La première fois qu’un collègue m’a mis entre les
mains une lettre à poster, j’ai été étonnée ; mais comme elle était
pré-timbrée, j’ai cru qu’il n’avait pas le temps d’aller à la poste. J’ai
glissé la lettre dans la boîte du coin de la rue et n’y ai plus pensé.
Quelques jours plus tard, une personne que je ne
connaissais pas, assise en face de moi dans le métro, a négligemment mis dans
la poche de mon imperméable jaune pâle une lettre format commercial et un petit
paquet. Qui ne m’étaient pas adressés, j’ai vérifié. Petit à petit, je suis
devenue le réceptacle d’un tas de courrier. Mon quotidien était parsemé
d’envois divers et variés et il m’arrivait de passer beaucoup de temps à trier
entre « département » et « étranger ». Au fur et à mesure,
l’habitude s’installant, j’arrivais à deviner, rien qu’à la texture du papier,
s’il s’agissait d’une facture, d’un relevé bancaire ou d’une carte postale
colorée. J’ai pris l’habitude de porter des vêtements amples et toujours jaunes,
avec de grandes poches qui permettaient d’accueillir tous les formats, en
lettre ou en colis. Je déambulais dans
les rues, les poches grandes ouvertes et me délectais lorsque les touristes
couraient derrière moi pour me laisser un chapelet de « bons baisers de Trouville, endroit charmant
où l’on passe de bonnes vacances ». J’étais émue à chaque adolescente
boutonneuse qui restait plantée devant moi durant 3 bonnes minutes, ne sachant
si elle devait ou pas l’envoyer, cette lettre de rupture ou ce poème d’amour
qui lui avait coûté tant de larmes la veille au soir.
Lorsqu’un hésitant n’osait choisir entre la poche
droite et la gauche de ma tunique dorée, je me tournais légèrement, l’air de
rien, pour qu’une seule option – la bonne – reste possible.
Au final, le plus simple était de rester immobile.
Chaque matin je prenais position à un endroit stratégique, où passaient le plus
de gens possible. Comme un Indien, je reconnaissais de loin les pas de ceux qui
allaient s’arrêter là, devant moi, pour alimenter ma gourmandise d’envois
quotidiens. Le poids de mon vêtement grossissait. Une fois, une voiture jaune
s’est arrêtée, le facteur en uniforme en est descendu avec ses deux grands sacs
et m’a vidé les poches, l’une après l’autre. J’ai goûté ce jour-là la plénitude
de l’utilité personnifiée.
Cet été, je compte m’habiller de rouge pour partir en
Angleterre. J’espère juste qu’on ne me confondra pas avec une cabine
téléphonique.
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