jeudi 26 septembre 2013

La liste de mes envies


Malgré une histoire cousue de fil blanc, merci à G. Delacourt d’avoir libéré le désir d’enfin écrire cette liste.

Donner 3 millions à ma sœur aînée pour qu’elle puisse s’offrir la maison de ses rêves avec tout ce qu’elle voudra autour
Aller voir la petite fille de Colombie que je parraine pour qu’elle puisse aller à l’école ; lui permettre d’être heureuse dans sa famille, sa communauté, son quartier, son pays
Acheter enfin une maison, ma maison ne surtout pas demander le prix et faire le chèque avec désinvolture
Passer une année entière à passer d’une ville à l’autre, d’une expo à l’autre, d’un opéra à l’autre
Oser entrer chez Hesmé rue Montardy, tout essayer, tout acheter ( ?)
M’offrir 3 jours en balnéo, massages et pierres chaudes sans avoir rien d’autre à faire
Acheter les mille paires de chaussures qui me manquent
Revoir Rome et Santorin
Offrir un voyage de rêve à tout un chacun
Essayer d’écrire toute une année, avec ou sans succès
Mettre mes enfants à l’abri du besoin
Partir en vacances avec eux, sans souci du lendemain
Essayer un vélo électrique
Remplacer bière par champagne
Ne plus être « obligée de faire »

Mais je ne réussirai pas à

Obtenir une paix durable dans le monde entier

samedi 21 septembre 2013

Amène ton cycle


Entre la bibliothèque de Rangueil et le Musée des Transports et de la Communication
J’ai entendu, à chaque feu rouge, par les vitres ouvertes des voitures, aboyer des rappeurs mais jamais du Mozart
J’ai entendu le silence ouaté de la cour d’école, vide et calme
J’ai entendu tomber la première feuille d’automne
Au musée…
J’aime l’idée des caténaires de la SNCF consignées : ont-elles été rapportées et de quel montant était la consigne ?
J’aime la gare Matabiau toute seule, sans ses bâtiments laids enfin détruits
 J’aime les vieilles malles toutes de cuir et de clous qui prennent la poussière dans les musées, comme de vieilles photos en noir et blanc dans les greniers
Entre Jules Julien et La Boule
Je déteste être enfermée quand l’air est tiède et le vent doux
J’aime pas les longues façades blanches aux mille fenêtres hermétiquement fermées
Je déteste les endroits où l’on dresse les chiens, pour leur apprendre à mordre ceux que leur maître n’aime pas
Dans la Boule…
Je me souviens de l’histoire de Petit Castor et l’Echo, que je racontais le soir à mes enfants
Je me souviens des mille petits objets inutiles que l’on garde chez soi, au cas où
Je me souviens que je suis claustrophobe quand je suis dans un endroit trop confiné
De retour à la bibliothèque…
J’ai envie de savoir lire, écrire et parler dans toutes les langues
J’ai envie que la pluie ne tombe que la nuit
J’ai envie d’avoir un vélo électrique

Merci à Marie (association Yaksa) et Alice (La maison du vélo) pour l’atelier d’écriture en vélo

dimanche 15 septembre 2013

Autrefois, mon grand-père


Mon grand-père paternel s’appelait Emile. Il était cordonnier. Lorsqu’on venait chez lui avec des chaussures neuves, il les prenait dans ses mains et les observait longuement, les jaugeait en quelque sorte. Il me semble qu’il sentait le cuir quand j’étais petite, mais c’est sans doute un faux souvenir. A l’époque, la majorité des « souliers », comme il disait, étaient en cuir, cirés et lacés, pareils à ceux que lui-même a toujours portés. Je n’ose penser de ce qu’il dirait des tennis à la mode toute l’année et en toutes occasions ou des sandalettes aux semelles si fines, que le moindre caillou leur fait un trou. Plus de souliers cirés, plus de fabricants de cirage, plus de cireur de souliers, sauf dans les souvenirs de ceux qui ont plus de 65 ans aujourd’hui, et encore. On dirait bien que seuls les militaires  continuent à cracher sur le cuir de leurs bottes chaque matin.
Mon grand-père venait du Nord et en conservait parfois certains accents, certains mots prononcés bizarrement, qui nous étonnaient et nous faisaient rire. Je n’ai jamais su pourquoi il avait dû partir de là-bas. Peut-être pour suivre ma grand-mère, qui travaillait à La Poste et avait dû être affectée ailleurs. Ils habitaient dans une maison de ville, rue de la Bourie rouge, à Orléans. Ma mère nous y laissait parfois, ma soeur et moi pour quelques jours. On y mangeait de la soupe le matin, et aussi de la crème au chocolat que je n’aimais pas. C’était une drôle de maison, dont je me souviens encore : des meubles fabriqués en Bretagne, sûrement acquis lors du mariage, couverts de petits personnages sculptés qui me fascinaient, deux chambres séparées et des toilettes où il y avait plein de magazines aujourd’hui disparus. Ca sentait le cuir car on y rangeait toutes les chaussures. Où range t-on les chaussures de nos jours ?


