dimanche 24 février 2013

De mères en filles


Moi qui suis née dans les années 60 et élevée, éduquée, après 1968, avec toutes les libertés grâce à des parents résolument modernes et à l’avant garde, je ne comprends pas toujours ni celles qui refusent toute forme de féminisme comme si c’était une tare, ni celles qui en font un fer de lance sans voir que certains combats sont parfois déjà gagnés, parfois très loin de l’être.
Ainsi le film Wajda, réalisé par une femme, originaire d’Arabie saoudite, pour qui ? Il n’y a pas de salle de cinéma dans ce pays et de toutes manières, les femmes n’auraient pas le droit d’y entrer, fût-ce avec le consentement de leur mari. Les jeunes hommes ne le verront pas non plus, et devront apprendre par eux-mêmes l’injustice et leur malheur de ne pas pouvoir eux non plus partager leurs jeux d’enfants avec des filles. Cette petite fille et ce garçon, qui ont quand même joué dans ce film, peut-on espérer qu’ils fassent plus tard partie de ceux qui tourneront le dos à certaines coutumes ancestrales, par lesquelles  si les femmes ne représentent rien et n’ont aucun droit, les hommes sont eux aussi tout aussi bien entravés.
Ainsi le film Le cahier, où dans un pays en guerre et plus que répressif envers les femmes, une petite fille tient tête aux bandes de garçons qui ne savent que jouer à la guerre comme les américains et qui voudraient l’obliger à être prisonnière, déjà. Elle les repousse, seule au milieu de ses sœurs obéissantes qui ne savent déjà plus qu’elles peuvent dire « non ». Elle brave le danger pour aller à l’école où elle barbouille de rouge à lèvres son cahier finalement donné par l’Unicef. Les garçons, eux, vont bien à l’école mais en plein air, avec une ardoise et quelques craies pour tout équipement universitaire. Le combat doit être mené par les deux bouts, sinon ça ne marchera pas.
Alors j’ai un peu de mal, oui, à accepter qu’on parle, sous couvert de féminisme, pour vanter la féminité sous toutes ses formes, du « privilège » d’enfanter alors que c’est justement le fait d’être mère qui nous entrave, nous enferme, nous oblige, sans parler de celles qui n’ont aucun choix. Là non plus, le combat n’est pas égal. Et je ne suis pas certaine que l’enfantement soit vécu comme un privilège par la moitié des femmes, notamment par celles qui, mariées de force trop tôt, en meurent. Ce n’est pas un privilège, dans ce pays comme dans tous les autres, quoi qu’on en dise.
Avoir des enfants, de quelque manière que ce soit, y compris l’adoption ou tout autre moyen, cela devrait pouvoir être un partage également, lorsqu’on est deux, et pourquoi pas tout(e) seul(e) même si c’est vraiment difficile, lorsque ce n’est pas interdit.
Partager, c’est ce que souhaite Barbara Polla dans son livre « Tout à fait femme » (Odile Jacob, 2012). J’ai bien peur que ce soit un vœu pieux, en tout cas un contrat à très long terme.



