dimanche 28 juillet 2013

L'allemand sans l'Allemagne


Les romans de Martin Suter ont tous cette première particularité de commencer un peu lentement, le temps que les personnages soient présent(é)s. Et d’un seul coup, ça démarre, on ne lâche plus le livre jusqu’à la fin. Ce sont toujours des histoires à la limite du rêve et de la réalité, quasi science fiction, mais les héros retombent toujours sur leurs pattes car ils sont souvent d’une singulière finesse. La deuxième particularité est l’étonnante polynationalité de ces histoires. Je veux dire qu’elles pourraient se situer partout en Europe, au sens large, sans en changer un mot. Je veux croire d’ailleurs que Suter réclame une traduction en ce sens. Chacun s’y reconnaît facilement, sans tomber pour autant dans la neutralité, les personnages sont bien là, avec leur histoire, leur personnalité, cosmopolite, étrange et pourtant si proche, si reconnaissable.
Cette histoire-là, « le temps, le temps » (Christian Bourgois éditeur – 2013) veut nous faire croire à l’inexistence du temps qui passe, auprès de deux hommes affaiblis par la mort de leur moitié. L’un veut y croire, l’autre fait en sorte que l’impossible puisse avoir lieu. Bien sûr, l’affreuse réalité les rattrape et nous avec, mais ce n’est pas ce qu’on croit. Cette histoire est impossible à raconter, alors il vaut mieux la lire. Ca tombe bien, le format poche peut s’emporter si facilement en vacances et se conforme tellement à un type de lecture rapide, enlevée, légère, angoissante juste ce qu’il faut. Une écriture décomplexée, étonnante langue allemande qui peut être légère si elle veut. Mais elle ne veut pas toujours. Profitons de ce style, qui nous fait passer de si courts moments d’(in)existence, dans la vie d’un autre, avant de retrouver, à la rentrée, notre quotidien réglementé.

lundi 22 juillet 2013

Roman médiéval sauce catalane


Les mythes ont la vie dure. Et lorsque un écrivain en ravive un, resté plutôt inconnu ou plutôt méconnu, on peut s’y plonger dedans avec délices. Erec et Enide, de Manuel Vasquez Montalban (Seuil 2004), commence comme un discours intellectuel et ennuyeux, un peu pontifiant et réservé aux seuls spécialistes, petit cercle de professeurs de littérature médiévale. Mais ce roman est heureusement à trois voix, très discordantes les unes par rapport aux autres, même si elles finissent par se retrouver, tout à la fin, avant de se séparer pour toujours.
Erec c’est Pedro et Enide c’est Myriam, qui vont se confronter aux mêmes épreuves dans une dure réalité, aux fins fonds d’une Amérique latine sans foi ni loi. Leurs parents adoptifs, eux, sont mariés mais n’ont quasiment rien en commun, ne partagent rien, depuis si longtemps. Leur réalité, confrontés comme ils le sont à la vieillesse ou la mort, n’est pas vraiment plus simple à vivre même si elle a l’apparence d’être facile. Il ne s’agit pas d’amour courtois, il s’agit de tromperies, de petites lâchetés, de laisser faire. L’amour, courtois ou pas, survit-il à la vie quotidienne ? C’est ce que se demandent Pedro et Myriam, la réponse n’est pas donnée par Montalban.
Montalban a écrit des livres très différents, qu’il faut découvrir en étant toujours curieux. Ils ne se ressemblent que par leurs ineffables références culinaires, qui vont de l’étrange à l’étonnant, cuisine catalane dont seuls les catalans raffolent.
Chrétien de Troyes n’en demandait pas tant, les chevaliers de la Table ronde n’auront pas besoin de la légende d’Erec et Enide pour survivre encore et encore dans nos imaginaires, mais le point de départ de ce roman est original et il tient toutes ses promesses.

mardi 9 juillet 2013

L'inéluctable


Roy a treize ans. Il part avec son père dans une île froide et sauvage, déserte. Un séjour d’un an y est prévu.  Mais très rapidement, Roy s’aperçoit que son père n’est pas de taille à surmonter cette nature hostile malgré tous ses efforts. Son père ne sait déjà pas se débrouiller dans la vie « normale » alors loin de tout… Il est un peu dérangé, son père, ou plutôt il est faible. Est-ce un si grand tort ? Non, si on n’emmène pas son fils de treize ans dans ses déboulonnades, à lui faire croire que tout va être bien, à deux dans cette neige, avec une seule cabane et 4 mains pour tout. Rien ne fonctionne, tous les plans tombent par terre et le père de Roy ne sait que sangloter, de se voir si faible dans ce monde si hostile. Roy ne sait pas quoi lui dire, il ne comprend pas pourquoi ils sont venus ici. Il n’a pas su lui dire non et il est parti alors qu’il n’en avait pas envie. Il ne sait pas non plus lui dire qu’il veut rentrer ou s’il lui dit, se rétracte immédiatement, pourquoi ? Pour ne pas le laisser seul, encore plus démuni ? Et comme il ne sait pas comment lui dire qu’il ne peut pas rester comme ça, qu’il ne comprend pas comment ils peuvent s’en sortir, qu’il voit arriver l’inéluctable, il se sauve avant, en se tirant une balle dans la tête. C’est la première partie de « Sukkvan Island » de David Vann (Gallmeister 2008). La deuxième est plus classique : la fuite en avant du père qui n’en peut plus de se savoir vivant alors que son fils est mort et que tout est de sa faute. « Roy s’était tué à sa place en un échange convenu, c’est pourquoi Jim était responsable de sa mort. ». Mais comment et pourquoi donc les a t'on laissés partir ? Les gens qui dérivent ne trouvent guère d’aide et sombrent peu à peu, vers l’inéluctable. Seuls, comme tous les autres. Entraînant hélas d’autres âmes faibles ou mineures dans leur sillage avant la fin.
Ce premier roman se lit d’une traite, d’abord parce qu’on veut comprendre, et ensuite parce qu’on a trop vite compris. Que le désespoir n’a pas d’âge. Qu’être père n’est pas toujours facile. Que parfois, il vaut mieux un père absent qu’on peut imaginer au lieu de devoir subir celui qu’on a, sans qu’aucune porte de sortie ne soit offerte, sauf grandir. Roy n’a même pas eu cette chance.