Vous connaissez Daphné ? Non, je ne
parle pas de ces minuscules bestioles achetées en boîte pour nourrir vos
poissons exotiques en bocal… Je parle de la nymphe qui n’aimait pas l’amour et
qui pour échapper aux assiduités du jeune dieu Apollon, demanda à se
transformer en laurier, laurier rose, en grec rhododaphné. En arbre, elle ne
craignait plus rien des hommes et de leur lubricité.
Dans la même histoire, il y a un jeune
pâtre qui étant lui-même très amoureux de la jeune fille, décide sur les
conseils perfides de ses soeurs de se déguiser en femme voilée pour pouvoir
approcher la belle. Ca finit mal pour lui bien évidemment, on ne peut pas se
mesurer à Apollon.
La mythologie grecque est truffée de
personnages plus ou moins tragiques. Ils sont régulièrement remis au goût du
jour par les écrivains en mal d’idées, les librettistes en mal de scénario, les
scénaristes en mal de synopsis… même s’il faut lire entre les mots.
Daphné, opéra de Strauss, n’échappe pas à
la règle : on comprend vite que Daphné n’aime pas l’amour des hommes
malgré sa beauté et ne comprend même pas vraiment de quoi il s’agit
(serait-elle un peu demeurée ?). Ce qu’elle aime c’est la nature, les
bois, les sources, les fleurs, les arbres et leurs feuillages. Une Manon avant
l’heure (mais sans le côté plantureux). On comprend vite aussi que ses parents,
par contre, seraient trop heureux de la voir mariée, avec qui que ce soit, y
compris un dieu de passage (à l’acte oserai-je le dire). Finalement, le fait
d’être aimée par un dieu la sauvera et lui permettra de se transformer en
arbre, comme elle l’a toujours souhaité, alors que si Apollon n’avait pas été
là, son père (et sa mère pareillement) l’aurait charitablement remise à son ami
d’enfance qui la convoite depuis tout petit, même au prix d’un lamentable
artifice de déguisement dont personne n’est dupe sauf Daphné elle-même,
tellement « ingénue».
Au fond qu’est ce que cela veut
dire ? Qu’il ne faut pas se mêler aux hommes lorsqu’on est dieu (et vlan
pour Apollon), qu’il faut respecter les
usages et obéir à ses parents (et vlan pour Daphné), que la raison du plus fort
est toujours la meilleure (et vlan pour Leukippos), depuis La Fontaine en passant
par Fersen (les malheurs du lion).
Les mythes ont la vie dure, surtout ceux
des grecs. Les autres se comptent sur les doigts d’une main et on ne sait pas
s’il faut les admirer ou les mépriser : ainsi Don Juan, ainsi Faust,
mythes des plus modernes, et je ne peux m’empêcher de terminer avec cette
phrase sublime de Romain Gary à propos de Faust :
« La véritable tragédie de Faust, ce n'est pas qu'il ait vendu son âme au
diable. La véritable tragédie, c'est qu'il n'y a personne pour vous acheter
votre âme.»
La belle Daphné n’était pas prête à
vendre son âme, ni à dieu ni à diable, elle s’en sort par une pirouette, car personne
ne sort gagnant de cette histoire. J’ai bien peur que la vie ne soit pas
toujours aussi simple que les mythes et leurs adaptations diverses voudraient
bien nous le faire croire.