jeudi 14 février 2013

des hommes et des femmes : Mars and Venus


Mars invite Vénus à déjeuner au restaurant, à midi. Vénus accepte mais elle le regrette très tôt, déjà en y allant car elle sait ce que veut Mars et qu’elle ne veut pas lui donner. Mais Mars est un gentil, ça se passera de manière correcte. Mars est marié, Vénus vit en couple, ils ont tous les deux des enfants. Mars a invité Vénus car il l’a rencontrée dans des circonstances très particulières et il s’est passé quelque chose entre eux lors de cette après soirée, un bavardage assez intime pour qu’ils se soient rapprochés. Vénus a une vie compliquée, en instance de rupture, elle hésite, elle tergiverse, elle ne sait pas comment s’y prendre. Mars a une vie stable, trop stable depuis plus de vingt ans, peut-être s’ennuie t-il un peu ? En tout cas il saute sur cette occasion, une vénus intéressante, un peu en déroute donc fragilisée, qui va lui apporter ce piment qui lui manque, engoncé comme il l’est dans sa routine campagnarde. C’est ce qu’il espère, c’est ce qu’il attend.
Vénus s’ennuie rapidement en mangeant son menu du jour. Elle ne sait quoi dire à Mars pour qu’il cesse de la manger des yeux, elle tente de lui démontrer qu’il n’y a aucun espoir car elle ne sait même pas ce qu’elle va devenir alors pas question de se rajouter une aventure en plus avec un homme marié, qui habite loin, qui n’est pas l’homme idéal qu’elle recherche. Elle ne sait plus rien à part qu’elle doit se débrouiller seule pour passer ce cap, seule à affronter les difficultés qui vont surgir dès qu’elle aura pris sa décision.
Mars louvoie pour ne pas se faire jeter et explique qu’il n’attend rien qu’un peu d’amitié, d’échanges, de bavardage. Mensonge éhonté mais qu’il dit si gentiment que Vénus le croit presque. Mais elle ne sait pas quoi lui répondre, car qu’est-ce qu’une amitié entre homme et femme qui ne se termine dans un lit ? Elle ne croit déjà plus en grand-chose en ce qui concerne les hommes et les femmes. Mars y croit encore et veut y croire, il a tendance à vouloir vivre ses rêves, en pensant qu’il n’y aura pas de dommages collatéraux.
Mars croit dur comme fer que Vénus va changer sa vie, en fait elle l’a déjà changée, il pense à elle trop souvent, lui écrit, l’appelle parfois malgré le danger du conjoint et c’est vrai qu’ils s’amusent au fond, un jeu de chat et de souris sans être jamais sûr de qui joue quoi. Et puis Vénus a tellement peu d’amour dans sa vie quotidienne qu’un peu d’attention lui fait du bien. Chacun y trouve son compte mais Vénus recule dès qu’il lui demande d’aller un peu plus loin, elle ne veut pas s’engager, elle ne veut pas d’ennuis, elle en a trop déjà et trop souvent son mouchoir roulé en boule lui sert à tamponner ses yeux.
Le repas se poursuit, heureusement ils ont quelques autres sujets de conversation, professionnels, les connaissances communes qui ont participé à leur rencontre. Ces connaissances sont toutes plus jeunes qu’eux et ne peuvent donc pas les aider par leur expérience éventuelle. Ils doivent affronter de nouveaux choix tout seuls, sans avis, sans en parler : Vénus n’a guère de famille et en tout cas pas assez proche pour parler de choses aussi intimes. Mars est un peu prude et ne songe même pas à parler de ses questionnements à  quiconque. Comme beaucoup d’hommes, il garde tout et ne s’épanche guère. Ce sont des choses qu’on ne dit pas, sauf peut être à son meilleur ami mais Mars n’a pas de meilleur ami, ses amis sont de nature d’abord professionnelle ce sont plutôt des collègues, même s’il les connaît bien et partage beaucoup de choses avec eux.  Vénus n’a pas d’amies assez intimes pour parler de ses problèmes, ses amies sont mariées, heureuses, enfin elles en ont l’air et ne comprendraient pas pourquoi ça ne fonctionne pas entre elle et son conjoint. Car ils donnent le change, en public, tout ce qui va mal se passe dans l’intimité, le soir, le week end, quand personne n’est là pour écouter, pour calmer le jeu.
Les deux solitudes de Mars et de Vénus, quoique de nature différente, se sont rejointes et les points communs les ont rapprochés. C’est vrai que Vénus s’était épanchée, pour la première fois, un soir de fête, peut-être que dire ce genre de choses à un inconnu est finalement plus facile, surtout en l’absence du conjoint qui la met en difficulté et c’est vrai que Mars l’avait écoutée, durant des heures, raconter ses affres et son mal-être. Ca aurait pu finir comme ça mais Mars n’en avait pas assez, il voulait aller plus loin, cherchait encore à creuser, à savoir, à tout comprendre de cette femme qui le fascinait tant il croyait qu’elle était différente. Vénus, dans sa déroute, se débattait mollement tout en sachant qu’elle jouait avec le feu. Elle résistait mais ne rompait pas, car qui sait ? Peut être un jour ce Mars lui servirait et en tout cas il était bien utile pour déverser ce trop plein d’émotions avec lesquelles elle devait composer.
Arrive le dessert et Vénus commence à comprendre que non, elle ne peut continuer cette relation de fausse amitié avec cet homme, même s’il insiste et qu’il est gentil. Elle ne sait pas le lui dire, il ne veut pas l’entendre, cela reste donc en suspens, chacun croyant autre chose que ce que pense l’autre. Vénus se dit que de toutes manières il suffira de ne plus répondre à ses lettres, ses appels, ses mails et tout sera dit. Mars se dit qu’il suffira de continuer à l’inonder de nouvelles, d’attentions, de questions pour que l’amitié se transforme en autre chose.
Si le déjeuner en arrive à sa fin, cette histoire, elle, ne finit pas là. Mars et Vénus se retrouveront, se perdront de vue, se retrouveront encore. Mais quoi qu’il leur arrive, Vénus se souviendra toujours de ce déjeuner où rien n’était décidé, où Mars disait dans ses yeux ce qu’il aurait voulu, où elle-même n’en finissait pas de ne pas savoir tout en sachant que non, cet homme ne lui convenait décidément pas, c’était encore trop compliqué. La première impression est toujours la bonne, le problème c’est que la première impression de Mars n’était pas celle de Vénus.


