mardi 28 juin 2016

Faust au Capitole : une véritable tragédie


« La véritable tragédie de Faust, ce n'est pas qu'il ait vendu son âme au diable. La véritable tragédie, c'est qu'il n'y a personne pour vous acheter votre âme ».
    La Promesse de l'aube (1960), Romain Gary

Il paraît que pour Le Trouvère, de Verdi il suffit d’avoir les 4 plus belles voix du monde pour que tout se passe bien. A la dernière production de Faust au Théâtre du Capitole, en cette fin de saison, il nous a fallu beaucoup d’abnégation pour oublier qu’on n'avait aucune des 3 voix requises et pour admettre que seule la musique de Gounod nous permettrait d’atteindre les cieux.
Outre l’absence de voix, il a fallu supporter l’absence de mise en scène, des décors aux airs de déjà vu et des morceaux de bravoure passant quasi inaperçus (Le Veau d’Or). Seule la soprano s’est plutôt bien sortie de l’air de la Castafiore ; le fameux air des bijoux (Ah je ris de me voir si belle…), le seul problème c’est qu’ensuite elle nous a un peu abandonnés.
J’exagère bien sûr, mais franchement, il me semble que ce n’était pas digne d’une scène nationale, d’un théâtre où l’on paie ses places quand même assez cher et où l’on est dans un inconfort total tout au long de la soirée. A quand les travaux de réconfort de ce théâtre à l’italienne qui peine à tenir son rang ?
Le public ne s’y est pas trompé, le ténor a eu des applaudissements polis (le public est gentil) et les autres, à peine plus nourris.
Reste la musique, restent les chœurs du Capitole, toujours impeccables, chauds et justes. Reste cette splendeur de livret, au cours duquel, à chaque seconde, on se dit : c’est tellement vrai, tellement humain, tellement nous. Désespérant et reconnaissable. Humain et identifiable. Miroir déformant si proche de notre réalité. Le mythe de Faust est un mythe car il nous révèle et nous met à nu. N’importe quel être humain de plus de 50 ans comprendra l’appel du Docteur Faust et son désespoir pour connaître une dernière fois la jeunesse, quel qu’en soit le prix. Et même si Méphisto affiche un cynisme désabusé, il admet toutefois les volontés humaines, charnelles, futiles, de son élève, alors qu’il ne les comprend pas.
Bref, ce fut une soirée plus philosophique que musicale, que vocale. Une musique et des textes empreints de nostalgie, d’espoirs en un monde meilleur que l’on sait vains, connaissant la nature humaine. Que faut-il faire, Docteur ? Le pardon, la rédemption, sans jamais savoir ce qui est juste et bon.
Et la saison prochaine ? Vu les restrictions budgétaires dans le domaine culturel, j’ai bien peur que nous restions dans le déjà vu. Heureusement, il reste YouTube pour se faire des soirées d’opéras telles qu’on les rêve, telles qu’on les aime.

mercredi 15 juin 2016

Poste restante




La première fois qu’un collègue m’a mis entre les mains une lettre à poster, j’ai été étonnée ; mais comme elle était pré-timbrée, j’ai cru qu’il n’avait pas le temps d’aller à la poste. J’ai glissé la lettre dans la boîte du coin de la rue et n’y ai plus pensé.
Quelques jours plus tard, une personne que je ne connaissais pas, assise en face de moi dans le métro, a négligemment mis dans la poche de mon imperméable jaune pâle une lettre format commercial et un petit paquet. Qui ne m’étaient pas adressés, j’ai vérifié. Petit à petit, je suis devenue le réceptacle d’un tas de courrier. Mon quotidien était parsemé d’envois divers et variés et il m’arrivait de passer beaucoup de temps à trier entre « département » et « étranger ». Au fur et à mesure, l’habitude s’installant, j’arrivais à deviner, rien qu’à la texture du papier, s’il s’agissait d’une facture, d’un relevé bancaire ou d’une carte postale colorée. J’ai pris l’habitude de porter des vêtements amples et toujours jaunes, avec de grandes poches qui permettaient d’accueillir tous les formats, en lettre ou en colis.  Je déambulais dans les rues, les poches grandes ouvertes et me délectais lorsque les touristes couraient derrière moi pour me laisser un chapelet de « bons baisers de Trouville, endroit charmant où l’on passe de bonnes vacances ». J’étais émue à chaque adolescente boutonneuse qui restait plantée devant moi durant 3 bonnes minutes, ne sachant si elle devait ou pas l’envoyer, cette lettre de rupture ou ce poème d’amour qui lui avait coûté tant de larmes la veille au soir.
Lorsqu’un hésitant n’osait choisir entre la poche droite et la gauche de ma tunique dorée, je me tournais légèrement, l’air de rien, pour qu’une seule option – la bonne – reste possible.
Au final, le plus simple était de rester immobile. Chaque matin je prenais position à un endroit stratégique, où passaient le plus de gens possible. Comme un Indien, je reconnaissais de loin les pas de ceux qui allaient s’arrêter là, devant moi, pour alimenter ma gourmandise d’envois quotidiens. Le poids de mon vêtement grossissait. Une fois, une voiture jaune s’est arrêtée, le facteur en uniforme en est descendu avec ses deux grands sacs et m’a vidé les poches, l’une après l’autre. J’ai goûté ce jour-là la plénitude de l’utilité personnifiée.
Cet été, je compte m’habiller de rouge pour partir en Angleterre. J’espère juste qu’on ne me confondra pas avec une cabine téléphonique.