mardi 3 février 2015

Ma vie avec toi


Ma vie avec toi (après 1960)
La première fois que je t’ai vue, c’était à l’occasion d’un anniversaire. Un anniversaire qui fêtait la dizaine d’années du lieu qui te recevait,  même si tu n’étais pas « la reine du bal ». Au milieu de toutes ces autres œuvres, sûrement nombreuses, dont je ne me rappelle pas du tout, tu étais installée, l’air de rien, sûre de ne pas laisser indifférent qui passait à côté. De dehors, tu avais presque l’air d’un refuge normal, je veux dire avec 4 murs et un toit. Les trombes d’eau qu’on entendait se déverser ne devaient sûrement rien avoir à faire avec toi. Et pourtant, lorsqu’intriguée je me suis approchée et que j’ai regardé dedans, je les ai bien vues. Elles descendaient de ton plafond et non pas du ciel. Il pleuvait dedans. Dans la maison, dans le refuge qui du coup n’en était plus un. La maison qui pleut, ai-je pensé en regardant ces bassines abandonnées, la table encore dressée, humide, l’eau dégoulinant des tasses, des assiettes, de la table elle-même. On ne connaît pas le bruit de la pluie au dedans. C’est incongru et impensable. Très intrigant. De la nostalgie humide. De la poésie fanée. L’imagination s’envole. Tu étais entrée dans ma vie et n’en sortirais plus. Mais moi dans ce refuge je ne pouvais me réfugier, pas en vrai, juste par la pensée. Depuis je n’y manque pas et pense souvent à toi, surtout quand je me sens abandonnée. Je crois que chacun y voit son propre avenir : l’abandon, l’oubli, le temps qui passe sur une vie, que la pluie finit par envelopper.
Le Refuge de Stéphane Thidet

Ma vie avec toi (avant 1960)
Ca a été l’un des plus beaux cadeaux qu’on m’ait fait : je pouvais choisir la reproduction que je souhaitais dans le catalogue de cette maison d’édition d’œuvres d’art et de photographies. La maison offrait le cadre. C’était mon premier accrochage, tant pis pour la valeur monétaire, finalement assez faible. Qu’importe, fait-on attention à qui est derrière les lèvres du premier à qui l’on donne un baiser ? J’ai choisi une cariatide de Modigliani. Celle qui était dans le catalogue, car je les aime toutes et les collectionnerais si j’en avais les moyens. Celle-ci est langoureuse, les bras levés, nue. Sur un lit défait, avant ou après l’amour, on ne sait. C’est mon modèle, ma femme rêvée, la femme dont les hommes auraient dû rêver. Grise et bleutée, la peau mordorée. Je l’ai chaque jour devant mes yeux, mon idéal féminin jamais égalé. Comme les cariatides grecques qu’on ne peut approcher, elle reste lointaine et mystérieuse. On pourrait dire qu’elle est grossière, mal faite, pas finie, pas agréable de proportions. Qu’importe, j’envie son petit ventre renflé, ses cuisses fermes mal définies et surtout sa position abandonnée et sûre d’elle à la fois, en même temps. Les cariatides ont l’éternité devant elles et contemplent de leurs yeux vides un néant vertigineux. On y plonge avec délices, pour se laver de la vie quotidienne et des petits renoncements. Les cariatides sont des statues immuables de l’île de Pâques qui défient tout velléité humaine de les comprendre. Elles n’ont pas besoin de nous pour exister. 


Merci à la fondation pour l'art contemporain CE, pour l'idée

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire