mercredi 15 juin 2016

Poste restante




La première fois qu’un collègue m’a mis entre les mains une lettre à poster, j’ai été étonnée ; mais comme elle était pré-timbrée, j’ai cru qu’il n’avait pas le temps d’aller à la poste. J’ai glissé la lettre dans la boîte du coin de la rue et n’y ai plus pensé.
Quelques jours plus tard, une personne que je ne connaissais pas, assise en face de moi dans le métro, a négligemment mis dans la poche de mon imperméable jaune pâle une lettre format commercial et un petit paquet. Qui ne m’étaient pas adressés, j’ai vérifié. Petit à petit, je suis devenue le réceptacle d’un tas de courrier. Mon quotidien était parsemé d’envois divers et variés et il m’arrivait de passer beaucoup de temps à trier entre « département » et « étranger ». Au fur et à mesure, l’habitude s’installant, j’arrivais à deviner, rien qu’à la texture du papier, s’il s’agissait d’une facture, d’un relevé bancaire ou d’une carte postale colorée. J’ai pris l’habitude de porter des vêtements amples et toujours jaunes, avec de grandes poches qui permettaient d’accueillir tous les formats, en lettre ou en colis.  Je déambulais dans les rues, les poches grandes ouvertes et me délectais lorsque les touristes couraient derrière moi pour me laisser un chapelet de « bons baisers de Trouville, endroit charmant où l’on passe de bonnes vacances ». J’étais émue à chaque adolescente boutonneuse qui restait plantée devant moi durant 3 bonnes minutes, ne sachant si elle devait ou pas l’envoyer, cette lettre de rupture ou ce poème d’amour qui lui avait coûté tant de larmes la veille au soir.
Lorsqu’un hésitant n’osait choisir entre la poche droite et la gauche de ma tunique dorée, je me tournais légèrement, l’air de rien, pour qu’une seule option – la bonne – reste possible.
Au final, le plus simple était de rester immobile. Chaque matin je prenais position à un endroit stratégique, où passaient le plus de gens possible. Comme un Indien, je reconnaissais de loin les pas de ceux qui allaient s’arrêter là, devant moi, pour alimenter ma gourmandise d’envois quotidiens. Le poids de mon vêtement grossissait. Une fois, une voiture jaune s’est arrêtée, le facteur en uniforme en est descendu avec ses deux grands sacs et m’a vidé les poches, l’une après l’autre. J’ai goûté ce jour-là la plénitude de l’utilité personnifiée.
Cet été, je compte m’habiller de rouge pour partir en Angleterre. J’espère juste qu’on ne me confondra pas avec une cabine téléphonique.

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