mercredi 30 octobre 2013

Fragment(s) d'exposition(s) - 2


Comme les musiciens, il y a des peintres plutôt « scientifiques ». Non seulement ils savent dessiner et peindre des figures, des paysages, mais en plus, ils jouent avec la gamme des couleurs, la gamme chromatique, pour faire des effets. Quand en plus ces effets se mirent dans l’eau, on peut dire que c’est réussi. C’est ce que l’on voit au cours de l’expo « Signac les couleurs de l’eau », au musée Fabre de Montpellier, musée qui a su attirer du monde par des expositions majeures, originales, dans lesquelles non seulement on voit de nombreux tableaux originaux mais on peut également y apprendre les côtés techniques des choses, les dessous des cartes si j’ose dire en parlant de tableaux. Chacun y trouve son compte, quel que soit son degré d’appréciation personnelle des œuvres. On y découvre plusieurs styles : pour Signac, on peut y voir les dessins de base, réalisés sur place, dehors, qui ont servi de « brouillon » en quelque sorte et le travail, parfois très minutieux, très recherché, de l’artiste sur les couleurs, réalisé ensuite dans l’atelier. C’est du néo impressionnisme, taches de couleurs encore plus fouillées, plus détaillées, décortiquées. Ce sont des tableaux qu’il faut voir de loin, il s’agit donc d’essayer d’éviter les groupes agglutinés… Ce n’est pas toujours facile, mais c’est plutôt gratifiant. Et puis l’avantage dans ce genre de technique, c’est que chacun va vers ses préférences en matière de couleur, pour l’une c’est l’orangé, pour l’autre le bleu et le vert… chacun son choix. On ne reste donc pas tous devant le même tableau et c’est tant mieux.
En matière de peintres, ce mois d’octobre était foisonnant. A Paris, au GrandPalais, c’était une grande expo sur Braque, Braque le patron, comme l’appelaient certains. Il faut dire qu’il a traversé deux siècles et surtout deux guerres, ce qui n’est pas peu dire et explique peut-être ce côté « triste », « gris », qu’on lui prête parfois, à tort ou à raison, je ne trancherai pas. Il était pourtant contemporain de Picasso, alors que ce dernier a échappé aux guerres et a fait des tableaux plus gais, plus colorés, plus mouvementés. Mais Braque, en fait, et cette expo le montre bien, a plusieurs facettes, plusieurs palettes, plusieurs couleurs à son pinceau. Pinceaux qu’il mettait dans des grands pots, à l’envers. Et ses tableaux peuvent être mordorés, mélangés à du sable ou de la sciure de bois, étonnante diversité. On connaît si peu Braque, se dit-on au sortir de cette expo, il a fait des choses si différentes, comme ces séries de paysages, à la fin de sa vie, petits tableaux format paysage justement, aux couleurs si diverses que chacun choisit le sien. Entre le cubisme analytique et les oiseaux du Louvre, tout un parcours se fait, s’est fait, et si Braque n’a pas tout compris du monde rugissant qui l’entourait, nous on comprend un peu mieux le cheminement de ce « patron » qui, à chaque coup de pinceau, tentait de libérer ce qui faisait l’humanité de chacun d’entre nous.

