Dimanche matin. Elle sort de la messe de 8 heures.
Même s’il ne fait pas encore complètement chaud, les trottoirs sont déjà
tellement lumineux qu’on plisse les yeux pour se protéger de tout ce blanc,
cette ocre qui jaillit des murs fraîchement repeints, prêts à accueillir
d’autres graffitis. Elle arrive à petits pas, habillée de blanc et chaussée de
noir, pour faire honneur au dieu qu’elle vénère encore. Elle connaît ce chemin
par cœur pour le faire chaque semaine, qu’il pleuve, qu’il vente ou que la
chaleur tombe comme du plomb. Peu lui importe. Tout ce chemin parcouru ne peut
pas l’avoir été pour rien. Toutes ces prières murmurées ou chantées chaque
dimanche ne peuvent pas avoir été vaines. Quelqu’un est à l’écoute, forcément.
Et tous les malheurs d’Ayiti ne peuvent rien contre sa croyance en l’immortalité de
son île. D’ailleurs, aujourd’hui elle en a la preuve : toutes ces feuilles
tombées du grand gaïac qui surplombe la rue sont autant de signes que l’île
n’est pas encore tout à fait oubliée des dieux. La transformation du bois saint
s’est faite comme chaque année. Les feuilles vertes se sont décolorées, se sont
plissées, recroquevillées à leur maturité. Un peu comme elle, qui pense à la
jeune pousse qu’elle a été il y a bien longtemps et qui aujourd’hui se plie
sous la douleur des rhumatismes. Ces feuilles jaunies pourraient bien finir en
décoction dans sa cuisine, pour lutter contre ces douleurs articulaires qui lui
tordent les doigts. Ou alors, peut-être en fera t-elle des élixirs contre les
mauvaises maladies. Le bois des Français est renommé pour ses vertus qui lui
viennent de son lien direct avec la terre mère, depuis la nuit des temps. Elle
sait que les arbres n’ont pas tous résisté au dernier trambleman. Peu d’entre eux sont encore debout. Peu d’entre eux ont
encore l’occasion de perdre autant de leurs vieilles feuilles d’un seul coup, le
jour où les nouvelles, plus jeunes, plus vigoureuses, sont suffisamment
développées. Seuls les passants comme elles, attentifs, qui ont le temps, qui marchent
lentement, s’en rendent compte. Elle cueille comme en dansant les feuilles d’or
des arbres renaissants, en se disant que c’est un signe comme un autre pour croire
que tout ira mieux demain, et aussi tout
simplement parce-que cela lui fait plezi.
Photo : Marc Déotte
Extrait
de : Habitants d'Afrique - Photos de Marc Déotte - 60 auteurs et leurs
histoires - à commander à Marc Déotte 32 rue Conti 34120 PEZENAS -
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