mercredi 17 juin 2015

Ecrits de bages 2015 - Early Sunday Morning (Hooper - 1930)


Plan 1
Samedi soir, minuit. La fête bat son plein. Les vendeurs ambulants devant les boutiques plongent la tête dans leurs glacières et ressortent les mains pleines de cornets : vanille, fraise, chocolat, que d’autres mains s’arrachent en échange de monnaie. Ca sent l’huile de friture saturée mais le vendeur n’a plus de beignets. Ils ont tous été mangés et les emballages papier, gras, avec du sucre encore collé, traînent sous les pieds des fêtards fatigués. Les pieds aussi traînent sur le bitume chauffé du 14 juillet, ils ont dansé pendant trop d’heures. Certaines filles tiennent désormais leurs chaussures à la main, les lacets entortillés autour du poignet. L’autre main tient un gobelet avec de la bière ou du vin. Les sourires s’étirent et les regards se croisent. Lui, il vient de la faire danser et ne veut pas la lâcher. Une glace ? Quelque chose à boire ? Il veut la tenir jusqu’à la fin, la fin de la fête, la fin de la nuit. Elle est épuisée et ne sait plus, justement, sur quel pied danser. Rentrer seule chez elle ou se laisser emporter dans un lit aux draps agités ? Elle hésite, lorsqu’elle aperçoit sa copine s’en aller au bras de son cavalier. Ils montent tous les deux par le petit escalier et une lumière tremblotante au dessus de la boutique du cordonnier ne s’allume que quelques secondes avant que le store jaune ne soit baissé. Il faut choisir. La musique vient de s’arrêter et les musiciens se lèvent enfin. C’est à la fin du bal qu’ils se font payer. C’est à la fin du bal que les filles se laissent emmener. Les lampions s’éteignent un à un, les vendeurs remballent enfin. La fille a soudain envie de pleurer.
Plan 2
Dimanche matin, très tôt. C’est la même rue mais il n’y a plus rien. Reste une quille peinturlurée qui rappelle vaguement le côté tricolore de la fête de la veille. Les boutiques sont fermées, les devantures vides de marchandises. Rien ne bouge. Les trottoirs hier saturés ont été balayés, arrosés et sont déjà presque secs car on est au mois de juillet. Au bout de la rue, dans un coin, le cantonnier a entassé les chaussures qu’il a retrouvées. Elles sont toutes dépareillées et ne pourront pas resservir, alors il les a laissées là. Il sait que dans quelques minutes, les filles vont descendre. Les stores jaunes du 1er étage cachent à peine les lits défaits, les corps et les chevelures emmêlés. Elles vont descendre, un peu honteuses, avec leurs bas filés et leurs cheveux décoiffés. Les garçons, eux, resteront dormir. Elles descendront les marches silencieusement et s’arrêteront une minute sur le palier, un regard à droite, un regard à gauche, avant de s’en aller tête baissée, leur chaussure à la main, dépareillée. Le cantonnier le sait. Il s’est installé comme chaque année dans une encoignure et va les regarder passer. Peu lui importe qu’elles soient plus ou moins bien rhabillées. Il les voit passer comme si elles étaient nues, il sent l’odeur lourde, un peu âcre, qu’elles emportent avec elles car elles n’ont pas pris la peine de se laver. Il est tôt, c’est dimanche et le jour qui vient de se lever va colorer de jaune et de rouge ces moments de la nuit, à jamais passés.

Merci à Marie-Claude Ricurt pour la suggestion

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire