samedi 1 juin 2013

Ecrits de Bages (1)


Chaque année au mois de mai, l’association Porte Voix propose des ateliers d’écriture pendant tout un week-end, à Bages (Aude), village perché sur les étangs, près de la méditerranée. Je suis fidèle depuis des années à ces deux jours d’ "Ecrire en mai" et 2013 a répondu à toutes mes attentes.

C’est moi sur la photo !




« Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, si je me retrouvais planté ici. C’est moi qui ai voulu fuir cette maison, enfin surtout fuir mon père, ivre et menaçant. Ma mère, elle, ça faisait déjà longtemps qu’on ne se voyait plus, même si on habitait ensemble. Moi je voulais vivre des aventures palpitantes et héroïques, comme celles que je lisais en cachette de mon père, le soir au fond de mon lit après avoir barricadé la porte de la chambre, avec la chaise coincée sous la poignée.  Je m’ferai pas avoir deux fois. A l’époque j’aimais bien lire, j’aimais bien aller à l’école, un endroit tranquille où il faisait chaud et où on nous donnait à manger une fois par jour. A la maison, c’était pas toujours le cas, même le dimanche.
Alors j’y suis allé. Je suis parti, laissant derrière moi toute cette moisissure et j’ai cru que j’allais trouver un endroit accueillant, chaleureux, solidaire. Tout l’contraire de ce à quoi j’avais eu droit jusqu’à maintenant. On m’avait dit que c’était un endroit super, où on pouvait se parler, où on trouvait de l’écoute et de la compréhension. Je rêvais de parler à des garçons comme moi, qui ne me regarderaient pas bizarrement mais comme un des leurs, identique à eux. Je rêvais d’appartenir à un groupe où on serait tous pareils, oui, avec les mêmes idées et tout. Les mêmes idéaux aussi, oui.
Ce que j’ai trouvé ? Ben, une multitude de gens, tous différents, même indifférents. Personne ne me connaissait, je ne connaissais personne. J’ai appris des trucs, oui, mais c’était toujours dans la cohue, au milieu des autres et on s’adressait à tous de la même manière, froide et impersonnelle. J’en ai aussi entendu qui gueulaient aussi fort que mon père. J’ai tenu bon, je voulais pas être venu là pour rien. Et pour rien au monde je ne serais retourné chez moi. Je me disais : le monde est comme ça et ça n’empêche pas les héros de vivre leur vie palpitante.
Ce jour là il faisait beau, le soleil tapait sur les crânes et luisait sur les casques. On avait prévu un gros temps alors on était couverts, protégés, matelassés. Et puis on ne sait jamais ce qui peut arriver, là, il vaut mieux tout prévoir. Déjà ça remuait un peu des deux côtés, les files s’agitaient. J’étais ébloui par le soleil qui se réverbérait sur les différentes vitres pour s’acharner sur nous, qui restions immobiles et sur ceux d’en face, presque immobiles aussi. Ils étaient jeunes, comme la plupart d’entre nous, je n’arrivais pas à savoir à quoi ils pouvaient bien penser. Mais peut-être qu’ils ne pensaient pas non plus, comme nous. On se fait souvent des idées fausses sur les gens.
C’était un jour d’anniversaire et il y avait foule, plus que d’habitude. J’essayais de ne pas trop bouger et d’attendre mon tour. On finirait bien par me déloger de là et prendre ma place, on ne pouvait pas rester immobile des heures durant.
Le petit clic du photographe, on l’a entendu malgré les cris, les piétinements, les bruits de foule. On s’est tous tournés vers lui et il nous a souri. Le lendemain, on était à la une du journal : c’est moi sur la photo, là, 3ème soldat à droite, le seul qui regarde bien droit devant lui ».

merci à Daniel Marc, pour l'atelier du samedi.

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