Contrairement au petit cordonnier de la chanson (F. Lemarque), mon grand-père était grand, fort et moustachu. Il avait une belle voix de baryton et adorait pousser la chansonnette lors des repas de famille. C’est grâce à lui que j’ai connu « Proserpine », « Marguerite, donne moi ton cœur » et une histoire de blonde auprès de qui il faisait bon et qui faisait mon bonheur… Il fumait en cachette de ma grand-mère qui n’était pas dupe et partait faire de grands tours en vélo, qu’il aimait bien mieux que la voiture. Plutôt qu’en ville, il aurait sûrement mieux aimé habiter dans un petit village dont il aurait pu faire le tour à vélo, en disant bonjour à tout le monde. Plutôt que son balcon de fin de vie, il aurait sûrement mieux aimé biner son potager jusqu’au bout, pour ramasser de quoi faire la soupe du soir. Je sens confusément qu’il y a eu dans la vie de mon grand-père beaucoup de renoncements. Je ne saurais jamais s’il a été heureux quelquefois. Je ne sais presque rien d’eux en fait et c’est comme ça. Les quelques souvenirs qui me restent, des flashs, sont comme de vieilles photos de la France des années 60, perdues dans un tiroir ou qu’on retrouve entassées dans une boîte, à vendre, quelques centimes la pièce, dans une brocante.

dimanche 8 septembre 2013

La botaniste et Zeus


On raconte que j’ai été élevé sur cette montagne, sèche, rocailleuse et aride, autour d’une sorte de grotte difficile d’accès. C’est en tout cas ce que croient les prêts à tout, surtout à clamer haut et fort qu’ils ont gravi le millier de mètres de la « Zas mountain », en suivant un sentier de cailloux sous un soleil de plomb. Les autochtones les regardent d’un œil atone, incrédule ou malicieux selon leur degré de proximité avec cette nature qui les entoure. Les moutons et les chèvres n’en croient pas leurs oreilles et continuent leur propre cheminement le long des murets en pierre, bâtis par leurs bergers et qui font comme des guirlandes accrochées au flanc des collines, comme un immense canevas vert et ocre.
 Moi, je me garde bien d’émettre le moindre avis. Avec ou sans eux, je m’étire le long des versants ensoleillés, je les parcoure en tout sens, reniflant les dos des bêtes à corne ou à laine. Je me laisse guider par les papillons, je regarde détaler les lapereaux à chaque son de cloche. Je redécouvre chaque jour toutes les sentes qui pourtant m’ont vu grandir, je continue à chercher en vain le moindre méandre de ru minuscule ou invisible.
Je sais que les richesses de cette montagne sont souterraines et indestructibles, même s’il suffirait de peu pour que cette terre redevienne désertique, abandonnée, dépeuplée. C’est déjà ce qui est arrivé il y a quelques milliers d’années, bien après la disparition d’Ariane et de ses rires enfantins, lorsqu’elle faisait semblant d’être effarouchée par les assiduités de ce grand vagabond brun. 

