Dans
les Pouilles, au sud de l’Italie, au fond de la botte, il fait très sec. La mer n’est jamais bien
loin mais reste inaccessible à cause des falaises, à pic. Et puis, lorsqu’on fait
partie d’une équipe aussi prestigieuse que celle du Professore Ragalitte,
archéologue en chef et sommité mondiale, on n’a pas le loisir d’aller se
rafraîchir dans les vagues. On ne fait que travailler, travailler, du matin au soir : piqueter, passer la balayette, le plumeau, le pinceau, étiqueter, manipuler avec précaution et respirer la poussière à plein nez. Sans aucune reconnaissance pour le travail accompli, même après nos découvertes qu'il s'est empressé de s'attribuer devant les caméras de télévision.
On en a eu tellement marre du Signore Ragalitte et
de ses exigences, qu’on lui a planté la broche de la princesse mérovingienne
trouvée la veille, en plein cœur, pendant son sommeil. Comme on était tous
hébergés dans un couvent des Carmélites situé à côté, le problème du cadavre ne
s’est pas posé tout de suite : il y faisait en effet très frais. Et si la
Mère supérieure aurait pu s’inquiéter, elle était trop paresseuse pour insister
devant nos rassurantes paroles, qui la tranquillisaient :
- Il signore Ragalitte sta molto fatigué,
il travaille sur des parchemins segreti, il ne faut pas le déranger. Va tutto
bene.
Au
bout d’une semaine, quand même, ça commençait à puer la momie putréfiée. Et les
fouilles devaient se prolonger tout au long de l’été ! Alors on a eu l’idée :
notre jeune princesse mérovingienne allait bien nous aider. La pauvre, enterrée toute
seule dans ce tombeau, pour l’éternité ! Il était juste et équitable de lui donner un
compagnon dans la mort, celui qu’elle n’avait pas eu le temps d’avoir dans sa
courte vie.
Chacun
s’est acquitté de sa tâche selon ses compétences, comme on fait dans une bonne
équipe : Jérémiah s’est occupé du scalp. En tant que descendant direct
d’une tribu apache, c’était rassurant. Joseph, notre charpentier, a construit
le squelette d'un vrai faux sarcophage qu’Isaac a décoré de verroteries brillantes et
mordorées. Et Caïn, notre cuisinier, s’est chargé d’écorcher ce Ragalitte déjà
un peu décomposé. Les rats de la crypte du couvent des Carmélites ont apprécié
ces restes, moins sanguinolents qu’on aurait pu le croire. Huit petits jours avaient suffi pour assécher notre squelette princier. On l’a donc déposé
délicatement dans son cercueil antique fraîchement raboté et puis on a tous fait
semblant de s’extasier lorsqu’en creusant, l’apprenti l’a trouvé. Quel beau
couple ils faisaient, il Signore Ragalitte et notre princesse ! Qui n’en
croyait pas ses yeux exorbités : un prince italien allait l’accompagner
dans son tour du monde déjà programmé ! Ils allaient affronter le regard émerveillé des touristes niais, ensemble et à jamais !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire