lundi 26 octobre 2015

La nuit n'est jamais complète et il y a toujours...


 

...Une enfant quelque part qui fait le pitre dans la lumière bleutée au lieu de s’endormir tranquillement à la nuit tombée. Elle se lève, tourne et virevolte, cherche quoi faire, descend à la cuisine chercher un ustensile et s’amuse avec. Elle le met en équilibre sur sa tête et fait des cabrioles. L’ustensile tombe, patatras, un bruit épouvantable cascade dans l’escalier, la petite se fige et attend que tout soit retombé dans le noir de la nuit. Rien ne bouge, pas même les rideaux sur la fenêtre entrouverte malgré l’hiver. Alors elle remonte dans sa chambre, lentement, en ayant presque peur de son ombre qui danse sur le mur et de son pas qui fait grincer les marches de l’escalier, qui paraît vivant.



 Plus tard, dans les couloirs de l’internat du collège, l’enfant grandie trop vite aura du mal à surmonter sa peur des lumières nocturnes qui à leur tour viendront danser sur le mur du dortoir où elle est priée de ne pas faire de bruit. Et malgré la présence des autres filles, malgré la lumière jaune et chaude qui filtre sous la porte de la surveillante, l’enfant se lèvera chaque fois, enfilera son anorak et très doucement, sur la pointe des pieds, ira regarder la neige tomber, flocons luminescents derrière la vitre du couloir. Cette lumière-là est la plus belle, elle ne l’oubliera jamais.




Cette lumière-là, blanche dans la nuit noire, n’a rien à voir avec l’éclat cru et resplendissant du soleil, qui tombe tout droit sur les peaux blafardes, rosées d’abord, puis rougeoyantes, des juillettistes affalés. L’enfant se garde de rester sous cette lumière aveuglante. Elle préfère l’ombre du parasol, qui bouge, qui danse et virevolte au gré du vent, comme elle quand elle était petite. Elle sait jouer avec, pendant des heures, elle en oublie les vagues qui dansent elles aussi.


Les garçons aussi aiment jouer. Mais dans l’ombre et avec les filles. L’enfant ne sait pas qu’il ne faut pas les suivre dans les encoignures de portes, dans les ruelles obscures où nul lampadaire ne s’amuse à faire danser leurs ombres, 4 ombres simultanées, dans le rond de la lumière jaune. Elle ne sait pas ce qu’elle perd en acceptant cette nuit étroite, où seul le garçon l’entraîne par la main, viens, allez viens, n’aie pas peur, je suis là. Mais elle, ce qu’elle aime, c’est voir danser des ombres fugaces sur son visage et dans ses yeux effarés. Ils ont tous les deux peur, car aucun d’eux ne sait où ils vont aller.


La rue est déserte. La nuit est silencieuse. La ville est endormie. Les maisons sont éteintes. Seule la fenêtre de la maison où l’enfant habite est éclairée et jette une lueur mordorée sur les pavés déserts. L’enfant, qui n’en est plus une, sauf les nuits de ses insomnies,  regarde l’aube se lever. Elle attend la neige, qui va commencer à tomber. Ses souvenirs d’enfance remontent à la surface, la font pleurer, sans tristesse ni nostalgie ; puisque c’est toujours la même magie, vingt ans après.





Paragraphes construits d’après photos réalisées par des lauréats du Festival Manifesto – Toulouse 2015 : 1/ Karolin Klüppel – 2/ Heiko Tiemann – 3/ Sandra Mehl – 4/ Bérangère Fromont – 5/ Zacharie Gaudrillot-Roy. Merci à ces artistes de nous avoir prêté, le temps d’un tour de table, leurs photos choisies.