Barbu bouclé, mon deux fois fils, voyageur infatigable et amoureux, qui a réussi à lui faire oublier cet autre prêt à tout, surtout à repartir encore à la conquête d’autre chose, plus loin. Le barbu a emporté Ariane et avec elle la joie de vivre de cette île. La joie de vivre, une des seules choses que les humains consentent encore à concéder au grand barbu bouclé, lorsqu’ils s’enivrent à sa gloire. Pour moi et tous les autres, il ne reste que pierres, ruines et oubli.
Je reviens donc sans cesse à cette île et sa montagne dont j’ai la nostalgie. Trop sans doute. Mais le reste du monde n’est que bruit et fureur, que je ne comprends plus. Les terres voisines sont secouées de tremblements, qui proviennent du sol même, ou, bien plus souvent, des humains qui les peuplent. Les conquêtes ne se font pas dans la douceur. Alors qu’ici tout est calme, loin des morceaux de bravoure, inutiles, vains et trop souvent mortels. Je m’y ressource, sans nul besoin de vraies sources jaillissantes et limpides, qui ne sont plus ici que des souvenirs.
Aujourd’hui il fait chaud sur cette terre désolée. Les humains grimpeurs sont peu nombreux, halètent et cheminent lentement. Ils se ressemblent tous, vus de haut. On dirait presque des chèvres, en file indienne, qui courent le long des murets de pierre ancestraux. Mais ils filent moins vite et n’ont plus besoin de berger. Celui-ci, pourtant, paraît différent. Sa démarche est légère, son sac, s’il existe, ne paraît pas pesant. Sa tête tourne gracieusement de part et d’autre du sentier, sans hâte, comme on se promène sans but bien défini, à part celui, justement, de se promener. Un peu comme je le fais si souvent lorsque je suis ici. Je m’arrête un instant pour l’observer. Ce frêle humain est une femme. Elle porte bien un sac mais il semble si léger qu’on dirait bien qu’elle ne porte rien. Elle ne va pas aussi vite que les autres et semble déjà connaître ce sentier. Pourtant, je ne me rappelle pas l’avoir jamais vue. Intrigué, je continue à surveiller ses faits et gestes. On dirait une fleur, plutôt un insecte butineur. Elle aussi observe. M’observe ? Mais non, elle ne peut avoir conscience de ma présence. Elle ne peut même pas y penser. Elle a l’air décidé, sans que cela ait l’air important. Va t’elle grimper tout en haut ? Non, ce n’est pas son but. Elle s’arrête quelques centaines de mètres avant, dans la seule oasis de ce tumulte en feu : un grand arbre feuillu et branchu qui répand une ombre bienfaisante, sinon rafraîchissante. Peu lui importe. Elle sort de son sac trois grands livres et les installe ouverts sur des roches. L’aspect léger du sac n’était qu’un leurre, ces volumes sont de véritables encyclopédies ambulantes. Elle sort du sac d'autres ustensiles encore : loupes, pinces, carnet de croquis, crayons et pages blanches. Je suis subjugué. Posément, elle prélève délicatement les quelques spécimen de la flore qui réussit à subsister maigrement dans cette ombre chaude. Elle les observe de ses yeux clairs, à la loupe, note quelques mots, vérifie des définitions, fait des comparaisons avec les illustrations des encyclopédies, écrit enfin des commentaires dans son carnet. Tout cela dans un calme impressionnant. Elle est tout à son travail, sa passion. Je ne sais même pas si elle a emporté de l’eau pour se désaltérer.

Bien entendu, mon âme de séducteur reprend le dessus mais je ne sais comment m’y prendre. Trop attendri sans doute. Je sens confusément que lui montrer ma puissance serait vain. Je pourrais lui faire découvrir une fleur étrange et improbable. Un don à la fois tendre et puissant. Ou me transformer moi-même en arbrisseau pour me laisser frôler et caresser par ces mains curieuses. Oh oui, je pourrais, ne me suis-je pas déjà converti en cygne magnifique pour séduire une belle ? Même le grand Léonard a dû s’adonner un temps à la botanique pour rendre plus réel le décor de cette affaire. Seules les copies restent, le tableau original est perdu. Il me ressemblait trop, à chaque fois le regarder me faisait mal. Personne ne pouvait à ce point peindre à la fois l’irréel et ce qu’il voulait dire. Léonard avait la grâce des anges dans sa peinture, je l’ai protégé du mieux que j’ai pu.
Aujourd’hui, plus personne ne me sculpte ou ne me peint. Je me sens aussi seul qu’un guerrier impuissant, debout au milieu d’une mer de cadavres immobiles, après un combat contre on ne sait plus trop quoi. 
Reste ma montagne et le peuple qui m’a créé. Cette frêle humaine en fait partie. Elle sait que le temps n’a pas de prise sur le rocher, l’arbre, les plantes qu’elle observe. Elle fait donc son travail lentement, consciencieusement. Elle aussi est amoureuse de cette terre, à sa manière, car elle connaît tout de son histoire, de la mienne et se met juste à sa place. Elle vit dans l’instant et travaille pour apporter sa toute petite contribution à quelque chose qui la dépasse un peu. Tout un monde que les humains croient connaître et qu’ils ne font qu’effleurer.