dimanche 10 février 2013

des mille et une nuits, la cinq cent soixante seizième


Certains d’entre nous ont été bercés par les contes dits de fée(s), écrits par des auteurs de pays du nord. C’est à dire là où les princesses dorment d’un sommeil de glace et où les méchantes reines ricanent sous cape. Tout et rien n’est dit dans ces contes, en tout cas surtout pas des choses sur l’amour, l’éveil des sens, les exaltations du corps. 

Mais dans d’autres contes, au cœur du royaume étendu du khalifat Haroun al Rachid, là où les sultans ont droit de vie et de mort sur leurs sujets, on parle de bien d’autres choses : de bains délicieux au hammam, de corps d’adolescentes qui s’éveillent à l’amour et qui osent, parfois, choisir leur maître, bien qu’encore esclaves. On lit avec émerveillement que chacun et chacune peut bénéficier de massages langoureux et caressants après ces bains vaporeux, que les premières nuits entre deux amants se passent à copuler fiévreusement et qu’il y a une suite après le mariage, avant les enfants, et jusqu’à l’arrivée inévitable de la Destructrice des délices et de la Séparatrice des amis.
On y trouve aussi des magiciens haineux et des genni ou autres efrits, qui surgissent d’une lampe magique quoique terne. Pourtant, il y a aussi des amis et des voisins généreux, des commerçants honnêtes et des pincées de poudres magiques ou bangs crétois, bien commodes pour se sortir de situations malencontreuses. Sauf quand elles vous permettent d’y entrer.
Qu’on suive l’histoire d’Abdallah de la terre et d’Abdallah de la mer, celles du jeune homme jaune ou alors mou, on ne peut que s’émerveiller au fil des nuits plus ou moins courtes, qui sont autant de chapitres. Car selon que l’histoire contée retienne l’attention du sultan Shahriar ou moins, l’habileté de Shahrazade croît, qui sait capter et enchevêtrer les fils de ses héros et héroïnes, tous plus étonnants les uns que les autres. Jamais ne s’arrête au bout d’une histoire au petit matin, de crainte d’être mise à mort comme toutes les autres, ses sœurs moins chanceuses. Shahrazade, en aiguillonnant sans cesse la curiosité du sultan,  a sauvé toutes les jeunes filles prêtes à être sacrifiées par ce roi sanguinaire grâce aux mille et une nuits passées à conter des histoires merveilleuses, solaires, drôles, volages et incroyables, qu’il découvre en même temps que nous.
Ma préférée reste Les aventures de Hassân al-bassri, histoire d’initiation, d’amitié, d’amour et de magie. Une histoire longue, qui prend le temps de faire des allers retours dans l’imaginaire, dans l’espace et dans la vie. Une histoire où les femmes sont libres bien qu’enfermées par l’autorité du père, dont les délivre…leur mari, venu les chercher dans des îles WakWak bien lointaines. Une histoire de Splendeur et de femmes-oiseaux, d’oncles un peu magiciens qui donnent un coup de pouce juste quand il faut et d’amazones vieillissantes qui profitent de se laisser charmer pour changer de vie. Une histoire de voyage et de rêve, de vraie et longue amitié entre Hassân et Bouton-de-Rose, telle qu'on peine à la croire possible.
Les Mille et une Nuits – contes traduits par Joseph Charles Mardrus T1 et 2 – collection Bouquins – Robert Laffont.