mardi 20 octobre 2015

Festival du polar ou comment se débarrasser du cadavre


Dans les Pouilles, au sud de l’Italie, au fond de la botte, il fait très sec. La mer n’est jamais bien loin mais reste inaccessible à cause des falaises, à pic. Et puis, lorsqu’on fait partie d’une équipe aussi prestigieuse que celle du Professore Ragalitte, archéologue en chef et sommité mondiale, on n’a pas le loisir d’aller se rafraîchir dans les vagues. On ne fait que travailler, travailler, du matin au soir : piqueter, passer la balayette, le plumeau, le pinceau, étiqueter, manipuler avec précaution et respirer la poussière à plein nez. Sans aucune reconnaissance pour le travail accompli, même après nos découvertes qu'il s'est empressé de s'attribuer devant les caméras de télévision. 
On en a eu tellement marre du Signore Ragalitte et de ses exigences, qu’on lui a planté la broche de la princesse mérovingienne trouvée la veille, en plein cœur, pendant son sommeil. Comme on était tous hébergés dans un couvent des Carmélites situé à côté, le problème du cadavre ne s’est pas posé tout de suite : il y faisait en effet très frais. Et si la Mère supérieure aurait pu s’inquiéter, elle était trop paresseuse pour insister devant nos rassurantes paroles, qui la tranquillisaient :
-       Il signore Ragalitte sta molto fatigué, il travaille sur des parchemins segreti, il ne faut pas le déranger. Va tutto bene.
Au bout d’une semaine, quand même, ça commençait à puer la momie putréfiée. Et les fouilles devaient se prolonger tout au long de l’été ! Alors on a eu l’idée : notre jeune princesse mérovingienne allait bien nous aider. La pauvre, enterrée toute seule dans ce tombeau, pour l’éternité ! Il était juste et équitable de lui donner un compagnon dans la mort, celui qu’elle n’avait pas eu le temps d’avoir dans sa courte vie.
Chacun s’est acquitté de sa tâche selon ses compétences, comme on fait dans une bonne équipe : Jérémiah s’est occupé du scalp. En tant que descendant direct d’une tribu apache, c’était rassurant. Joseph, notre charpentier, a construit le squelette d'un vrai faux sarcophage qu’Isaac a décoré de verroteries brillantes et mordorées. Et Caïn, notre cuisinier, s’est chargé d’écorcher ce Ragalitte déjà un peu décomposé. Les rats de la crypte du couvent des Carmélites ont apprécié ces restes, moins sanguinolents qu’on aurait pu le croire. Huit petits jours avaient suffi pour assécher notre squelette princier. On l’a donc déposé délicatement dans son cercueil antique fraîchement raboté et puis on a tous fait semblant de s’extasier lorsqu’en creusant, l’apprenti l’a trouvé. Quel beau couple ils faisaient, il Signore Ragalitte et notre princesse ! Qui n’en croyait pas ses yeux exorbités : un prince italien allait l’accompagner dans son tour du monde déjà programmé ! Ils allaient affronter le regard émerveillé des touristes niais, ensemble et à jamais !

mercredi 7 octobre 2015

Lettre à...


Sans le savoir, vous avez imprégné ma vie entière. Sans le vouloir, j’ai suivi vos traces. Vos écrits que j’ai pourtant lus tardivement, me sont familiers. Ma vie ressemble à la vôtre, 50 ans plus tard. Etiez-vous en avance, serais-je en retard ? Elle y ressemble exactement. Cette sœur jumelle qui vous a échappé, c’est moi. Et vous ne le saurez jamais. Je ressens ce que vous écrivez et vos écrits reflètent ce que je suis. Vous et moi tout à la fois. Tellement semblables, et n’ayant cependant rien en commun. Vous étiez une autre moi-même, libre amoureuse, étincelle vitale. Vous avez métamorphosé ceux qui vous ont croisés, vous continuez à vivre aujourd’hui pour celles qui ignorent tout de votre combat. Je ne peux me détacher de ce que vous étiez, je me reconnais à chaque mot, à chaque page. Ma mère, ma sœur, mon amie tout à la fois. Combien sont-elles, éparpillées à travers le  monde, qui me, qui vous ressemblent, sans jamais se rassembler ?