mardi 28 mai 2013

le sansonnet et les vautours


L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet – Reif Larsen – NiL 2010

L’originalité de ce récit inventé réside notamment dans ses marges, où l’on trouve des dessins, des cartes, des schémas, des notes, des commentaires comme s’il s’agissait vraiment d’un journal ou d’un carnet manuscrit. Car c’est un voyage initiatique, écrit pour n’importe quel public, disons de 9 à 99 ans,   classique. Ce jeune sansonnet de 12 ans, un peu prodige mais pas trop, s’envole de chez lui et après quelques aventures, somme toute réduites, ferroviaires, trouve au bout de son voyage le vrai monde des adultes sans foi ni loi qui tente de le phagocyter sans aucune pensée attendrie pour son jeune âge. Cela a le mérite de nous rappeler que le monde des requins médiatiques ou autres peut faire d’énormes dégâts, notamment quand on sort à peine d’une enfance déjà meurtrie par la mort d’un frère. Et que certains sont prêts à tout, mensonges ou autres malversations, pour l’appât du gain ou d’une notoriété perdue. 
Pensons-y, en ces temps pré-électoraux. 

Sinon, il y a tout dans cette initiation : les vrais faux amis qu’on rencontre au cours du voyage, bons ou mauvais, ceux qui protègent, anges gardiens, ici « mégathérium », sortes d’agents secrets omniprésents, lors des plus grands dangers et puis les figures tutélaires, père notamment qui vous sauvent leur enfant, tout à la fin, d’un air bourru, en leur avouant enfin leur amour.
Les adultes sont compliqués se dira le sansonnet, malgré tout ravi de rentrer chez lui. Toujours l’éternel problème des non dits et des silences, en famille. Parlez-vous, dites-vous que vous vous aimez, c’est la morale de l’histoire et de tant d’autres. A part ça les jeunes prodiges ou surdoués sont comme les autres enfants : ils ont besoin d’être aimés, ils réclament de la tendresse, de l’écoute, de la compréhension. L’intellect n’affecte pas leur perception du monde, du côté du besoin d’amour : ils ont autant besoin d’être entourés que les autres. Alors pourquoi les mettre à part ? Arrêtons une bonne fois pour toutes de mettre tout un chacun dans une case, ça a un côté rassurant mais aussi glaçant. Et c’est si difficile d’en sortir libre.

mardi 14 mai 2013

Red Indian songs


Décidément non, je n’allais pas emporter le 22ème tome de Tout Simenon pour un petit séjour à Londres ! Il me fallait quelque chose de plus léger - au propre comme au figuré - de plus anglo saxon, quoi. Dans l’urgence, je n’ai trouvé que les nouvelles de Louise Erdrich (La décapotable rouge, à suivre un 2ème tome) parues fin 2012 chez Albin Michel. 
Comme elle le reconnaît elle-même, il s’agit de morceaux de roman, des bouts d’histoires, qui pourraient chacune s’insérer dans un récit plus long, ou être le point de départ d’autre chose… mais ce sont toujours les histoires un peu magiques, un peu nostalgiques, un peu désespérées de la condition indienne aujourd’hui aux Etats-Unis : un destin tragique et sans espoir. Des héros de légende, des tribus fières et droites, des savoirs infinis et un présent minable et bouché. A qui est-ce la faute ?
Les hommes sont englués dans un alcoolisme qui facilite l’oubli, les femmes obnubilées par leurs histoires ancestrales dont elles ne peuvent ou ne veulent se dépêtrer… Aucun ne s’en sort mais la magie opère, même si certaines histoires sont difficilement compréhensibles par tout un chacun, qui ne connaît pas le quotidien dans les réserves.
Tout n’est pas terminé cependant, puisqu’il reste l’humour et la capacité à rire de soi :
« Nous ressemblons beaucoup aux morts, me dit Mary, sauf que nous avons l’usage de nos sens.»
« Ca me rappelle Tol Bayer, dis-je. Il y avait chez lui tous les signes de l’alcoolique, sauf qu’il ne buvait jamais. »
L’écriture de Louise Erdrich n’est en aucun cas désespérante, c’est juste qu’on ne voit pas comment ils pourraient s’en sortir, entre deux mondes dont aucun ne leur correspond vraiment et dont ils sont systématiquement rejetés, sauf à perdre leur âme ou leur identité. Exilés sur leurs propres terres. C’est pas tout à fait la même chose.
Les personnages sont bien campés là, filles et garçons, empêtrés dans leurs contradictions, dans l’aujourd’hui et l’hier, sans aucun lendemain. Chaque nouvelle s’arrête ainsi : sur le bord de quelque chose qui n’arrivera jamais, on l’a compris. Encore moins de possibilités de repêchage que dans ses romans, qu’il faut pourtant lire, pour enfin savoir qu’un autre monde de connaissances existe, dont on n’imagine même pas les contours.
Celle que je préfère est sans nul doute l'avant dernière nouvelle "Baise Kayla, et t'es mort". Une histoire qui penche, qui bascule, d'un côté ou de l'autre sans jamais se décider. Un souffle léger, des pas timides, la vie qui s'approche, les choses telles qu'elles sont en toute simplicité. Nous sommes tous des Indiens.

vendredi 3 mai 2013

Aïe ! Mon nez !


Anesthésiée par un rhume persistant, j’ai eu envie d’une lecture opportune : Gogol n’avait-il pas écrit « Le Nez », histoire à se tordre, en forme de pied de nez à la critique et à la censure puisque l’auteur lui-même finit pas s’exclamer : « ce qu’il y a de plus étrange, de plus extraordinaire, c’est qu’un auteur puisse choisir de pareils sujets… ». De fait, ce nez - ou plutôt cette « absence » de nez puisqu’il s’agit bien d’une disparition, fort heureusement temporaire - n’est plus à sa place un matin, réapparaît dans le petit pain tout chaud préparé pour le petit déjeuner du barbier puis réapparaît, après avoir été jeté dans la Néva d’en haut du pont, en habit devant son propriétaire, le major Kolianov, qui ne trouve rien d’autre à faire qu’à lui courir après dans tout Pétersbourg pour finir par se réveiller le lendemain avec son nez à sa place.
La ville de Pétersbourg, justement, est le décor du recueil de nouvelles d’où est tiré Le Nez. Mais Gogol n’en décrit rien ou presque : des rues sombres, des lampadaires faiblards, des façades richement éclairées ou d’autres tristes et boueuses. La perspective Nevski, qui fait l’objet d’une nouvelle (et d’une adaptation en BD chez Paquet - 2005 – Tommy Redolfi), est vue de manière double, mais en fait bien plus diverse encore : vue du peintre trop rêveur qui finit par se tuer d’amour déçu, vue du lieutenant que rien n’atteint, même pas l’humiliation amoureuse qu’il oublie aussitôt, vues diverses de ceux et celles qui la parcourent en tous sens, selon les heures du jour ou de la nuit.
Les autres récits sont tous de la même veine : des histoires un peu fantastiques, un peu fantasmagoriques, avec des personnages hauts en couleur et des petits fonctionnaires miteux. Ca faisait longtemps que je ne m’étais replongée dans la littérature russe, qui d’emblée vous entraîne dans un univers entre réel et rêve, sans jamais choisir.
« Vous aurez beau dire, des aventures comme cela arrivent en ce monde, c’est rare, mais cela arrive ».
Gogol – Nouvelles de Pétersbourg – Folio classique