jeudi 25 juin 2015

Turandot en boxer, by Puccini


Quel triomphe ! La (co)production de Turandot au théâtre du Capitole a fait l’objet d’une ovation spontanée de la salle, ce mardi 23 juin, lorsque le rideau est tombé définitivement sur les derniers accords de l’opéra de Puccini.
Et lorsque le public a descendu les escaliers pour se retrouver dehors, dans le soir d’été toulousain, les sourires étaient sur toutes les lèvres : une soirée tellement délicieuse, où chacun s’est retrouvé dans la musique, dans le chant, tout au long de ces deux heures et quelques de spectacle enchanteur. Deux heures de bonheur, n’est-ce pas bon à prendre en ces temps mouvementés ?
Avant tout, il faut souligner la splendeur de l’orchestre, et surtout du chœur (quelque peu renforcé pour l’occasion), omniprésent et magnifique. Ce peuple martyrisé chantait d’une seule voix et nous touchait au cœur. Bravo au chef de chœur pour avoir réussi ce travail important. Les solistes étaient de taille et n’ont pas failli dans les moments périlleux de cette partition. Malgré tout, l’ovation suprême a été pour Liù, touchante et tendre, juste et poésie. C’est bien elle l’héroïne de cet opéra : elle représente le peuple dans tout son désespoir, sa mansuétude envers les puissants qui l’écrasent ;  elle les aime et elle est prête à se sacrifier pour la gloire de ceux qui sont au dessus d’elle. En apparence seulement car c’est bien elle qui nous émeut le plus, si proche, si réelle. Seul Timur, roi déchu, en est conscient, parce qu’il en a besoin et qu’il la côtoie chaque jour. Calaf et Turandot n’en effleurent pas même l’idée, jusqu’à la fin.
D’autant plus dans cette mise en scène controversée, qui par certains côtés reste étonnamment proche de l’original ; par d’autres est incompréhensible, étanche, à la limite trash et gratuite. Qui comprend la symbolique de ces poupées en celluloïd ? De ces déshabillages forcés et humiliants, féminins comme masculins, à la suite desquels les figurants se retrouvent en boxer, pour quoi faire ? A quoi sert de vouloir une mise en scène « révolutionnaire » si les choeurs comme les solistes restent désespérément statiques, y compris aux moments les plus « touchants » comme la mort de Liù ou le baiser « volé » de Calaf à Turandot pour ne citer que les plus connus ? Quel sens le spectateur qui ne connaîtrait pas l’histoire par cœur peut-il donner à certaines scènes résolument immobiles alors qu’elles devraient traduire des bouleversements intérieurs si radicaux ? Qui peut comprendre l’apparente indifférence de Calaf à ce qui arrive à Liù, à son père ? C’est vrai, il essaie maladroitement de faire réagir le peuple mais on n’y croit guère et la question qui s’impose est : quel empereur fera t-il donc ? Sera-t-il moins cruel que Turandot, princesse de glace, lui qui laisse mourir ceux qui l’aiment ?
Il y a pourtant de bonnes idées, originales et audacieuses, dans cette mise en scène, notamment la figure de l’empereur du ciel, ombre squelettique, christique, qui n’en finit pas d’expier la cruauté de son rejeton. Elle manque cependant d’une certaine légèreté, d’un certain recul, d’un détachement qui aurait permis à un autre metteur en scène comme Almodovar d’atteindre cet humour décalé si personnel. Les personnages de Ping, Pang et Pong auraient pu se jouer avec une hérésie sulfureuse, drôle ou kitsch, plutôt que l’idée de les faire se déguiser en fausses mariées en se lamentant sur leur paradis perdu, épluchant un porte-manteau mi-humain mi-esclave, inutile et humiliant. Il s’en aurait fallu de peu pour que tout soit parfait. Et cette fois-ci seule, Liù, encore et toujours, l’était.
ps : la mort de Liù a été pour moi, cette fois-ci comme les autres fois, un moment pur d'émotions : tristesse, pleurs, bouleversements intérieurs intenses. cf mon billet de novembre 2012... Mais cette fois-ci elle est morte seule, pas dans les bras du seul amour de sa vie. Décidément les femmes sont bien maltraitées dans cette mise en scène...

mercredi 17 juin 2015

Ecrits de bages 2015 - Early Sunday Morning (Hooper - 1930)


