dimanche 6 novembre 2016

Emma, reine de la nuit arctique


Jorn Riel – Des racontars arctiques – 10/18 Gaïa éditions

Connaissez-vous Emma ? Non, c’est normal, Emma est sortie tout droit du cerveau de Mads Madsen, l’un de ces chasseurs du Groenland arctique qui peuplent la banquise et passent tous ces longs mois d'été comme d’hiver, seuls ou presque, avec les grands espaces blancs de glace autour d’eux.
Emma est sortie des limbes au cours d’une veillée égrenée de souvenirs, comme une vieille porcelaine fragile sortie d’un carton : « Il venait d’aborder quelque chose de rare, pour ne pas dire inaccessible dans le monde du nord est du Groenland et il lui fallait manier cette bombe avec précaution. La femme devient en Arctique une entité lointaine et imaginaire, à laquelle on ne fait allusion qu’avec des tournures vagues et prudentes. »
Le plus beau de l’histoire, c’est qu’Emma, une fois sortie du cerveau de l’un,  passe d’un chasseur à un autre, chacun donnant ses droits à celui qui les veut, après marchandages et trocs plus ou moins enrichissants. Mais détrompez-vous, il ne s’agit pas là d’une affaire sordide, tout cela est extrêmement délicat, comme dans les rêves, et Emma se balade de l’un à l’autre bout de l’Arctique sans s’avilir le moins du monde.  Chacun, l’un après l’autre, pour avoir les droits sur Emma, se défait de ce qu’il a de plus précieux. Il garde Emma au chaud avec lui quelques semaines puis troque ses droits à un autre, parce qu’Emma appartient à qui la veut et qu’on ne peut pas l’arrêter. Comme on ne peut pas arrêter un rêve, une idée, une sensation de chaleur, un petit bout d’amour semé au gré des glaciers.
« Il pensait à Bjorken qu’il savait en route vers le Nord pour vendre ses droits à Lodvig contre la belle paire de jumelles télescopiques que ce dernier possédait.  – Y a vraiment quelque chose chez cette fille
C’est une histoire poétique, magnifique dont on sort un peu transformé, un peu meilleur. Trésor de l’imagination,  épave brûlante et glacée, compagnie évanescente ou folie collective, le parcours d’Emma tient au creux de la main, bijou de quelques pages au milieu de ces courts récits de la vie quotidienne des chasseurs, dont on n’arrive pas à séparer la part réelle de la part imaginée. Ce petit bouquin qui n’a l’air de rien est puissant, par son pouvoir de vous transporter dans un autre monde, si loin en géographie et pourtant, si proche en empathie. Ces chasseurs rudes et frustes, prêts à tout et n’ayant rien à perdre, se passent Emma comme un bonbon, une caresse, un trésor, un cadeau.

A lire, à faire lire, à offrir justement, à mettre dans les boots sous le sapin.


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