lundi 25 novembre 2013

Passer le temps


Entendre le clic de la radio qui s’éveille
Se reconnecter au monde avant le  soleil
S’étonner du choix du programmateur le matin
Se lever finalement parce qu’il le faut bien
Laisser le lit défait, les fenêtres ouvertes
Choisir indifféremment l’habit que l’on va mettre
Descendre l’escalier, parfois fraiche et pimpante
Ou se laisser glisser déjà sur une mauvaise pente
Boire le café sans penser à rien
Vérifier le sac, tout y est bien
Fermer les portes sans s’en apercevoir
Dire au chat je reviendrai ce soir
Se rendormir un peu dans le bus, le métro
Sans lire les unes des journaux idiots
Arriver au bureau la première, trop tôt
Passer la matinée à faire son boulot
Sortir prendre l’air et respirer un peu
Sourire au sms envoyé par son amoureux
Repartir et puis finir en étant fatiguée
Avoir besoin d’un sas avant la 3ème journée
Se vautrer une heure à faire des mots croisés
A lire le journal ou à étudier
Ecouter les peines de mon étudiante préférée
La rassurer, la consoler puis la laisser filer
Envoyer quelques mails pour ne pas oublier
Les quelques amis eux aussi connectés
Remettre enfin au lendemain
Tout ce qui reste, c’est à dire presque rien
Sentir la fatigue et la vieillesse accumulées
Faire comme si c’était toujours l’été
L’été de mes seize ans, de la liberté
Alors qu’on a sans cesse les mains entravées
(Bages - mai 2011)

vendredi 15 novembre 2013

Du vent dans l'escarcelle_2


J’habite au 22 rue Christophe Colomb. Oh je sais, ça peut prêter à sourire, quand on sait que je ne peux pas bouger de mon lit, voire de mon fauteuil, les grands jours. J’ai 15 ans et je ne suis pas sûr d’arriver à 22. Ce n’est pas grave, Colomb a bien dû attendre d’avoir 40 ans avant de pouvoir réaliser son rêve. Les miens aussi sont nombreux et qui sait ?  Comme dit maman, tant qu’il y a de la vie… Je suis atteint d’une maladie dite « orpheline »,  quel drôle de nom. Heureusement, moi, je ne suis pas orphelin, c’est ce que dit toujours le Dr Heubert, qui vient chaque semaine. Quand ça ne va pas fort, ça fait pleurer maman, mais quand ça va bien, ça la fait sourire.  J’aime bien le Dr Heubert, il reste toujours calme et me dit que je dois essayer de vivre chaque instant intensément. M’accrocher à mes rêves, car s’il n’avait pas fait comme ça, Christophe Colomb ne serait arrivé à rien. J’essaie parfois de le croire mais quand je suis trop fatigué, je sais qu’aucune personne atteint de maladie telle que la mienne ne peut faire le tour du monde et encore moins en découvrir de nouveau.
D’autres fois, je me dis : Est-ce que c’est vraiment grave ? Aussi bien, depuis 1492,  tous les mondes sont connus et seuls les remèdes aux maladies orphelines restent encore à être découverts. Bien sûr, j’aurais aimé, par exemple, être le médecin qui finira par trouver ce qui ferait mon bonheur et aussi celui de maman. A la place, je me réfugie dans d’autres mondes, plus ou moins réels ceux-là. Mais ceux de Christophe Colomb aussi étaient imaginaires, tant qu’il n’a pas pu prouver que ce qu’il croyait était juste, et qu’il est revenu pour le dire. Qui y croyait à part lui-même ? Il a quand même réussi à convaincre et à partir. Il est arrivé au bout de ses rêves alors qu’au départ il n’avait rien, que des cartes, des récits de marins et l’intuition qu’il ne se trompait pas.  J’aimerais bien avoir aussi son courage de fer. Je n’y réussis pas toujours. Maman dit que ce n’est pas grave, que je dois faire juste du mieux que je peux. Peut-être que Christophe Colomb aussi avait juste envie de s’échapper, et n’en avait pas les moyens, comme moi. Parfois, maman aussi a envie de s’échapper, je le sais.  Quand elle écoute un certain morceau de Schubert, si mélancolique, ou quand elle regarde par la fenêtre, au loin,  là où son autre vie, celle à laquelle elle n’aura pas droit, celle qui est restée derrière elle, lui fait signe. Mais peu importe, j’ai appris à la laisser tranquille dans ces moments-là, enfin quand je peux.
Après tout, je n’ai pas tellement de choix. Ma vie se passe entre quatre murs et une fenêtre. Est-ce que les autres gens ont l’impression de choisir leur voie ? La mienne est toute tracée et celle de Maman, je l’ai déviée malgré moi. Elle s’en fiche quand on est complices. Quand ça va plus mal et qu’on se regarde en coin,  elle soupire un peu mais ça ne dure pas bien longtemps. Je ne connais pas ses rêves, elle n’en parle pas.  Je ne veux pas penser à d’autres choses, que je comprends mal et qui pourraient m’attrister. Je préfère m’évader et rêver.
Christophe Colomb rêvait d’être roi, moi pas. Pendant mes séjours à l’hôpital, j’aimerais bien être quelqu’un d’autre, loin de cet univers blanc et bruyant. Quand je suis dans ma chambre,  à la maison, c’est plus calme et des tas d’histoires me tiennent compagnie. Des livres, des bandes dessinées, et puis internet. Là, moi aussi, je pars à la recherche de nouveaux mondes, comme Christophe Colomb. Je navigue, je surfe, c’est moi le capitaine, qui décide d’aller par ici ou par là. Il y a des écueils, des pirates et des plages. Ma vie en ligne ne ressemble en rien à ma vie réelle, je ne sais pas laquelle est la moins virtuelle. Je peux découvrir l’Amérique et connaître les Indiens, je peux être en Inde et jouer au football américain. Mon avatar à moi se nomme Christophe Colomb, il découvre le monde à ma place.  C’est ma deuxième vie. Il est moi, je suis lui. Lequel des deux est le plus vivant ?

