samedi 17 janvier 2015

L'évadée de l'île de Ré


Ca y est, j’y suis presque. Je vais prendre ce caban bleu marine, oublié dans le couloir, sur le porte manteau. Juste avant la sortie. Si personne ne m’interpelle d’ici la porte, j’ai gagné. J’ai gagné la liberté. Emmitouflée dans le caban, col relevé, je sors par l’entrée des salariés et m’engage sur le chemin qui mène aux portes de la citadelle, à l’entrée du village de Saint-Martin. J’essaie de marcher calmement, comme si j’étais normale, comme si je ne sortais pas d’une cellule de cette prison mais d’un bureau administratif, des cuisines, que sais-je. Je ne croise personne mais je tremble tellement que je passe le porche sans même m’en apercevoir. Je sais que déjà tout s’agite au dedans de cette forteresse, construite par Vauban, pour défendre l’île de la convoitise des Anglais conquérants. Soit on s’est aperçu de mon absence et je dois décider que faire maintenant ; soit on n’a encore rien vu et je peux prendre un peu de temps pour réfléchir. J’ai de la chance : il y a du brouillard et toute l’atmosphère est ouatée, les sons mats, sourds. C’est l’avantage de se faire la belle en hiver mais si le temps est un atout au départ, il se retourne contre nous trop rapidement. Comment survivre quand on a froid, comment partir quand l’océan gronde, comment trouver une cachette suffisamment sûre pour y rester plusieurs heures, plusieurs jours ?
 Je longe le rempart et j’aperçois la petite tourelle perchée au dessus de l’océan, celle que j’avais repérée depuis le chemin de promenade. Je la fixais pour tenter de voir si on pouvait y entrer s’y terrer. Bien sûr je ne voyais rien. Maintenant je suis devant. La tourelle est fermée par une vieille porte en bois, verrouillée, enchaînée. Mais la porte est vermoulue et le verrou aussi. Alors je le fais sauter, facilement et je me courbe pour entrer dans cet isoloir de pierre. Il y a un peu de paille dedans, et bizarrement il n’y fait pas autant froid que dehors. Je m’assieds dos au mur et j’essaie de réfléchir. Le bruit du dehors me parvient étouffé : des véhicules qui arrivent, des pas pressés, mais pas de sirène hurlante ni de crissements de pneus. Pas non plus de bruit de vagues : c’est marée basse. Je suis toute seule.
 Quand j’étais petite, j’allais avec mon père, à marée basse, pêcher à pied, à la pointe du Grouin ou au-delà d’Ars. En fait je n’aimais pas tellement manger les crustacés ni les coquillages mais j’aimais bien les ramasser et puis parfois j’avais faim. C’était comme jouer sur la plage à faire des châteaux de sable, l’été : on creuse, on patauge, on cherche, on ramasse. A la fin, au lieu d’un château décoré de coquillages vides,  on a le seau rempli de choses à manger. Le seau est lourd et le ventre vide et j’aimais bien la tartine beurrée que maman me servait en même temps que le plat de notre récolte. Les tartines de beurre de mon enfance… rien à voir avec la margarine qu’on nous sert au petit déjeuner de la prison. Ca doit être un menu national, pas droit au régime spécial ni aux spécialités locales, qui ne doivent pas faire partie du cahier des charges. J’ai souvent nettoyé la cantine et j’ai jamais vu de traces de beurre. Je me souviens de tous les trésors qu’on passait des heures à chercher, en bande et il n’y avait pas que des mauvais garçons. Je n’étais pas la seule fille mais je suis la seule qui a mal tournée. Enfin qui peut savoir ? On s’est perdu de vue de toutes façons et rien ne reste des anciennes amitiés. J’entends le bruit du ressac qui revient, doucement. Ici tout est calme. La vie en hiver ne ressemble en rien à celle de l’été, ça a toujours été comme ça ici. Un semestre pourri de touristes, un semestre de brouillard et d’humidité. Deux saisons en somme, comme sous les tropiques. J’aimerais redevenir petite, rentrer chez moi, enlever mes bottes dans l’entrée et m’asseoir à la table de la cuisine pour attendre le chocolat chaud et la tartine de beurre salé. Ne pas penser à toutes ces années de rage, de révolte et de fuite en avant. Faire comme si je pouvais tout recommencer. Mais je ne sais plus comment ça a démarré. Suite à quelles disputes, quelles rencontres, quels discours ? C’est déjà trop loin et pourtant j’ai à peine trente ans. J’aimerais bien revoir mes anciens copains d’école, quand tout était facile et compréhensible. Ils sont peut-être encore ici, commerçants sûrement car comment vivre d’autre chose que du tourisme ? Les marais salants ne sont pas assez nombreux pour les amoureux de la nature et de la solitude et la pêche ne rapporte rien. Les autres sont partis, à La Rochelle ou ailleurs, de l’autre côté du pont. Moi aussi je suis partie, mais loin des trajectoires habituelles. Peut être que je n’étais pas faite pour une vie tranquille. Pourtant aujourd’hui je l’ai cette tranquillité. Mais quand elle est forcée, c’est pas pareil. Je ne dois pas m’apitoyer sur moi-même Je dois réfléchir. Mais je me sens engourdie et sans forces, incapable de bouger. Je rêve d’oiseaux qui s’envolent, de mouettes rasant les flots, de cormorans libres de faire sécher leurs ailes. Quand j’étais petite, j’aimais bien construire un abri de toile, n’importe où, dans ma chambre, sur la plage, contre un arbre et je m’assoupissais dedans jusqu’à ce qu’on vienne me chercher.
Quelqu’un me secoue l’épaule et je me réveille, égarée, les yeux éblouis par cette lumière aveuglante de la lampe torche qu’on braque sur mon visage pour me reconnaître, pour être sûr que c’est bien moi.
- allez ma belle, lève toi, ça fait un moment qu’on te cherche et tu étais tout près ! Si on avait su… Cette cellule-là est bien trop petite. Qu’est-ce qui t’a passé par la tête ? Allez on rentre, c’est l’heure du goûter.