Plan 1
Samedi soir, minuit. La fête bat son plein. Les vendeurs ambulants devant les boutiques plongent la tête dans leurs glacières et ressortent les mains pleines de cornets : vanille, fraise, chocolat, que d’autres mains s’arrachent en échange de monnaie. Ca sent l’huile de friture saturée mais le vendeur n’a plus de beignets. Ils ont tous été mangés et les emballages papier, gras, avec du sucre encore collé, traînent sous les pieds des fêtards fatigués. Les pieds aussi traînent sur le bitume chauffé du 14 juillet, ils ont dansé pendant trop d’heures. Certaines filles tiennent désormais leurs chaussures à la main, les lacets entortillés autour du poignet. L’autre main tient un gobelet avec de la bière ou du vin. Les sourires s’étirent et les regards se croisent. Lui, il vient de la faire danser et ne veut pas la lâcher. Une glace ? Quelque chose à boire ? Il veut la tenir jusqu’à la fin, la fin de la fête, la fin de la nuit. Elle est épuisée et ne sait plus, justement, sur quel pied danser. Rentrer seule chez elle ou se laisser emporter dans un lit aux draps agités ? Elle hésite, lorsqu’elle aperçoit sa copine s’en aller au bras de son cavalier. Ils montent tous les deux par le petit escalier et une lumière tremblotante au dessus de la boutique du cordonnier ne s’allume que quelques secondes avant que le store jaune ne soit baissé. Il faut choisir. La musique vient de s’arrêter et les musiciens se lèvent enfin. C’est à la fin du bal qu’ils se font payer. C’est à la fin du bal que les filles se laissent emmener. Les lampions s’éteignent un à un, les vendeurs remballent enfin. La fille a soudain envie de pleurer.
Plan 2
Dimanche matin, très tôt. C’est la même rue mais il n’y a plus rien. Reste une quille peinturlurée qui rappelle vaguement le côté tricolore de la fête de la veille. Les boutiques sont fermées, les devantures vides de marchandises. Rien ne bouge. Les trottoirs hier saturés ont été balayés, arrosés et sont déjà presque secs car on est au mois de juillet. Au bout de la rue, dans un coin, le cantonnier a entassé les chaussures qu’il a retrouvées. Elles sont toutes dépareillées et ne pourront pas resservir, alors il les a laissées là. Il sait que dans quelques minutes, les filles vont descendre. Les stores jaunes du 1er étage cachent à peine les lits défaits, les corps et les chevelures emmêlés. Elles vont descendre, un peu honteuses, avec leurs bas filés et leurs cheveux décoiffés. Les garçons, eux, resteront dormir. Elles descendront les marches silencieusement et s’arrêteront une minute sur le palier, un regard à droite, un regard à gauche, avant de s’en aller tête baissée, leur chaussure à la main, dépareillée. Le cantonnier le sait. Il s’est installé comme chaque année dans une encoignure et va les regarder passer. Peu lui importe qu’elles soient plus ou moins bien rhabillées. Il les voit passer comme si elles étaient nues, il sent l’odeur lourde, un peu âcre, qu’elles emportent avec elles car elles n’ont pas pris la peine de se laver. Il est tôt, c’est dimanche et le jour qui vient de se lever va colorer de jaune et de rouge ces moments de la nuit, à jamais passés.

Merci à Marie-Claude Ricurt pour la suggestion

mercredi 10 juin 2015

Ecrits de Bages (5) - Sur une peinture de Mister HOOPER


Du point de vue du store
Je me suis relevé brusquement pourtant, exprès. Mais elle n’a même pas sursauté. On allait justement passer sur le Godwin Bridge, un effet merveilleux au soleil couchant. Peine perdue : elle n’a pas levé les yeux de sa fichue revue ; j’aurais aussi bien pu rester baissé, ça n’aurait rien changé. Je crois qu’elle pleure, sous son chapeau à la visière baissée.
Du point de vue de ce qu’elle lit
Ce qu’elle découvre en me lisant ! Elle n’a pas cru ce qui lui disait l’avoué quand il m’a donné : « Ce sont là les confessions de votre mari, Madame. Son testament, en quelque sorte. Je vous en conjure, prenez garde en le lisant, certaines choses sont pour le moins, hum, singulières. Votre mari vous a sûrement caché des pans entiers de sa vie. J’espère que vous ne serez pas trop choquée. Je reste votre serviteur, Madame ».
Tu parles ! Découvrir au bout de 20 ans de mariage que son mari n’était qu’un vulgaire escroc, amoral et veule. Qu’il la laisse à la rue et sans le sou, avec juste de quoi payer le billet du train de retour. Et juste les nippes qu’elle a sur le dos. Il a tenu à payer ses dettes d’honneur avant de la laisser sans rien. Y a de quoi s’flinguer, ma belle. Ou de se jeter du pont qui apparaît, là, dans le carré de la fenêtre ouverte.