mardi 13 mai 2014

La piste des OVNI est parsemée de fraises des bois


Ca ne pouvait arriver qu’à moi. Moi qui ne crois en rien ou pas grand chose et en tout cas sûrement pas aux fariboles des hallucinés en tout genre du type « Je suis le nouveau Jésus » ou « J’ai vu des choses bizarres dans le ciel samedi soir en revenant de boîte ». On m’en a raconté, pourtant, depuis que je suis toute petite : même si je ne suis pas allée au catéchisme et si par conséquent les croyances populaires mais chrétiennes me sont étrangères, il s’est quand même trouvé parmi mes amis des qui avaient rencontré des fantômes, des qui avaient vu des soucoupes volantes (ou si ce n’était pas eux c’était des copains à eux), des qui recevaient des appels de leur grand-mère depuis l’au-delà… Et je ne parle même pas des prémonitions en tout genre, ni de celles qui se font tirer les cartes juste histoire de voir et encore moins de ceux qui posent les pierres à des endroits stratégiques juste au cas où des esprits malfaisants s’aventureraient dans le coin. Je faisais fi des légendes et conseillait à tout faiseur d’histoires de lire celle des « lieux de légendes » d’Umberto Eco. Il y règle le sort de tous les colporteurs de mythes qui se sont succédés au fil des siècles,  de Platon à Dan Brown, sans aucune pitié et avec une rigueur toute scientifique.
Bref, j’étais partie sereine et sans arrière-pensée dans ce petit bled paumé à la croisée des chemins, entre un village lié à une obscure histoire d’abbé devenu soudainement riche et une montagne inversée pour laquelle les soubresauts de l’histoire avaient largement contribué à asseoir une réputation magique. J’y allais pour grimper au sommet, une randonnée nature et végétale, bien qu’elle se fût révélée au final assez minérale.
Oh, la randonnée s’est bien passée, la grimpette fut ardue mais sereine, sur un sentier touffu et ombragé, bordé de buis et de fraises des bois hélas encore en fleurs, puis à découvert. On a atteint des sommets, un premier d’abord, véritable pré vert assez grand pour qu’une soucoupe s’y pose, puis un second tout empierré, où seules les arêtes rocheuses de formes diverses pouvaient faire penser à des vaisseaux spatiaux, si on laissait l’imagination s’emballer. De petites montagnes de cailloux posés çà et là par les grimpeurs pèlerins faisaient sans cesse penser au malheureux Haddock entraîné malgré lui dans la descente et sommé de contourner un monticule de ce type par la gauche (la droite ?), alors même qu’il arrive à peine à ne pas s’emmêler les guibolles dans sa course vertigineuse. Evidemment, au moment fatidique on ne se souvient jamais s’il faut passer à droite ou à gauche et d’ailleurs, on ne nous explique jamais le pourquoi de ce genre de croyance. 
Revenons à nos moutons, que d’ailleurs nous apercevions de loin, tout petits dans leur pâturage verdoyant. Après nous être restaurés, après un repos ma foi bien mérité, nous nous sommes décidés à redescendre, tant qu’il faisait encore clair et soleil. Mais la descente s’est avérée bien plus difficile que prévue, sur des cailloux qui roulaient, une pierre souvent glissante et lisse où la chaussure partait seule vers une direction non anticipée. Les yeux rivés au sol, nous avons tenté, comme Haddock, de faire au mieux sans se casser la figure. C’était fatiguant, alors pour nous changer les idées nous avons pris un sentier d’écolier qui partait vers une arête rocheuse, ventée et étroite. Le seul avantage de ce coin, à part la vue, était que les rapaces s’amusaient comme des fous à jouer dans le vent, faisant semblant de repérer des proies tout en bas, sur le sol très loin, alors même que nos pauvres yeux humains ne distinguaient qu’avec peine une masse verte et quelques taches de couleur. Pour ramener une belle photo, j’essayais de capter un aigle aux ailes déployées dans mon viseur. Peine perdue, ils étaient trop doués pour moi, mais bon, l’humain est opiniâtre. L’œil collé au viseur, je tournais sur moi même pour en suivre, un, deux, un troisième, quand soudain j’ai senti un choc et comme un appel d’air. Et je me suis vue tomber, voler, planer, tel un grand oiseau, sans que le vide ne soit un problème. Les aigles qui m’accompagnaient étaient peut-être royaux, en tout cas ils m’ont guidée vers une grande crevasse, entre deux disques de pierre et là, en rasant les parois, je les ai vues. Deux grandes soucoupes lumineuses et blanches, garées là, sur le côté, invisibles pour qui n’était pas oiseau. Je n’ai vu personne, humain ou pas, rien qui bougeait, rien qui laissait penser à une quelconque vie. J’aurais voulu attendre, mais les aigles m’ont fait remonter, glisser sous le vent et je n’avais pas d’autre choix, il y en avait au dessus et au dessous de moi, partout, de grandes ailes qui bruissaient autour de moi avec des cris bizarres. Je sentais même des coups de bec sur ma joue, à un moment j’ai cru que la pluie commençait à tomber, ce n’était pas de la pluie, c’était carrément une cascade. Je me sentais comme après un atterrissage forcé, j’ai ouvert les yeux et me suis retrouvée humaine comme avant, avec les quatre fers en l’air et mes potes qui riaient de m’avoir vue me casser la figure puis, un peu inquiets devant mon air stupide et béat, mon immobilité, qui m’avaient jeté de l’eau pour me réveiller. J’ai ri avec eux, piteuse de ma chute, j’ai ramassé mon appareil photo et je suis repartie encore étourdie tout en bas, là où les humains vivent habituellement, même s’ils se laissent griser par les hauteurs juste le temps d’un battement d’aile. 

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