mardi 31 mars 2015

palabras retiradas

Le hasard fait parfois bien les choses : au gré des étals de bouquinistes, il m'arrive de tomber sur des livres qui se parlent, qui s'entrechoquent, se rencontrent à des années de distance, se parlent entre lecteurs interposés.

Ainsi en est-il, en partie, de "La force de l'âge" de Simone de Beauvoir, qui se passe notamment en France à Paris pendant l'avant-guerre de 39/45 et de "Pas pleurer" de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, qui évoque le début de la guerre civile en Espagne, en 1936. Quel rapport, me direz-vous ? Justement, on a le point de vue français de l'une sur cette levée espagnole, libertaire et rouge, avec ces amis qui partent s'engager et combattre aux côtés des espagnols alors qu'en même temps menace la guerre avec l'Allemagne, alors que le même Front populaire bat de l'aile. Période pleine d'incertitudes, d'espoirs. De l'autre, on a le point de vue d'une mère aujourd'hui fatiguée qui avait 16 ans en 36, dans un village comme sûrement tant d'autres, où les communistes affrontent les idées plus révolutionnaires, libertaires, anarchistes, communautaires. Un point de vue de l'intérieur et un autre de l'extérieur, qui reste proche (?) des idées mais sans prendre part à l'action, aux actions. Un point de vue de paysans quasi illettrés et l'autre d'intellectuels engagés.
Du point de vue du langage, même différence : l'un est littéraire en diable et l'autre mélange les saveurs hispanisantes du sabir parlé par tous ces réfugiés qu'on a parqué dans ces camps miteux du sud de la France, qui sont restés faute de pouvoir rentrer chez eux après la victoire de Franco, qui se sont "assimilés" sans toutefois perdre complètement leur langue d'origine, qu'ils mélangent joyeusement aux mots trop français, trop ressemblants, de leur pays d'adoption forcée.

Ces deux livres sont très dissemblables et pourtant se ressemblent, s'assemblent puisqu'ils ne parlent que d'une chose : la perte des illusions, l'arrivée à l'âge adulte, avec tous ses renoncements. J'y ai appris beaucoup de choses. Des moments d'histoire qu'on a peine à croire aujourd'hui. Des massacres perpétrés par le camp adverse et des festivités entre compères du même camp. Des complicités abjectes et des amitiés indéfectibles. Je suis restée étonnée de la franchise avec laquelle ces deux livres sont écrits,  racontés. Ne serait-ce pas justement ce dont on a le plus besoin, en ces temps fatigués où la langue de bois est reine ? Ou le mensonge règne ? Où le non-dit devient quotidien ? En ces temps où les promesses ne sont pas tenues et où on ne sait pas bien si les espoirs sont encore permis.


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