La Suisse, on ne peut pas dire que ça ait un air coloré. Pourtant Félix Vallotton, peintre, était suisse d’origine et avait une certaine manière de peindre le vert et le jaune qui n’appartenait qu’à lui. Toujours au Grand Palais, de grandes étendues colorées, bien délimitées, pour mieux montrer les contrastes. Les contrastes entre ce qui se voit et ce qu’on devine. Les frontières entre ce qui est vrai et ce qu’on doit deviner. Cela pourrait être un jeu dans chaque tableau ; sauf que chacun voit des choses différentes, selon son état, son humeur, son bon vouloir. Bon, il faut bien l’avouer, Vallotton n’était pas très tendre envers les femmes. Mais pas vraiment non plus envers les hommes, ses semblables. Tout un monde de tromperie qu’il peignait en couleurs. Comme le dit si bien Maryline Desbiolles, dans « Vallotton est inadmissible » (Seuil, 2013), pour de nombreuses raisons, qui ne sont pas forcément les siennes, il nous accompagne tout au long de la vie, parce que certains de ses tableaux sont attachants. Peut-être vaut-il mieux ne pas se demander pourquoi, de peur de plonger dans ce vert, dans cette ombre, dans ce non-dit, ce suggéré, un peu dangereux, un peu effrayant.
Evidemment, après les couleurs de Vallotton, se retrouver au milieu des noirs et blancs des grandes photos de Salgado, ça faisait un contraste un peu trop violent. A la maison européenne de la photographie à Paris, Genesis est un choix de plusieurs dizaines de photographies réalisées (au milieu de combien d’autres ?) pendant une dizaine d’années, sur la Terre : des montagnes, de la neige, des animaux, des forêts, des déserts, des peuplades restées comme à leur origine. Certaines photos sont très belles, fruits peut-être d’une longue patience ou d’un hasard délicieux. D’autres oscillent entre nature et studio, on n’ose décider, quand on voit ces éléphants dormants, comme rangés en vitrine, du plus petit au plus grand, alors qu’ils se trouvent pourtant dans leur milieu naturel. On croit rêver quand on voit ces manchots à jugulaire dans leur descente enneigée d’une moitié de banquise, dansants, s’amusant, ou est-ce juste un mirage ? Et on reste muet devant la beauté majestueuse de ces deux roussettes prises en plein vol, d’en dessous, au milieu des arbres dénudés. Le choix du noir et blanc systématique reste un mystère, surtout pour certaines photos qui gagneraient à la couleur : plumages et coiffes de chefs indiens ; déserts et dunes qui pourraient être chauds ; écailles d’iguane brillantes et moites. On fait le tour du monde, le tour d’un monde qu’on connaît à peine car ce monde n’est pas tout à fait le nôtre. Ni les hommes ni les animaux qui le peuplent ne nous connaissent, nous ne connaissons ni ces paysages, ni ces montagnes,  ni ces arbres, grandioses, millénaires. Tous ceux-là n’ont pas besoin de nous. Avons nous besoin d’eux, demande Salgado, et pourquoi ?