Naxos, août 2013

dimanche 1 septembre 2013

au British Museum, la Grèce


Au fil des chemins tortueux, des routes pentues, des sentiers caillouteux de toute la Grèce, on peut trouver des vestiges de la civilisation antique, aux pierres si méconnues mais aux dieux encore tellement vivants. Pour concevoir cette antiquité, lorsqu’on n’est pas spécialiste, un bon guide qui raconte bien est nécessaire. Car réussir à remonter le temps devant quelques colonnes encore debout et une statue sans tête mais encore drapée dans sa toge n’est pas donné à tout le monde. Et imaginer la splendeur passée de Démeter devant des blocs de pierre alignés, même nombreux, n’est pas chose évidente.





Alors il reste les musées, ou l’Acropole et ses vestiges aux noms prestigieux. Le site entier de l’Acropole, incluant l’agora grecque (si on arrive à temps pour visiter), son musée flambant neuf et jusqu’à l’Olympion peut encore faire rêver malgré les ruines, l’érosion, l’abandon. 

Un fantôme de théâtre garde encore quelque chose de Dyonisos ; de multiples statues de Poséidon conservent leur puissance ; les divers Apollons leur splendeur, malgré l’isolement de chacun. On n’a aucune idée de l’ensemble, sauf qu’on se sent tout petit devant ces portes immenses, ces colonnes de temples colossaux, ces portiques élancés. On se souvient à peine des enseignements sur la Grèce antique, civilisation fondatrice et comme on n’a pas fait de grec ancien, on tente de rassembler le peu de racines des mots qui nous restent. Bref, on reste assez loin de l’Histoire.
Le tout nouveau musée de l’Acropole aurait pu réussir à la faire revivre. Le tour de force est réel, d’avoir reconstruit à l’identique – mis à part les dimensions des colonnes – le Parthénon dans son ensemble, pour que le visiteur comprenne enfin ce que voulait dire la puissance grecque et la vénération des dieux, Zeus et Athéna au tout premier plan. On tente de recréer la magie des lieux, on essaie de rêver aux morceaux absents, détruits ou volés. Car voilà qu’au détour d’un commentaire, on apprend le pillage général. Que les Grecs aient construit leurs nouvelles habitations avec les pierres des anciens sites, passe encore, qui n’a pas fait de même ? Mais qu’un Lord Elgin, 7ème du nom, détache et emporte allègrement la plus grande moitié du portique est du Parthénon, en vue de faire fortune une fois rentré dans son Angleterre natale, alors ça non, ça ne passe pas.
Lorsqu’on a fait tous ces kilomètres, lorsqu’on a enfin monté toutes ces marches, lorsque nos yeux se posent enfin sur les caryatides tant attendues, on ne veut que croire ce que voient nos yeux.
Or oui, celles qui sont dehors, exposées au vent, sont des copies. Soit, la copie est bien faite et on n’y voit goutte, d’ailleurs on ne les voit que de loin et même les copies ont droit à des machines moches qui mesurent l’humidité et dieu sait quoi encore pour ne pas qu’elles soient abîmées ; c’est dire la valeur des copies. Alors on se console en allant voir les originales, gardées à l’intérieur, hors contexte, comme un trésor. Et là encore, on apprend que la sixième caryatide, celle qui fait de l’Erechtheion l’un des plus beaux vestiges debout, se trouve… au British Museum, à Londres. Grâce au fameux Lord, qui, s’il n’a finalement pas fait fortune, a fait celle de la capitale anglaise : après avoir fait la fine bouche, elle a pu racheter la totalité des vestiges rapportés, à bas prix et pour sa plus grande gloire, juste après la pierre de Rosette.
Franchement, on aimerait bien que les Anglais rendent à la Grèce la sixième caryatide, et puis aussi la tête de cheval du char de Séléné avec ce qui reste du portique est du Parthénon, les bas-reliefs et tout ce que Lord Elgin a emporté sans vergogne. Leur vraie place est au nouveau musée de l’Acropole, aux côtés de tout ce qui y est exposé.
 







Il paraît que la tendance, dans les pays ex colonisateurs, est enfin à rendre aux pays ex colonisés leurs trésors pillés lors de longues années d’explorations dévastatrices. La France aurait récemment rendu une tête de chef kanak à la Nouvelle Calédonie indépendante, après des années de tergiversations, de recherches dans les inventaires oubliés, et autres négociations hautement diplomatiques. Alors, la sixième caryatide en cadeau d’inauguration du musée de l’Acropole, ça serait un sacré symbole de solidarité européenne, non ?