On n’a jamais fini d’apprendre. En ces
temps mitigés où théories du genre et mariage homosexuel n’en finissent pas de
faire dégoiser même les plus blasés, je me suis plongée dans un livre
d’Elisabeth Badinter : « Emilie, Emilie, l’ambition féminine au
XVIIIème siècle » paru chez Flammarion en 1983. J’y ai appris qu’à
l’époque des Lumières, toujours au programme des livres d’histoire, quelques
femmes ont réussi à se faire connaître par des connaissances, des publications
scientifiques ou sociétales, d’un niveau égal aux Messieurs de l’époque. Or,
malencontreusement, il semble que ces esprits féminins soient passés sous
silence dans notre enseignement si peu moderne. Jean-Jacques Rousseau et Denis
Diderot, Voltaire ou Melchior Grimm, ceux-là sont encensés, enseignés, connus,
lus, adulés, critiqués… mais qui parle aux lycéens d’Emilie du Châtelet et de Louise d’Epinay sauf pour dire que
celles-là étaient les maîtresses de ceux-ci ? Or ces deux dames ont publié
des ouvrages à l’époque fort lus, parfois primés et aujourd’hui pas forcément
plus datés que ceux de leurs confrères, notamment ceux de Monsieur Rousseau.
Mme du Châtelet est la première traductrice de Newton et celle qui a su
divulguer ses idées. Mme d’Epinay une pédagogue clairvoyante aux idées sur
l’éducation des filles contraires à celles de Jean-Jacques Rousseau, dont on lit
encore l’Emile en classe, qu’on soit fille ou garçon.
Les deux Emilie étaient ambitieuses et
douées. Au siècle des Lumières cependant, il ne leur était pas possible d’aller
plus loin que ce qu’elles ont fait, en dépit de tous et de toutes. J’ose
espérer qu’aujourd’hui, les filles qui en classe trouvent leur bonheur dans
quelque discipline que ce soit, atteignent sans encombre les plus hautes
sphères si elles le souhaitent, sans être freinées par qui que ce soit. Et
j’aimerais qu’en classe, les maîtres disent ne serait-ce qu’un mot de ces
précurseurs, juste pour savoir qu’elles ont existé et que rien n’est impossible
pour vous mesdames, pour peu que vous vous en donniez la peine.
Je ne peux m’empêcher de donner ici
quelques extraits de la pensée de ces deux ambitieuses, sur la condition
féminine de l’époque :
Mme d’Epinay : « Tout ce qui tient à la science de
l’administration, de la politique, du commerce, leur est étranger et leur est
interdit ; elles ne peuvent ni ne doivent s’en mêler, et voilà presque les
seules grandes causes par lesquelles les hommes instruits ou savants peuvent
vraiment être utiles à leurs semblables, à l’Etat, à leur patrie. Il leur reste
donc les belles lettres, la philosophie et les arts. » Les
restrictions étant nombreuses pour ce qui est des lettres, voyons pour les
arts : « Mais voyons donc si
elles s’empareront de l’empire des arts et jusqu’à quel point elles pourront
s’y livrer. Les arts mécaniques ne peuvent être de leur ressort. Dans les arts
agréables, je les vois encore forcées de renoncer à la sculpture, même à la
peinture. L’impossibilité de voyager et de contempler les chefs d’œuvres des
écoles étrangères, la décence qui leur interdit l’école de la nature, tout dans
nos mœurs s’oppose à leurs progrès. Je crois qu’il est inutile de parler
d’architecture. Les voilà donc réduites à la musique, à la danse et aux vers
innocents : chétive ressource, et qui n’a qu’un temps limité. »
Mme du Châtelet : « Je sens tout le poids du préjugé qui nous
exclut si universellement des sciences, et c’est une des contradictions de ce
monde, qui m’a toujours le plus étonnée, car il y a de grands pays, dont la loi
nous permet de régler la destinée, mais il n’y en a point où nous soyons
élevées à penser. Une réflexion sur ce préjugé (…) c’est que la comédie est la
seule profession qui exige quelque étude, et quelque culture d’esprit, dans
laquelle les femmes soient admises, et c’est en même temps la seule qui soit
déclarée infâme. »
Qui peut assurer que tout ceci est
fini aujourd’hui ?
Les Emilie en étaient bien persuadées,
qu’il faudrait du temps pour se débarrasser de ces préjugés : « Il faudrait sans doute plusieurs générations
pour nous remettre telles que la nature nous fit. Nous pourrions peut-être y
gagner ; mais les hommes y perdraient trop. Ils sont bien heureux que nous ne soyons pas
pires que nous ne sommes, après tout ce qu’ils ont fait pour nous dénaturer par
leurs belles institutions. »
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