...Une
enfant quelque part qui fait le pitre dans la lumière bleutée au lieu de
s’endormir tranquillement à la nuit tombée. Elle se lève, tourne et virevolte,
cherche quoi faire, descend à la cuisine chercher un ustensile et s’amuse avec.
Elle le met en équilibre sur sa tête et fait des cabrioles. L’ustensile tombe,
patatras, un bruit épouvantable cascade dans l’escalier, la petite se fige et
attend que tout soit retombé dans le noir de la nuit. Rien ne bouge, pas même
les rideaux sur la fenêtre entrouverte malgré l’hiver. Alors elle remonte dans
sa chambre, lentement, en ayant presque peur de son ombre qui danse sur le mur
et de son pas qui fait grincer les marches de l’escalier, qui paraît vivant.
Plus
tard, dans les couloirs de l’internat du collège, l’enfant grandie trop vite
aura du mal à surmonter sa peur des lumières nocturnes qui à leur tour
viendront danser sur le mur du dortoir où elle est priée de ne pas faire de
bruit. Et malgré la présence des autres filles, malgré la lumière jaune et
chaude qui filtre sous la porte de la surveillante, l’enfant se lèvera chaque
fois, enfilera son anorak et très doucement, sur la pointe des pieds, ira
regarder la neige tomber, flocons luminescents derrière la vitre du couloir.
Cette lumière-là est la plus belle, elle ne l’oubliera jamais.
Cette
lumière-là, blanche dans la nuit noire, n’a rien à voir avec l’éclat cru et
resplendissant du soleil, qui tombe tout droit sur les peaux blafardes, rosées
d’abord, puis rougeoyantes, des juillettistes affalés. L’enfant se garde de
rester sous cette lumière aveuglante. Elle préfère l’ombre du parasol, qui
bouge, qui danse et virevolte au gré du vent, comme elle quand elle était
petite. Elle sait jouer avec, pendant des heures, elle en oublie les vagues qui
dansent elles aussi.
Les
garçons aussi aiment jouer. Mais dans l’ombre et avec les filles. L’enfant ne
sait pas qu’il ne faut pas les suivre dans les encoignures de portes, dans les
ruelles obscures où nul lampadaire ne s’amuse à faire danser leurs ombres, 4
ombres simultanées, dans le rond de la lumière jaune. Elle ne sait pas ce
qu’elle perd en acceptant cette nuit étroite, où seul le garçon l’entraîne par
la main, viens, allez viens, n’aie pas peur, je suis là. Mais elle, ce qu’elle
aime, c’est voir danser des ombres fugaces sur son visage et dans ses yeux
effarés. Ils ont tous les deux peur, car aucun d’eux ne sait où ils vont aller.
La
rue est déserte. La nuit est silencieuse. La ville est endormie. Les maisons
sont éteintes. Seule la fenêtre de la maison où l’enfant habite est éclairée et
jette une lueur mordorée sur les pavés déserts. L’enfant, qui n’en est plus
une, sauf les nuits de ses insomnies,
regarde l’aube se lever. Elle attend la neige, qui va commencer à tomber.
Ses souvenirs d’enfance remontent à la surface, la font pleurer, sans tristesse
ni nostalgie ; puisque c’est toujours la même magie, vingt ans après.
Paragraphes construits d’après photos
réalisées par des lauréats du Festival Manifesto – Toulouse 2015 : 1/
Karolin Klüppel – 2/ Heiko Tiemann – 3/ Sandra Mehl – 4/ Bérangère Fromont – 5/
Zacharie Gaudrillot-Roy. Merci à ces artistes de nous avoir prêté, le temps
d’un tour de table, leurs photos choisies.
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