mercredi 9 juillet 2014

De la nature des femmes


On n’a jamais fini d’apprendre. En ces temps mitigés où théories du genre et mariage homosexuel n’en finissent pas de faire dégoiser même les plus blasés, je me suis plongée dans un livre d’Elisabeth Badinter : « Emilie, Emilie, l’ambition féminine au XVIIIème siècle » paru chez Flammarion en 1983. J’y ai appris qu’à l’époque des Lumières, toujours au programme des livres d’histoire, quelques femmes ont réussi à se faire connaître par des connaissances, des publications scientifiques ou sociétales, d’un niveau égal aux Messieurs de l’époque. Or, malencontreusement, il semble que ces esprits féminins soient passés sous silence dans notre enseignement si peu moderne. Jean-Jacques Rousseau et Denis Diderot, Voltaire ou Melchior Grimm, ceux-là sont encensés, enseignés, connus, lus, adulés, critiqués… mais qui parle aux lycéens d’Emilie du Châtelet  et de Louise d’Epinay sauf pour dire que celles-là étaient les maîtresses de ceux-ci ? Or ces deux dames ont publié des ouvrages à l’époque fort lus, parfois primés et aujourd’hui pas forcément plus datés que ceux de leurs confrères, notamment ceux de Monsieur Rousseau. Mme du Châtelet est la première traductrice de Newton et celle qui a su divulguer ses idées. Mme d’Epinay une pédagogue clairvoyante aux idées sur l’éducation des filles contraires à celles de Jean-Jacques Rousseau, dont on lit encore l’Emile en classe, qu’on soit fille ou garçon.

Les deux Emilie étaient ambitieuses et douées. Au siècle des Lumières cependant, il ne leur était pas possible d’aller plus loin que ce qu’elles ont fait, en dépit de tous et de toutes. J’ose espérer qu’aujourd’hui, les filles qui en classe trouvent leur bonheur dans quelque discipline que ce soit, atteignent sans encombre les plus hautes sphères si elles le souhaitent, sans être freinées par qui que ce soit. Et j’aimerais qu’en classe, les maîtres disent ne serait-ce qu’un mot de ces précurseurs, juste pour savoir qu’elles ont existé et que rien n’est impossible pour vous mesdames, pour peu que vous vous en donniez la peine.
Je ne peux m’empêcher de donner ici quelques extraits de la pensée de ces deux ambitieuses, sur la condition féminine de l’époque :
Mme d’Epinay : « Tout ce qui tient à la science de l’administration, de la politique, du commerce, leur est étranger et leur est interdit ; elles ne peuvent ni ne doivent s’en mêler, et voilà presque les seules grandes causes par lesquelles les hommes instruits ou savants peuvent vraiment être utiles à leurs semblables, à l’Etat, à leur patrie. Il leur reste donc les belles lettres, la philosophie et les arts. » Les restrictions étant nombreuses pour ce qui est des lettres, voyons pour les arts : « Mais voyons donc si elles s’empareront de l’empire des arts et jusqu’à quel point elles pourront s’y livrer. Les arts mécaniques ne peuvent être de leur ressort. Dans les arts agréables, je les vois encore forcées de renoncer à la sculpture, même à la peinture. L’impossibilité de voyager et de contempler les chefs d’œuvres des écoles étrangères, la décence qui leur interdit l’école de la nature, tout dans nos mœurs s’oppose à leurs progrès. Je crois qu’il est inutile de parler d’architecture. Les voilà donc réduites à la musique, à la danse et aux vers innocents : chétive ressource, et qui n’a qu’un temps limité. »
Mme du Châtelet : « Je sens tout le poids du préjugé qui nous exclut si universellement des sciences, et c’est une des contradictions de ce monde, qui m’a toujours le plus étonnée, car il y a de grands pays, dont la loi nous permet de régler la destinée, mais il n’y en a point où nous soyons élevées à penser. Une réflexion sur ce préjugé (…) c’est que la comédie est la seule profession qui exige quelque étude, et quelque culture d’esprit, dans laquelle les femmes soient admises, et c’est en même temps la seule qui soit déclarée infâme. »
Qui peut assurer que tout ceci est fini aujourd’hui ?
Les Emilie en étaient bien persuadées, qu’il faudrait du temps pour se débarrasser de ces préjugés : « Il faudrait sans doute plusieurs générations pour nous remettre telles que la nature nous fit. Nous pourrions peut-être y gagner ; mais les hommes y perdraient trop.  Ils sont bien heureux que nous ne soyons pas pires que nous ne sommes, après tout ce qu’ils ont fait pour nous dénaturer par leurs belles institutions. »

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