Aller voir les Noces de Figaro, opéra de Mozart ébouriffant et
drôle, c’est toujours une joie de l’écouter, rire de plaisir
devant ces tromperies, ces tricheries, durant une journée folle où tout peut
arriver, où d’ailleurs tout arrive et même un peu plus et qui pourtant finira
en fêtes. C’est bien un opera buffa, d’accord. Mais de là à en faire du théâtre
de boulevard surjoué et gommer toute la poésie des quelques duetti qui nous
enchantent, c’est dommage…
Cela a été le cas pourtant lors des représentations
d’une coproduction de Lausanne au théâtre du Capitole ces jours derniers. Ca
ressemblait plus au Malade imaginaire ou Les Fourberies de Scapin qu’au mariage
tant attendu d’un Figaro et de sa charmante promise. Les voix tenaient la route sans être
extraordinaires (un coup de chapeau quand même à Susanna, fraîche et sémillante ; toujours juste). Parfois, dans certaines productions, c’est Cherubino qui
emporte la palme des applaudissements. Mais cela n’a pas été le cas ici, où toutes
les voix étaient finalement lissées, réduites, par le débit imposé et le jeu de
scène outré.
Pourtant l’œuvre est si bien faite qu’il n’y a nul
besoin d’en faire trop : les gestes et les actes parlent d’eux-mêmes et les jeux de rôles,
jeux de dupes, inversés et à rebondissements se suffisent à eux-mêmes. Bon, le
public était content, il raffole d’Au théâtre ce soir et autres grivoiseries,
alors ne faisons pas la fine bouche. Et puis il y a la musique ! Oui mais
justement, ce n’est pas qu’il y avait trop de notes, cette fois-ci mon cher
Mozart, c’est qu’il y en avait trop peu, à se demander si la direction
tellement rapide du chef ne laissait d’autre choix aux musiciens que ne jouer
qu’une note sur deux pour suivre l’affolante baguette. Peut-être le sémillant
chef italien voulait-il ne pas rater le dernier métro, je peux alors vous
assurer qu’il l’a pris, en comptant les saluts et les entractes, et même avec
de la marge. Dommage, dommage de ne pas laisser toute sa place à cette musique
qui vous emporte.
En fait c’était du Cosi Fan Tutte avant l’heure et
sans les ombres d’un Don Giovanni, qui s’intercale entre les deux. J’ai
toujours pensé que ces trois opéras avaient été faits à l’envers : Da
Ponte et Mozart auraient normalement dû commencer leur collaboration avec Cosi,
plume légère et frivole, continuer avec
Les Noces, où de nombreux sous entendus annoncent les tromperies bien réelles à
venir d’un Don Giovanni livré à lui-même. L’effarant duo du valet et de son
maître y trouve alors toute sa plénitude, réversible et incompréhensible, qu’on entrevoit
ici juste quelques instants lorsque Figaro affronte le Comte avant une
fois encore de s’en sortir par une pirouette.
Noblesse oblige, dans tous les cas, les maîtres tirent
leur épingle du jeu, après s’y être piqué le doigt et en attendant quelques
années encore, lorsque la Révolution jettera les Figaro sur les pavés et les
Susanna sur les barricades pour gagner leurs libertés dans le sang.
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