mercredi 27 avril 2016

Figaro chez Sganarelle


Aller voir les Noces de Figaro, opéra de Mozart ébouriffant et drôle, c’est toujours une joie de l’écouter, rire de plaisir devant ces tromperies, ces tricheries, durant une journée folle où tout peut arriver, où d’ailleurs tout arrive et même un peu plus et qui pourtant finira en fêtes. C’est bien un opera buffa, d’accord. Mais de là à en faire du théâtre de boulevard surjoué et gommer toute la poésie des quelques duetti qui nous enchantent, c’est dommage…
Cela a été le cas pourtant lors des représentations d’une coproduction de Lausanne au théâtre du Capitole ces jours derniers. Ca ressemblait plus au Malade imaginaire ou Les Fourberies de Scapin qu’au mariage tant attendu d’un Figaro et de sa charmante promise.  Les voix tenaient la route sans être extraordinaires (un coup de chapeau quand même à Susanna, fraîche et sémillante ; toujours juste). Parfois, dans certaines productions, c’est Cherubino qui emporte la palme des applaudissements. Mais cela n’a pas été le cas ici, où toutes les voix étaient finalement lissées, réduites, par le débit imposé et le jeu de scène outré.

 Pourtant l’œuvre est si bien faite qu’il n’y a nul besoin d’en faire trop : les gestes et les actes  parlent d’eux-mêmes et les jeux de rôles, jeux de dupes, inversés et à rebondissements se suffisent à eux-mêmes. Bon, le public était content, il raffole d’Au théâtre ce soir et autres grivoiseries, alors ne faisons pas la fine bouche. Et puis il y a la musique ! Oui mais justement, ce n’est pas qu’il y avait trop de notes, cette fois-ci mon cher Mozart, c’est qu’il y en avait trop peu, à se demander si la direction tellement rapide du chef ne laissait d’autre choix aux musiciens que ne jouer qu’une note sur deux pour suivre l’affolante baguette. Peut-être le sémillant chef italien voulait-il ne pas rater le dernier métro, je peux alors vous assurer qu’il l’a pris, en comptant les saluts et les entractes, et même avec de la marge. Dommage, dommage de ne pas laisser toute sa place à cette musique qui vous emporte.
En fait c’était du Cosi Fan Tutte avant l’heure et sans les ombres d’un Don Giovanni, qui s’intercale entre les deux. J’ai toujours pensé que ces trois opéras avaient été faits à l’envers : Da Ponte et Mozart auraient normalement dû commencer leur collaboration avec Cosi, plume légère et  frivole, continuer avec Les Noces, où de nombreux sous entendus annoncent les tromperies bien réelles à venir d’un Don Giovanni livré à lui-même. L’effarant duo du valet et de son maître y trouve alors toute sa plénitude,  réversible et incompréhensible, qu’on entrevoit ici juste quelques instants lorsque Figaro affronte le Comte avant une fois encore de s’en sortir par une pirouette.

Noblesse oblige, dans tous les cas, les maîtres tirent leur épingle du jeu, après s’y être piqué le doigt et en attendant quelques années encore, lorsque la Révolution jettera les Figaro sur les pavés et les Susanna sur les barricades pour gagner leurs libertés dans le sang.



dimanche 17 avril 2016

Le goût de vivre




















Le goût de vivre, sans OGM, sans huile de palme, sans pesticides, 

le vrai goût, quoi !



mercredi 6 avril 2016

photo de famille






1-    la photo*

C’est une photo urbaine, en noir et blanc. A la terrasse d’un café, parisien peut-être, sûrement, 5 jeunes filles sont assises autour de deux tables rondes de bistrot et tendent leurs visages aux premiers rayons de soleil de l’été, soleil qui les chauffe sans danger. Deux d’entre elles ont même allongé leurs jambes pour que chaque pouce de peau nue capte cette lumière chaude. La rue est paisible, c’est l’heure creuse, l’heure de pause de ces « demoiselles de magasin » qui profitent de ces minutes à elles, avant de retourner travailler.  On entend le silence. Pas d’automobile, pas de klaxon qui hurle, même pas de piéton, seuls les pieds d’une femme devant la vitrine de la Confiserie un peu plus loin montrent que la ville est vivante, peuplée. On est dans les années soixante, les femmes apprennent l’autonomie, la liberté, les choix. Sur la table de bistrot, des coca-colas déjà, un sirop à l’eau ou qui sait, peut-être un pernod et un sucrier verseur en verre, des carafes d’eau claire. Elles sont bien, elles sont ensemble. On dirait des sœurs, une seule est blonde, les quatre autres brunes. Toutes habillées de leur blouse sans manches, blouse de travail légère et propre. Une seule est en chemisier blanc. Elles sont coiffeuses, manucures ou vendeuses en pharmacie. Elles sont jeunes, la vie leur appartient. On les laisse tranquilles, de l’intérieur du café sûrement on ne viendra pas les déranger, on les connaît, ce sont des habituées.

2-    l’histoire

C’est l’histoire de Martine, celle qui est sérieuse, toujours à l’heure, celle qui ouvre le magasin et souvent celle qui ferme le soir la lourde grille en fer. Martine est celle qui a fait de vraies études de sténo dactylo et un peu de comptabilité. Elle tient la caisse et tape le courrier des patrons. Elle a aussi tapé le contrat de travail de chacune de ses amies, employées comme elle chez Dalet, Confiseur depuis 1836. Elle sait aussi, comme elles, servir de minuscules bonbons ou de grosses bouchées de chocolat, selon les modes et les saisons. Mais la plupart du temps, elle se tient dans le petit bureau de derrière, réservé au secrétariat de la Direction, avec une machine à écrire et des dossiers, des meubles à tiroirs et celui qui ferme à clé. Elle aime décorer la vitrine et sait trouver les bons mots pour vendre. Elle est jeune, Martine, elle ne pense pas vraiment à l’avenir. Elle vit dans un minuscule appartement au 8ème étage, pas très loin du Boulevard Beaumarchais et laisse sa lucarne de toit ouverte, lorsqu’il fait beau comme aujourd’hui. Elle ne songe pas à se marier, ni aux enfants qu’elle pourrait avoir plus tard. Elle veut profiter du présent et de sa liberté nouvellement acquise. Elle ne sait pas que dans deux ans, la vague de révolte qui va jaillir de La Sorbonne va l’entraîner elle aussi dans des grèves, des protestations, des manifestations qui déboucheront sur d’autres conditions de travail, d’autres voies qui vont s’ouvrir devant elle et ses amies. Elle saura en profiter et attraper sa chance au vol. Elle ne finira pas sa vie dans l’arrière boutique d’une confiserie parisienne, Martine, ça non. Elle sera créatrice d’une des premières agences de publicité, au milieu des années 70 et saura dès le départ trouver des slogans percutants pour chaque produit, pour chaque client, slogans qui feront le succès de son agence des décennies durant.

* Doisneau - 1966