mardi 18 juillet 2017

La ramasseuse de feuilles




Dimanche matin. Elle sort de la messe de 8 heures. Même s’il ne fait pas encore complètement chaud, les trottoirs sont déjà tellement lumineux qu’on plisse les yeux pour se protéger de tout ce blanc, cette ocre qui jaillit des murs fraîchement repeints, prêts à accueillir d’autres graffitis. Elle arrive à petits pas, habillée de blanc et chaussée de noir, pour faire honneur au dieu qu’elle vénère encore. Elle connaît ce chemin par cœur pour le faire chaque semaine, qu’il pleuve, qu’il vente ou que la chaleur tombe comme du plomb. Peu lui importe. Tout ce chemin parcouru ne peut pas l’avoir été pour rien. Toutes ces prières murmurées ou chantées chaque dimanche ne peuvent pas avoir été vaines. Quelqu’un est à l’écoute, forcément. Et tous les malheurs d’Ayiti ne peuvent rien contre sa croyance en l’immortalité de son île. D’ailleurs, aujourd’hui elle en a la preuve : toutes ces feuilles tombées du grand gaïac qui surplombe la rue sont autant de signes que l’île n’est pas encore tout à fait oubliée des dieux. La transformation du bois saint s’est faite comme chaque année. Les feuilles vertes se sont décolorées, se sont plissées, recroquevillées à leur maturité. Un peu comme elle, qui pense à la jeune pousse qu’elle a été il y a bien longtemps et qui aujourd’hui se plie sous la douleur des rhumatismes. Ces feuilles jaunies pourraient bien finir en décoction dans sa cuisine, pour lutter contre ces douleurs articulaires qui lui tordent les doigts. Ou alors, peut-être en fera t-elle des élixirs contre les mauvaises maladies. Le bois des Français est renommé pour ses vertus qui lui viennent de son lien direct avec la terre mère, depuis la nuit des temps. Elle sait que les arbres n’ont pas tous résisté au dernier trambleman. Peu d’entre eux sont encore debout. Peu d’entre eux ont encore l’occasion de perdre autant de leurs vieilles feuilles d’un seul coup, le jour où les nouvelles, plus jeunes, plus vigoureuses, sont suffisamment développées. Seuls les passants comme elles,  attentifs, qui ont le temps, qui marchent lentement, s’en rendent compte. Elle cueille comme en dansant les feuilles d’or des arbres renaissants, en se disant que c’est un signe comme un autre pour croire que tout ira mieux demain,  et aussi tout simplement parce-que cela lui fait plezi

Photo : Marc Déotte
Extrait de : Habitants d'Afrique - Photos de Marc Déotte - 60 auteurs et leurs histoires - à commander à Marc Déotte 32 rue Conti 34120 PEZENAS - 

vendredi 7 juillet 2017

Futur président de la République du Mali





Moi j’aime bien l’école et la géographie. J’adore tracer les cartes à main levée et colorier de bleu les contours du continent africain, celui où j’habite. Mon pays à moi n’a pas de contour bleuté, il est enfermé dans ce continent noir immense, sans accès à la mer. Mes pieds, sur le chemin de l’école, foulent une poussière ocre qui n’est jamais humide. Mon pays n’a pas vraiment de montagne non plus, je ne dessine pas de petits cônes qui symboliseraient un quelconque sommet, d’où l’on pourrait regarder jusqu’à la mer. Je ne suis pas fâché de tout cela parce-que le trésor de ce pays-là c’est Niger, le fleuve. Sa courbe tracée délimite la moitié sud de mon pays, qu’il traverse en ondulant, comme une bosse de dromadaire qui arroserait 3 villes aux noms mythiques : Bamako, Tombouctou, Gao.
Il est connu depuis longtemps, le fleuve des fleuves. Il ondule sur des cartes très anciennes même si sa courbe est souvent faussée. Les colons explorateurs n’osaient pas aller jusqu’au bout de ses rives, trop lointaines, trop aventureuses. Aujourd’hui, on connaît sa source et toutes ses boucles. J’aurais tant aimé être celui qui a découvert les rives sombres, les origines rêvées. Mais j’arrive trop tard, la cartographie du continent, malgré son immensité, ne cache plus aucun mystère. Alors je me console en pensant que d’autres zones restent à explorer. Des zones avec des méandres et des ombres, des sources cachées et des jaillissements soudains. Ce peuple dont je fais partie est riche de tout cela, il est surprenant et mystérieux, moderne et traditionnel à la fois. Je saurai faire en sorte qu’il devienne aussi immense que le fleuve Niger, je saurai faire éclore toutes ses richesses. Je me le promets tout bas, chaque jour en allant à l’école, là-bas au bord du fleuve Niger.

Photo : Marc Déotte
Extrait de : Habitants d'Afrique - Photos de Marc Déotte - 60 auteurs et leurs histoires - à commander à Marc Déotte 32 rue Conti 34120 PEZENAS -