Chaque
année au mois de mai, l’association Porte Voix propose des ateliers d’écriture
pendant tout un week-end, à Bages (Aude), village perché sur les étangs, près
de la méditerranée. Je suis fidèle depuis des années à ces deux jours
d’ "Ecrire en mai" et 2013 a répondu à toutes mes attentes.
C’est
moi sur la photo !
« Je
ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, si je me retrouvais planté ici. C’est moi
qui ai voulu fuir cette maison, enfin surtout fuir mon père, ivre et menaçant.
Ma mère, elle, ça faisait déjà longtemps qu’on ne se voyait plus, même si on
habitait ensemble. Moi je voulais vivre des aventures palpitantes et héroïques,
comme celles que je lisais en cachette de mon père, le soir au fond de mon lit
après avoir barricadé la porte de la chambre, avec la chaise coincée sous la
poignée. Je m’ferai pas avoir deux
fois. A l’époque j’aimais bien lire, j’aimais bien aller à l’école, un endroit
tranquille où il faisait chaud et où on nous donnait à manger une fois par
jour. A la maison, c’était pas toujours le cas, même le dimanche.
Alors
j’y suis allé. Je suis parti, laissant derrière moi toute cette moisissure et
j’ai cru que j’allais trouver un endroit accueillant, chaleureux, solidaire.
Tout l’contraire de ce à quoi j’avais eu droit jusqu’à maintenant. On m’avait
dit que c’était un endroit super, où on pouvait se parler, où on trouvait de
l’écoute et de la compréhension. Je rêvais de parler à des garçons comme moi,
qui ne me regarderaient pas bizarrement mais comme un des leurs, identique à
eux. Je rêvais d’appartenir à un groupe où on serait tous pareils, oui, avec
les mêmes idées et tout. Les mêmes idéaux aussi, oui.
Ce
que j’ai trouvé ? Ben, une multitude de gens, tous différents, même
indifférents. Personne ne me connaissait, je ne connaissais personne. J’ai
appris des trucs, oui, mais c’était toujours dans la cohue, au milieu des
autres et on s’adressait à tous de la même manière, froide et impersonnelle.
J’en ai aussi entendu qui gueulaient aussi fort que mon père. J’ai tenu bon, je
voulais pas être venu là pour rien. Et pour rien au monde je ne serais retourné
chez moi. Je me disais : le monde est comme ça et ça n’empêche pas les
héros de vivre leur vie palpitante.
Ce
jour là il faisait beau, le soleil tapait sur les crânes et luisait sur les
casques. On avait prévu un gros temps alors on était couverts, protégés,
matelassés. Et puis on ne sait jamais ce qui peut arriver, là, il vaut mieux
tout prévoir. Déjà ça remuait un peu des deux côtés, les files s’agitaient. J’étais
ébloui par le soleil qui se réverbérait sur les différentes vitres pour
s’acharner sur nous, qui restions immobiles et sur ceux d’en face, presque
immobiles aussi. Ils étaient jeunes, comme la plupart d’entre nous, je
n’arrivais pas à savoir à quoi ils pouvaient bien penser. Mais peut-être qu’ils
ne pensaient pas non plus, comme nous. On se fait souvent des idées fausses sur
les gens.
C’était
un jour d’anniversaire et il y avait foule, plus que d’habitude. J’essayais de
ne pas trop bouger et d’attendre mon tour. On finirait bien par me déloger de
là et prendre ma place, on ne pouvait pas rester immobile des heures durant.
Le
petit clic du photographe, on l’a entendu malgré les cris, les piétinements, les
bruits de foule. On s’est tous tournés vers lui et il nous a souri. Le
lendemain, on était à la une du journal : c’est moi sur la photo, là, 3ème
soldat à droite, le seul qui regarde bien droit devant lui ».
merci à Daniel Marc, pour l'atelier du samedi.
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