mardi 22 octobre 2013

Du vent dans l'escarcelle_1


J’habite au 3 rue Léonard de Vinci et les seules vraies peintures que j’ai vues sont celles laissées chaque nuit par les taggers sur les façades aveugles de la cité. Elles sont colorées, ça oui, mais belles, je peux pas dire. De toutes façons, elles ne restent pas bien longtemps. De nouvelles apparaissent, ni mieux ni moins bien que les précédentes. Le matin, les bidons traînent encore par terre et l’odeur me prend à la gorge, quand je passe devant, en allant au collège.
Je sais qui est Léonard de Vinci car on a un cours d’histoire de l’art. Depuis que les programmes ont changé, il paraît. Moi, ça me plaît bien et le prof est sympa. Il dit qu’il aimerait bien nous amener au Louvre mais il manque les financements. J’avais cru comprendre que les ZEP devaient avoir plus de facilités, dit le prof. Que l’ouverture des banlieues à la culture devait être favorisée. Mais que dalle, on préfère nous amener au grand air, loin de la ville ou réparer les poteaux de basket. La culture, ça passe toujours en dernier, qu’il dit. Et quand les gosses des quartiers vont à la ville, ils s’installent plutôt dans le centre commercial. Alors il se contente de nous montrer de belles reproductions. Certaines sont accrochées aux murs, pour la chronologie, qu’il dit. Une par grande période, depuis l’Egypte, mais y a des trous. Et pour certains siècles, il en a punaisé plusieurs.
Pour le XVIème, il a pas choisi la Joconde. Vous pourrez la voir dans n’importe quelle bibliothèque, je préfère vous montrer un autre visage de Léonard. Je ne sais pas dans quelle bibliothèque on pourrait voir la Joconde, pas celle du collège en tout cas, c’est pas faute d’avoir cherché. C’est un visage de femme. Une Vierge qu’il a dit. Je ne suis pas certain de savoir ce que c’est, une Vierge, surtout pour lui, mais ça m’est égal. J’aime bien ce visage, doux avec un voile léger qui tombe sur le front. Ma soeur Leïla pourrait lui ressembler si elle ne portait pas, comme d’autres avec elle, ce voile opaque et si épais qui lui cache la moitié du visage et retombe sur ses épaules. On ne sait pas si c’est pour circuler en liberté sans craindre les rires gras des garçons ou pour énerver les parents. Ou les autres. Ma mère, ça l’énerve, elle dit qu’elle est pas partie de là-bas pour s’y retrouver. Elle dit qu’ici une femme peut se promener en short et en pantalon, faire du vélo ou du sport et que Leïla devrait en profiter au lieu de jouer à la rigoriste. Leïla, elle répond jamais, ça énerve encore plus ma mère. Mon père, lui, il dit rien, comme d’habitude. Peut-être qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec ma mère mais il ne veut pas se fâcher alors il laisse dire. Et il laisse faire Leïla. Moi je crois que Leïla ne sait pas trop à quoi il sert, son voile, mais ça fait genre, même si elle aurait sûrement pu trouver autre chose.
Dans la chronologie de l’histoire de l’art, y en a pas, de femmes voilées, elles seraient même plutôt déshabillées. Pourtant, le prof a fait attention à ses choix, sûrement pour pas se faire engueuler par des parents. Mais nous, on cafte pas, on aime bien les voir, les belles déshabillées, puisqu’on a le droit. Il a mis aussi des statues d’hommes nus, et ça, ça nous fait moins rigoler. C’est pour ça que je comprends un peu Leïla, le voile, c’est son armure. Mais y a sûrement d’autres moyens, même dans cette cité.
En tout cas, Léonard, lui, il pouvait peindre ce qu’il aimait, même si le prof dit qu’il a pas toujours été le bienvenu partout, j’ai pas très bien compris pourquoi. Il nous a dit qu’à lui aussi, il était arrivé de peindre sur des murs, comme les taggers. A l’époque, ça se faisait et ces peintures-là étaient aussi éphémères : l’une a disparu très vite et l’autre part en lambeaux dans une église du nord de l’Italie. Une histoire de pigments, dit le prof. Comme pour la couleur de la peau. Qui elle, ne disparaît pas.

vendredi 11 octobre 2013

Le minois de Manon


C’est l’éternel destin : le destin des femmes qui sont châtiées lorsqu’elles ne suivent pas le chemin que leur ont tracé les hommes. Dans le cas de Manon, opéra français de Massenet, la jeune fille a 16 ans et comme elle a envie de s’amuser, on l’envoie au couvent. Bien entendu, en chemin, son joli minois fait des ravages, un jeune homme est séduit et ils se sauvent vivre leur vie. Sauf qu’à l’époque, il faut le consentement du père, qui détient les subsides. On sauve le jeune homme mais on laisse la jeune fille s’enliser dans une vie de courtisane, qui lui plaît, elle qui n’avait rien. Ca finit très mal, pour Manon qui meurt, pour son chevalier Des Grieux qui reste vivant mais désespéré. Pour combien de temps ?
Il faut bien le dire, le livret a de grandes faiblesses et des raccourcis saisissants (si on n'a pas lu le roman d'origine). Mais c’est un opéra comique.  La mise en scène de Laurent Pelly, au théâtre du Capitole, est inégale, avec de très bonnes idées (les scènes des chœurs d’hommes face à Manon), d’autres moins compréhensibles. Il faut dire que les décors sont lourds, avec des lignes de perspective fuyantes ou de guingois, pour dire quoi ? On rit parfois, surtout lorsque les trois coquettes sont sur scène et on pleure aussi, sur cet amour impossible. Manon n’est pas une vraie coquette, elle ne suit pas complètement les règles et s’écarte du chemin. On se dit qu’aujourd’hui, ce serait plus facile, même si ça finirait mal aussi, mais on n’en mourrait pas quand même ! Plus de morale, plus de serments, moins de mariage (il n’en est guère question cependant), tout fiche le camp. Ce n’est quand même pas un opéra révolutionnaire et pour ma part, dans le genre français, je préfère nettement Carmen, qui transporte et va plus loin, dans le comique comme dans la tragédie, avec de bien plus beaux airs.