lundi 11 novembre 2013

Cadix, Andalousie


Ce roman d’Arturo Perez-Reverte est un mélange subtil de roman historique et de roman policier, en passant par une description de l’art de la guerre, du point de vue des artilleurs, des commandants ; de l’art de la contrebande, étroitement mêlée au commerce maritime florissant et à la guerre. Et aussi un roman d’espionnage, ou, pourquoi pas, patriotique. Reste encore une petite touche d’amour absolument impensable entre deux êtres qui appartiennent à des castes trop éloignées. Voilà, vous avez tous les ingrédients de « Cadix, ou la diagonale du fou » (Maspero, 2011). Sur fond de presqu’île, terre entourée d’eaux, mer ou étiers et d’un peuple qui ne vit que pour et par la mer. Ah, la mer, que le marin déteste et que l’armateur adore. L’un y vit, l’autre en vit. Bien entendu, c’est toujours le patron qui gagne, pas le corsaire. Celui qui paie l’autre et qui reste à l’abri. Oui, c’est vrai lui aussi prend des risques mais c’est pas tout à fait pareil. C’est l’éternelle histoire des riches et des pauvres. Comme on pouvait s’y attendre, l’amour a peu de poids et guère de chance de triompher.
L’écriture est serrée, il y a des tonnes de choses à dire, au travers de ces morceaux de vie mêlées. Un peu trop peut être ? L’auteur n’a pas su ou pas voulu démêler les fils de toutes ces histoires enchevêtrées, à nous de tirer sur tel ou tel fil. De toutes façons on sent bien que tout va mal finir ou pas finir du tout : certains meurent, coupables ou non, et de quoi ? Les envahisseurs se retirent sans avoir vraiment perdu de bataille et chacun suit sa trajectoire personnelle dans ce grand branle-bas plus pesant encore que la vie ordinaire, puisque c’est la guerre. Une vie, des vies mouvementées mais qui n’altèrent pas le grand ordonnancement des choses, où les plus petits vivent et meurent selon le bon vouloir des plus grands, des nantis, des bien nés.
Un grand travail de recherche, des chapitres très documentés, des détails historiques, qui donne un roman noir et coloré, au propre comme au figuré. Manque le je ne sais quoi qui lierait le tout. Une vraie histoire d’amour peut-être ? Oui, ça n’existe que dans les livres… ben justement.