samedi 10 janvier 2015

Je suis CHARLIE

7/01/2015 - attentat contre Charlie Hebdo à Paris


10/01/2015 à Toulouse


Charlie invincible

Foule indivisible






120 000 (ré)unis pour la liberté




Liberté d'expression de la presse


120 000 ici, 700 000 partout en France













Tous, ensemble, jusqu'à la fin de la manif


mercredi 7 janvier 2015

Ah vous dirais-je maman, conflits internes


De nombreux ouvrages, romans, films, essais, chansons, ont tenté de décortiquer les relations mère fille avec plus ou moins de bonheur, chaque cas restant particulier dans un cadre pourtant assez répandu, les conflits de générations.
Le récit de Doris Lessing : Filles impertinentes, Flammarion 2014 (pour un texte publié en langue originale  en 1985 !), s’achève à la mort de sa mère, avec cette phrase : C’était comme si souvent, quand meurent des vieillards – tout le monde sait qu’ils ne seraient pas morts s’ils avaient réellement eu de quoi s’occuper, s’ils s’étaient sentis désirés, si quelqu’un avait eu besoin d’eux.

Il s’agit du récit de la jeunesse de Doris, une jeunesse vécue de manière libre, en tout cas libérée des carcans dont n’a jamais pu se défaire cette mère, haïe et adorée, sans doute pas du tout comprise. Oui, les mères sont en même temps exaspérantes et attentionnées, les filles incomprises et horripilantes. Ca démarre à l’adolescence, peut-être avant, et ça dure jusqu’à la mort, avec des moments de répit, ou pas, ça dépend beaucoup d’elles-mêmes et de leur capacité à surmonter les différences, leur capacité à s’aimer et à s’écouter au-delà de tout ce qui les différencie et qui les éloigne, inexorablement.
A l’heure où les « vieillards » meurent de plus en plus tard (pour combien de temps encore ?), souvent seuls, cette chute est brutale, sans concession, à l’image de cette fille qui n’en fait qu’à sa tête sans qu’une seule fois elle tente de comprendre sa mère, sauf quand c’est bien trop tard, qu’elle-même est déjà vieille, mère peut-être oubliée, elle aussi, comme les autres. Pourtant, les filles doivent bien prendre le large et vivre leur vie. Et abandonner leur mère. Où est donc la solution ?
Dans un autre genre, les entretiens Mères et Filles de A. et B. Massenet (Aubanel), font presque croire qu’il est possible de rester toute la vie complices. Drôles de « conversations» où la mère paraît parfois plus jeune que sa fille (qu’importe, puisqu’il s’agit juste d’être différente) ; où les conflits pointent encore, larvés, pas ouverts et jamais refermés ; où les fossés sont creusés pour toujours sans possibilité de réconciliation ; où les rires se mêlent aux sanglots, de la mère comme de la fille. L’une est connue, l’autre pas, rarement les deux ensemble. Il est loin le temps où les petites filles marchent dans les chaussures de leur mère. Elles les ont fait voler aux quatre coins de la pièce et ont claqué la porte avec fracas. C’est peut-être ça, grandir.

A écouter :
La place au sous-sol – Lynda Lemay
J'ai douze ans (Diane Dufresne)
et combien d'autres...