samedi 28 juin 2014

En finir avec les mythes


Vous connaissez Daphné ? Non, je ne parle pas de ces minuscules bestioles achetées en boîte pour nourrir vos poissons exotiques en bocal… Je parle de la nymphe qui n’aimait pas l’amour et qui pour échapper aux assiduités du jeune dieu Apollon, demanda à se transformer en laurier, laurier rose, en grec rhododaphné. En arbre, elle ne craignait plus rien des hommes et de leur lubricité.
Dans la même histoire, il y a un jeune pâtre qui étant lui-même très amoureux de la jeune fille, décide sur les conseils perfides de ses soeurs de se déguiser en femme voilée pour pouvoir approcher la belle. Ca finit mal pour lui bien évidemment, on ne peut pas se mesurer à  Apollon.
La mythologie grecque est truffée de personnages plus ou moins tragiques. Ils sont régulièrement remis au goût du jour par les écrivains en mal d’idées, les librettistes en mal de scénario, les scénaristes en mal de synopsis… même s’il faut lire entre les mots.
Daphné, opéra de Strauss, n’échappe pas à la règle : on comprend vite que Daphné n’aime pas l’amour des hommes malgré sa beauté et ne comprend même pas vraiment de quoi il s’agit (serait-elle un peu demeurée ?). Ce qu’elle aime c’est la nature, les bois, les sources, les fleurs, les arbres et leurs feuillages. Une Manon avant l’heure (mais sans le côté plantureux). On comprend vite aussi que ses parents, par contre, seraient trop heureux de la voir mariée, avec qui que ce soit, y compris un dieu de passage (à l’acte oserai-je le dire). Finalement, le fait d’être aimée par un dieu la sauvera et lui permettra de se transformer en arbre, comme elle l’a toujours souhaité, alors que si Apollon n’avait pas été là, son père (et sa mère pareillement) l’aurait charitablement remise à son ami d’enfance qui la convoite depuis tout petit, même au prix d’un lamentable artifice de déguisement dont personne n’est dupe sauf Daphné elle-même, tellement « ingénue».
Au fond qu’est ce que cela veut dire ? Qu’il ne faut pas se mêler aux hommes lorsqu’on est dieu (et vlan pour Apollon),  qu’il faut respecter les usages et obéir à ses parents (et vlan pour Daphné), que la raison du plus fort est toujours la meilleure (et vlan pour Leukippos), depuis La Fontaine en passant par Fersen (les malheurs du lion).
Les mythes ont la vie dure, surtout ceux des grecs. Les autres se comptent sur les doigts d’une main et on ne sait pas s’il faut les admirer ou les mépriser : ainsi Don Juan, ainsi Faust, mythes des plus modernes, et je ne peux m’empêcher de terminer avec cette phrase sublime de Romain Gary à propos de Faust :
« La véritable tragédie de Faust, ce n'est pas qu'il ait vendu son âme au diable. La véritable tragédie, c'est qu'il n'y a personne pour vous acheter votre âme
La belle Daphné n’était pas prête à vendre son âme, ni à dieu ni à diable, elle s’en sort par une pirouette, car personne ne sort gagnant de cette histoire. J’ai bien peur que la vie ne soit pas toujours aussi simple que les mythes et leurs adaptations diverses voudraient bien nous le faire croire.

samedi 21 juin 2014

Ecrits de Bages (4) - A mon stylo


 De quoi te plains-tu ? Ca fait quasiment un an que je te laisse dans le noir le plus absolu, faute d’atelier d’écriture. Tu en es devenu violet de colère, alors aujourd’hui sois content, tu es sorti de ta prison-trousse et tu peux courir autant que tu veux sur la page. Tout un bloc de papier pour toi tout seul, plusieurs heures devant toi, tu peux dégoiser tout ce que tu sais. Raconte tout ce que tu veux, c’est toi que je veux entendre, toi qui m’as tant aidé à supporter les heures ennuyeuses des cours de maths de seconde au lycée… Quoi, ce n’était pas toi ? C’était donc ton frère, car je ne me suis jamais séparée de vous bien longtemps, trop facile d’écrire, votre mine glisse sur la page avec un contact lisse, j’arrive presque à croire que j’écris bien. Et surtout, seuls toi et tes frères êtes arrivés à m’enlever cette « bosse du doigt » qu’ont tous ceux qui écrivent trop et qui tiennent leur stylo « pas comme il faut ». Cette petite difformité aurait fait le nectar d’un Sherlock Holmes, qui en aurait sans nul doute déduit mon goût d’écrire. Aujourd’hui elle a presque disparue, grâce à toi. Et j’arrive presque à croire que j’écris bien, je veux dire bien entendu de façon lisible, car pour ce qui est du contenu, j’attends que tu trouves. Je ne vais quand même pas faire tout le boulot. Te souviens-tu quand je me suis mise à écrire à l’envers, de droite à gauche, pour épater les potes du lycée en imitant Léonard de Vinci ? C’est resté mon peintre préféré et aujourd’hui je sais toujours écrire à l’srevne ; toi aussi, non ? Tu n’as pas oublié, je préfère ça. On a passé de longues heures ensemble et quand je partirai sur une île déserte, je t’emmènerai avec moi. Parfois c’est moi qui t’emmène là où je veux mais d’autres fois, tu le sais bien, tu vas bien plus vite que mon cerveau et tu as beaucoup plus d’idées. C’est le fameux moment où les personnages prennent vie et décident eux-mêmes de la suite de l’histoire. Ce fameux moment où l’écrivain n’est plus qu’une main, le stylo fait tout le reste jusqu’au point final. Allez, fais pas ta mijaurée, j’ai bien compris que ce n’était pas vraiment les personnages mais toi seul, chez Simenon comme chez Léonard, même combat, pinceau ou stylo, c’est vous les maîtres du destin. Tu sais quand je l’ai compris ? Quand il y a eu rupture de stock des pilot taille 5 à la papeterie. J’ai eu comme un choc et n’ai rien pu écrire pendant plusieurs semaines. Tu comprends pourquoi je compte beaucoup sur toi, toujours, au boulot comme à la maison et quel que soit la forme de ce que je dois écrire. Alors, vas-y.

