histoires à la limite du rêve et de la réalité, quasi science fiction, mais
les héros retombent toujours sur leurs pattes car ils sont souvent d’une
singulière finesse. La deuxième particularité est l’étonnante polynationalité de ces histoires. Je
veux dire qu’elles pourraient se situer partout en Europe, au sens large, sans
en changer un mot. Je veux croire d’ailleurs que Suter réclame une traduction
en ce sens. Chacun s’y reconnaît facilement, sans tomber pour autant dans la
neutralité, les personnages sont bien là, avec leur histoire, leur
personnalité, cosmopolite, étrange et pourtant si proche, si reconnaissable.
Cette
histoire-là, « le temps, le temps » (Christian Bourgois éditeur –
2013) veut nous faire croire à l’inexistence du temps qui passe, auprès de deux
hommes affaiblis par la mort de leur moitié. L’un veut y croire, l’autre fait
en sorte que l’impossible puisse avoir lieu. Bien sûr, l’affreuse réalité les
rattrape et nous avec, mais ce n’est pas ce qu’on croit. Cette histoire est
impossible à raconter, alors il vaut mieux la lire. Ca tombe bien, le format
poche peut s’emporter si facilement en vacances et se conforme tellement à un
type de lecture rapide, enlevée, légère, angoissante juste ce qu’il faut. Une
écriture décomplexée, étonnante langue allemande qui peut être légère si elle
veut. Mais elle ne veut pas toujours. Profitons de ce style, qui nous fait
passer de si courts moments d’(in)existence, dans la vie d’un autre, avant de
retrouver, à la rentrée, notre quotidien réglementé.