Loin
de moi l’idée de lire systématiquement le prix Goncourt. Mais il est tellement
répandu, offert, qu’il est quand même difficile de l’éviter, même si certaines
expériences restent douloureusement insondables. Celui de 2012 avait une bonne
presse, si l’on peut dire, tous ceux qui l’avaient reçu en cadeau ou autre en
disaient du bien. Je l’ai donc lu, échange de bon aloi contre un autre prix,
entre amis.
C’est
un livre de fissures. Qui démarre comme une vitre sur laquelle on remarque
juste en passant et sans y prendre garde une lézarde dans un coin, qui ne prête
pas à conséquence. Et puis au fil des pages et du temps qui passe, les
craquèlements se font plus vifs, plus pressants, ils menacent l’édifice tout
entier, même s’il n’est fait que de sable. La vitre finit par s’effondrer bien
sûr, on le pressent dès la moitié du livre.
Une
kyrielle de personnages nous est offerte, dans ce petit village de Corse mais
aussi à Paris, à Alger. Des personnages dont l’histoire est sordide, des hommes
et des femmes très solitaires, accompagnés seulement par d’autres membres de
leur famille, toujours désunie ; par des amours toujours de passage et qui
se comprennent si peu. La tension monte jusqu’à l’effondrement final, tellement
prévisible. En toile de fond, la non pérennité des mondes, alors qu’ils
paraissent si réels et intangibles lorsqu’on vit dedans.
Prenez
de la hauteur, disait Augustin dans son sermon sur la chute de Rome en l’an
410. Mais même en étant croyant, est-ce bien possible de se détacher autant de
la vie alors qu’on est entrain de la vivre ? J’en doute. On ne fait que
subir les choses, en est-on jamais acteur ?
Ce
n’est pas un livre gai. On y rit peu ou alors d’un rire forcé pas vraiment
libre. On s’y moque des uns et des autres et on n’y aime pas ce qu’on y
devient : haineux ou détaché, condescendant ou absent, veule ou vénal. Je
parle là des personnages eux-mêmes, qui ne s’aiment guère, et qui aiment peu
les autres. Ils sont « détachés », un peu comme l’étranger de Camus.
Et ils regardent leur vie qui se fissure. Ils finissent par abandonner le
combat.
L’écriture
est fine, précise, bien plus belle que ce qu’elle raconte. Elle ne s’effondre
pas et tient ses promesses jusqu’au bout, jusqu’à la chute. Tout n’est donc pas
voué à disparaître en ce monde si mouvant.
- Le
sermon sur la chute de Rome – Jérôme Ferrari – Actes Sud 2012 -
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