samedi 13 avril 2013

Des terres étranges


Loin de moi l’idée de lire systématiquement le prix Goncourt. Mais il est tellement répandu, offert, qu’il est quand même difficile de l’éviter, même si certaines expériences restent douloureusement insondables. Celui de 2012 avait une bonne presse, si l’on peut dire, tous ceux qui l’avaient reçu en cadeau ou autre en disaient du bien. Je l’ai donc lu, échange de bon aloi contre un autre prix, entre amis.
C’est un livre de fissures. Qui démarre comme une vitre sur laquelle on remarque juste en passant et sans y prendre garde une lézarde dans un coin, qui ne prête pas à conséquence. Et puis au fil des pages et du temps qui passe, les craquèlements se font plus vifs, plus pressants, ils menacent l’édifice tout entier, même s’il n’est fait que de sable. La vitre finit par s’effondrer bien sûr, on le pressent dès la moitié du livre.
Une kyrielle de personnages nous est offerte, dans ce petit village de Corse mais aussi à Paris, à Alger. Des personnages dont l’histoire est sordide, des hommes et des femmes très solitaires, accompagnés seulement par d’autres membres de leur famille, toujours désunie ; par des amours toujours de passage et qui se comprennent si peu. La tension monte jusqu’à l’effondrement final, tellement prévisible. En toile de fond, la non pérennité des mondes, alors qu’ils paraissent si réels et intangibles lorsqu’on vit dedans.
Prenez de la hauteur, disait Augustin dans son sermon sur la chute de Rome en l’an 410. Mais même en étant croyant, est-ce bien possible de se détacher autant de la vie alors qu’on est entrain de la vivre ? J’en doute. On ne fait que subir les choses, en est-on jamais acteur ?
Ce n’est pas un livre gai. On y rit peu ou alors d’un rire forcé pas vraiment libre. On s’y moque des uns et des autres et on n’y aime pas ce qu’on y devient : haineux ou détaché, condescendant ou absent, veule ou vénal. Je parle là des personnages eux-mêmes, qui ne s’aiment guère, et qui aiment peu les autres. Ils sont « détachés », un peu comme l’étranger de Camus. Et ils regardent leur vie qui se fissure. Ils finissent par abandonner le combat.
L’écriture est fine, précise, bien plus belle que ce qu’elle raconte. Elle ne s’effondre pas et tient ses promesses jusqu’au bout, jusqu’à la chute. Tout n’est donc pas voué à disparaître en ce monde si mouvant.
- Le sermon sur la chute de Rome – Jérôme Ferrari – Actes Sud 2012 -


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