mercredi 26 juin 2013

Quitter Tokyo


J’avais déjà pas très envie d’aller au Japon, malgré toutes les choses à y voir, certainement très belles et dépaysantes. Après avoir lu Tokyo de Mo Hayder (Presses de la Cité – 2005), sorte de polar noir, très noir, très angoissant et quasi répugnant, même les cerisiers en fleurs ne me font plus envie…
De drôles de personnages, jeunes et désaxés ou vieux et malades dans tous les sens du terme. Des bicoques désossées liées à on ne sait quel passé, des clubs où de jeunes femmes tiennent compagnie aux hommes sans que jamais le sexe vienne s’y mêler. Des hommes-femmes pleines de méchanceté, des yakusas prêts à tout pour survivre et puis aussi un vieux faux professeur chinois en sociologie en quête de rédemption, qui rencontre son alter ego en la personne d’une jeune fille anglaise en quête de vérité.
Cette seule rencontre est le plus intéressant, deux êtres si éloignés et pourtant si proches par leur histoire intime et leur part secrète, commune. Une histoire de bébés ignorants et sacrifiés. Une histoire qui finit pourtant assez bien, puisque « l’ignorance n’est pas la même chose que le mal » et que la jeune anglaise trouve ce qu’elle est venue chercher : une histoire bien réelle, un pan du passé, le massacre de la ville de Nankin qui hante les esprits encore vagabonds par delà les années qui passent et l’étouffement des souvenirs.
Les vieilles croyances mises à mal, la foi en la nature humaine à jamais disparue, chacun retrouvera finalement sa place à la fin de cette « sale histoire ». Juste une petite déception cependant : l’auteure ne nous dit pas si l’héroïne finit par l’écrire cette lettre, à celle qui finalement la sauve en lui demandant : promettez-moi qu’un jour je recevrai une lettre de vous. Une jolie lettre, qui me dira que vous êtes heureuse. Ecrite par vous, dans un autre pays, où vous serez en sécurité. Loin de Tokyo et de toute cette boue inhumaine. A nous d’imaginer d’où elle va l’écrire…

jeudi 13 juin 2013

La vie qui glisse


C’est une histoire, qui, racontée par quelqu’un d’autre que Foenkinos, pourrait être sordide, sombre, malsaine, rude. Une histoire d’homme qui perd son boulot suite à un harcèlement, qui doit divorcer sur la demande de sa femme, qui pourrait perdre pied et qui pourtant miraculeusement s’en sort, rapidement, par miracles : une rencontre, plutôt des rencontres, avec des gens divers qui passent dans sa vie et tous, lui apportent un petit plus qui le fait avancer. C’est souvent comme ça dans ses romans : la situation est plutôt dramatique mais le héros ou l’héroïne s’en sort finalement assez facilement. Pas comme dans la vie, quoi. Pourtant ça ne sonne pas faux, ça sonne même parfois très juste : sur le sentiment éprouvé par les parents quand leurs enfants les quittent, sur les moments d’anxiété lorsqu’on attend un verdict à l’hôpital, sur les instants où l’on se sent complètement décalé par rapport au réel. J’ai oublié de vous dire que cet homme a mal au dos, de là part toute l’histoire mais en fait c’est juste un détail. Il y a des tentatives de rapprochement avec la réalité, la vraie vie (la vision d’un SDF, comme un futur miroir), mais on se remet rapidement sur son portefeuille rempli et ses deux pieds et jamais on ne sombre plus bas que là d’où l’on vient. Les héros de David Foenkinos glissent dans la vie comme dans une chanson de Souchon : rien de ce qui va se passer ne sera vraiment grave. 


Il y a des passages à mon avis en trop, notamment celui de la « scène de ménage » entre les ex mari et femme, pour rien, pour tourner la page, tirer un trait. Il y a des scènes et des personnages un peu hallucinants : une femme omnisciente, un grec gérant d’hôtel 2 étoiles à l’arraché, un dentiste amoureux des bouches… Dans l’ensemble, c’est un livre plaisant, qui se lit vite, à conseiller pour un voyage en train par exemple. Sans aller jusqu’à dire cependant que c’est de la littérature de gare… juste un livre avec lequel on passe un bon moment.
-       Je vais mieux – David Foenkinos – collection blanche - Gallimard 2013 –

samedi 8 juin 2013

Ecrits de Bages (2)


1- A la manière de Lapointe, Bobby (qui, comme chacun sait, ne valait pas un clou)

Ma petite, en bas, est bouclée
Comme une peluche asiatique
Bouclée dans le placard à balais
Où elle cache ses cosmétiques

Mes tics à moi c’est de l’aimer
La chérir, la déshabiller et lâcher prise
Mais elle, mam’zelle, elle a des ailes
Et de chacun elle est éprise

Les prisunic elle les connaît
Elle les écume, le jour et la nuit
Pour acheter des trucs, des jeux de go, des michés
Carrés, mentholés et même certains en parapluie

Lui n’y comprend goutte à ce que veut la p’tite
Et reste positionné sur ses missions
Peuchère, voit pas que leur amour périclite
Au risque d’y perdre, sauf compromission

