dimanche 15 septembre 2013

Autrefois, mon grand-père


Mon grand-père paternel s’appelait Emile. Il était cordonnier. Lorsqu’on venait chez lui avec des chaussures neuves, il les prenait dans ses mains et les observait longuement, les jaugeait en quelque sorte. Il me semble qu’il sentait le cuir quand j’étais petite, mais c’est sans doute un faux souvenir. A l’époque, la majorité des « souliers », comme il disait, étaient en cuir, cirés et lacés, pareils à ceux que lui-même a toujours portés. Je n’ose penser de ce qu’il dirait des tennis à la mode toute l’année et en toutes occasions ou des sandalettes aux semelles si fines, que le moindre caillou leur fait un trou. Plus de souliers cirés, plus de fabricants de cirage, plus de cireur de souliers, sauf dans les souvenirs de ceux qui ont plus de 65 ans aujourd’hui, et encore. On dirait bien que seuls les militaires  continuent à cracher sur le cuir de leurs bottes chaque matin.
Mon grand-père venait du Nord et en conservait parfois certains accents, certains mots prononcés bizarrement, qui nous étonnaient et nous faisaient rire. Je n’ai jamais su pourquoi il avait dû partir de là-bas. Peut-être pour suivre ma grand-mère, qui travaillait à La Poste et avait dû être affectée ailleurs. Ils habitaient dans une maison de ville, rue de la Bourie rouge, à Orléans. Ma mère nous y laissait parfois, ma soeur et moi pour quelques jours. On y mangeait de la soupe le matin, et aussi de la crème au chocolat que je n’aimais pas. C’était une drôle de maison, dont je me souviens encore : des meubles fabriqués en Bretagne, sûrement acquis lors du mariage, couverts de petits personnages sculptés qui me fascinaient, deux chambres séparées et des toilettes où il y avait plein de magazines aujourd’hui disparus. Ca sentait le cuir car on y rangeait toutes les chaussures. Où range t-on les chaussures de nos jours ?


Contrairement au petit cordonnier de la chanson (F. Lemarque), mon grand-père était grand, fort et moustachu. Il avait une belle voix de baryton et adorait pousser la chansonnette lors des repas de famille. C’est grâce à lui que j’ai connu « Proserpine », « Marguerite, donne moi ton cœur » et une histoire de blonde auprès de qui il faisait bon et qui faisait mon bonheur… Il fumait en cachette de ma grand-mère qui n’était pas dupe et partait faire de grands tours en vélo, qu’il aimait bien mieux que la voiture. Plutôt qu’en ville, il aurait sûrement mieux aimé habiter dans un petit village dont il aurait pu faire le tour à vélo, en disant bonjour à tout le monde. Plutôt que son balcon de fin de vie, il aurait sûrement mieux aimé biner son potager jusqu’au bout, pour ramasser de quoi faire la soupe du soir. Je sens confusément qu’il y a eu dans la vie de mon grand-père beaucoup de renoncements. Je ne saurais jamais s’il a été heureux quelquefois. Je ne sais presque rien d’eux en fait et c’est comme ça. Les quelques souvenirs qui me restent, des flashs, sont comme de vieilles photos de la France des années 60, perdues dans un tiroir ou qu’on retrouve entassées dans une boîte, à vendre, quelques centimes la pièce, dans une brocante.

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