Merci à Mireille Bloyer

samedi 7 juin 2014

Ecrits de Bages (3) - dimanche mode d'emploi


DIMANCHES MODE D’EMPLOI
1er Congrès national
discours d’ouverture de Xavier Grillage, directeur commercial – Fastorama

Chers collègues,  bienvenue à ce Congrès « Dimanches, mode d’emploi », le premier du nom, certes, mais qui va ouvrir la voie à de nombreux autres, si j’en crois les termes du décret 2014-106 du 26 avril dernier.
Ce décret, mes chers collègues, va profondément bouleverser les habitudes dominicales ancrées au plus profond de l’âme de nos concitoyens depuis la bible des temps, depuis trop longtemps. Il va enfin délivrer les familles, déjà désorganisées, du joug de leurs obligations compliquées. Il va inaugurer une nouvelle ère de prospérité pour le commerce au féminin, au masculin et aux homosexualités. Nous assistons à une vraie révolution sociétale à la française, qui va sans doute se répandre au-delà de nos frontières, lorsque nos homologues auront lu nos futurs bilans financiers.
Finis les dimanches à la campagne où le pêcheur s’endort sur son bouchon ! Finis les pique-niques familiaux aux sandwichs tomate-mayo ! Fini le temps où seul le bistro-PMU du coin faisait recette ! Terminé le diktat des jardineries-animaleries, qui faisaient office de promenades, espace vert, zoo et déco !
Le dimanche n’est plus tabou, le dimanche n’est plus ennuyeux, le dimanche n’est plus familial, il est désormais co-mmer-cial !
La concurrence des musées est quasi-nulle, celle des cinés en perte de vitesse. Le mode d’emploi des dimanches prochains sera simple, efficace, constructif et avec bénéfice net : je vous en livrerai les secrets tout à l’heure.
Pour l’instant, je veux juste insister sur les moyens déployés par notre société pour en finir avec le « sacré dimanche » : réorganisation totale de tous les magasins, campagne de publicité avec affiches 4x3 sur toute la France avec ce slogan qui marquera les esprits : Dimanche chez Fasto, j’y cours illico ». Les spots télévisés, vous les voyez en ce moment même défiler derrière moi, sont au nombre de 5, qui s’adressent aux 5 types de consommateurs : la famille qui s’ennuie, le bricolo dingo, les cougars atteintes de la maladie de la déco, les bobios tout conso et les primo acquéreurs endettés jusqu’au cou. Oui, nous avons pensé à tout et désormais, tout le monde va penser à nous.
Tous les magasins ont été réorganisés dans cet objectif : snack et cafétéria annexés pour éviter  un départ au MacDo ; vraies réclames et fausses affaires spécifiques au dimanche ; aires de jeux avec toboggans et balançoires ancrés au sol, imitations parfaites de ceux qu’on vend dans les rayons. Un système de vidéo surveillance automatique des enfants sur écran géant est en phase de préparation. Le client doit avoir les mains vides en arrivant, l’esprit libéré en parcourant les rayons. Il doit repartir le portefeuille vide et le chariot plein. Pour cela, une filiale spéciale « crédit facile » a été créée avec guichet ouvert à tous 7 jours sur 7.
Vous l’avez compris, notre objectif, en faisant voter ce décret après 5 années de batailles juridiques et syndicales est atteint : plus de temps mort dans la consommation inutile !
Voici donc le mode d’emploi de ces nouveaux dimanches, décliné en huit points forts :
1/ heures d’ouverture 9h/21h pour avoir les lève-tard comme les couche-tôt
2/ écrans géants qui retransmettent en direct du Vatican les messes papales pour les nostalgiques des sorties d’église
3/ en cas de finale de foot, retransmission en direct, dans la partie du fond dans un cadre déco bistro
4/ espaces ludiques gratuits pour enfants de 18 mois à 12 ans
5/ Fasto drive pour ceux qui savent ce qu’ils veulent
6/ Cafétéria avec menu spécial pique-nique sur nappe à carreaux. On peut apporter ses cornichons.
7/ parties de pêche sur lac artificiel avec lots de truites sauvages à gagner
8/ espaces réservés décoration, qui feront office de : musée d’art contemporain,  art chinois et beaux-arts puisque chaque article est décliné en 8 couleurs, 5 matières, 3 prix.
Chaque catégorie de client, reconnaissable dès l’entrée, se verra distribuer un audio-guide qui le mènera dans chaque allée qui l’intéresse, par un subtil circuit pré-établi qui passe par toutes les autres également, afin de ne pas manquer d’occasions.
Les dimanches Fastorama ouvrent la voie et sonnent la fin des dimanches synonymes d’ennui et de perte de temps, pour nous perte d’argent. Nous sommes les inventeurs d‘un nouveau concept : le dimanche conso, qui va anéantir des siècles de dimanches gâteaux – familiaux- bénito-bistro.
Je suis fier de cette révolution, je sais que vous tous, fers de lance de cette innovation, irez encore plus loin vers notre seul objectif commun : le rendement.

Applaudissements.


Merci à Faby Robinson