Accompli, leur amour tient pourtant bon
Tant bien que mal, les deux vont de pair
Y a tant de choses qui tournent pas rond
Vaut mieux fredonner tra la la lère


2- Sur l’air de Tchita la créole


Elle a des bas, oh les beaux bas
Noirs d’en haut jusqu’en bas
Si elle les ôte, y a tous mes potes
Qui rappliquent pour faire une belote

Refrain
De Paris à Bruxelles
On ne voit sûr’ment qu’elle
Sa robe rouge à p’tits points
M’a mis d’ssus le grappin


Elle a une bouche, une bouche à lèvres
Qu’elle entrouvre juste ce qu’il faut
On se met tous à avoir la fièvre
Quand sa bouche a la forme d’un O

Refrain

Elle porte des tas, de boîtes en fer
Qui tombent dans l’escalier derrière
Tous les cigares, les chocolats
Dégringolent d’en haut jusqu’en bas

Refrain

Elle sait bien qu’tout un chacun
Ne rêve que d’une chose c’est certain
Se mettre en quatre, s’plier en deux
Rester planté devant ses yeux

Refrain

Mais quand elle m’dit « Mon p’tit chéri »
A Bruxelles ou même à Paris
Je reste bouche bée ou même baba
Et je déguste tous ses appâts

De Paris à Bruxelles
On ne voit sûr’ment qu’elle
Sa robe rouge à p’tits points
M’a mis d’ssus le grappin

Merci à LaFabrikulture

samedi 1 juin 2013

Ecrits de Bages (1)


Chaque année au mois de mai, l’association Porte Voix propose des ateliers d’écriture pendant tout un week-end, à Bages (Aude), village perché sur les étangs, près de la méditerranée. Je suis fidèle depuis des années à ces deux jours d’ "Ecrire en mai" et 2013 a répondu à toutes mes attentes.

C’est moi sur la photo !




« Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, si je me retrouvais planté ici. C’est moi qui ai voulu fuir cette maison, enfin surtout fuir mon père, ivre et menaçant. Ma mère, elle, ça faisait déjà longtemps qu’on ne se voyait plus, même si on habitait ensemble. Moi je voulais vivre des aventures palpitantes et héroïques, comme celles que je lisais en cachette de mon père, le soir au fond de mon lit après avoir barricadé la porte de la chambre, avec la chaise coincée sous la poignée.  Je m’ferai pas avoir deux fois. A l’époque j’aimais bien lire, j’aimais bien aller à l’école, un endroit tranquille où il faisait chaud et où on nous donnait à manger une fois par jour. A la maison, c’était pas toujours le cas, même le dimanche.
Alors j’y suis allé. Je suis parti, laissant derrière moi toute cette moisissure et j’ai cru que j’allais trouver un endroit accueillant, chaleureux, solidaire. Tout l’contraire de ce à quoi j’avais eu droit jusqu’à maintenant. On m’avait dit que c’était un endroit super, où on pouvait se parler, où on trouvait de l’écoute et de la compréhension. Je rêvais de parler à des garçons comme moi, qui ne me regarderaient pas bizarrement mais comme un des leurs, identique à eux. Je rêvais d’appartenir à un groupe où on serait tous pareils, oui, avec les mêmes idées et tout. Les mêmes idéaux aussi, oui.
Ce que j’ai trouvé ? Ben, une multitude de gens, tous différents, même indifférents. Personne ne me connaissait, je ne connaissais personne. J’ai appris des trucs, oui, mais c’était toujours dans la cohue, au milieu des autres et on s’adressait à tous de la même manière, froide et impersonnelle. J’en ai aussi entendu qui gueulaient aussi fort que mon père. J’ai tenu bon, je voulais pas être venu là pour rien. Et pour rien au monde je ne serais retourné chez moi. Je me disais : le monde est comme ça et ça n’empêche pas les héros de vivre leur vie palpitante.
Ce jour là il faisait beau, le soleil tapait sur les crânes et luisait sur les casques. On avait prévu un gros temps alors on était couverts, protégés, matelassés. Et puis on ne sait jamais ce qui peut arriver, là, il vaut mieux tout prévoir. Déjà ça remuait un peu des deux côtés, les files s’agitaient. J’étais ébloui par le soleil qui se réverbérait sur les différentes vitres pour s’acharner sur nous, qui restions immobiles et sur ceux d’en face, presque immobiles aussi. Ils étaient jeunes, comme la plupart d’entre nous, je n’arrivais pas à savoir à quoi ils pouvaient bien penser. Mais peut-être qu’ils ne pensaient pas non plus, comme nous. On se fait souvent des idées fausses sur les gens.
C’était un jour d’anniversaire et il y avait foule, plus que d’habitude. J’essayais de ne pas trop bouger et d’attendre mon tour. On finirait bien par me déloger de là et prendre ma place, on ne pouvait pas rester immobile des heures durant.
Le petit clic du photographe, on l’a entendu malgré les cris, les piétinements, les bruits de foule. On s’est tous tournés vers lui et il nous a souri. Le lendemain, on était à la une du journal : c’est moi sur la photo, là, 3ème soldat à droite, le seul qui regarde bien droit devant lui ».

merci à Daniel Marc, pour l'atelier du samedi.