Les
nouveautés littéraires se dégustent de deux manières : soit immédiatement
à leur sortie (et alors il vous faut les acheter), soit quelques mois ou des
années après, une fois le soufflé médiatique retombé. Vous pouvez alors saisir
l’opportunité d’un prêt d’une connaissance qui l’a lue et vous la recommande ou
la possibilité d’un emprunt si vous êtes abonné à une bibliothèque. Peu importe
le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
J’ai
donc lu des années après sa sortie et la polémique qu’il a suscité le roman de
Michel Houellebecq « La possibilité d’une île » (2005 – Fayard). Le
titre, c’est vrai, est plein de promesses, non tenues. Le mélange des genres,
d’un côté l’univers jouissif, de satisfaction immédiate, d’un terrien du XXIème
siècle ; d’un autre l’univers aseptisé et dénué de toute émotion des
néo-humains qui peuplent la terre d’une étrange manière des millénaires plus
tard, ne parvient pas à susciter un réel intérêt. D’autant que la recherche des
humains se tourne donc vers une néo religion d’immortalité finalement accomplie
par clonage. Et que certains néo-humains finiront malgré tout par fuir leur ennui
éternel et retourner dans le monde « terrien », redevenu sauvage et quasi-préhistorique,
habité par des meutes humaines dont il ne reste d’humain que le nom. « L’éternité, c’est long, surtout vers la
fin » (dixit Kafka).
Ma
critique est encore trop tendre. Car ce qui est particulièrement énervant dans
ce livre sont les propos systématiquement dévalorisants pour la gent féminine,
toujours réduite à un statut d’objet sexuel prêt à tout pour satisfaire la
virilité mâle, beaucoup plus accomplie et mise en valeur. On est moderne mais
faut pas pousser, chacun sa place. J’ai plusieurs fois été à deux doigts de
lâcher ce bouquin à cause des mots employés pour décrire ou définir les femmes.
Ca se calme vers la fin du livre, quand le personnage principal se sent
vieillir et qu’il s’éloigne, de gré ou de force, des joies du plaisir sexuel.
La femme, elle, quand elle est trop vieille pour donner du plaisir au mâle,
préfère se suicider (si si, je vous assure, je n’invente pas).
Finissons-en,
par une note pessimiste mais juste, tirée du livre, qui vient bien à propos en ce Printemps de
septembre (très) éphémère :
« Il y a une phrase célèbre qui divise les
artistes en deux catégories : les révolutionnaires et les décorateurs.
Disons que j’ai choisi le camp des décorateurs. Enfin, je n’ai pas tellement eu
le choix, c’est le monde qui a décidé pour moi. Je me souviens de ma première
exposition à New York, à la galerie Saatchi, pour l’action « FEED THE
PEOPLE, ORGANIZE THEM» - ils avaient traduit le titre. J’étais assez impressionné,
c’était la première fois depuis longtemps qu’un artiste français exposait dans
une galerie new-yorkaise importante. En même temps j’étais un révolutionnaire à
l’époque, et j’étais persuadé de la valeur révolutionnaire de mon travail.
C’était un hiver très froid à New York, tous les matins on retrouvait dans la
rue des vagabonds morts, gelés ; j’étais persuadé que les gens allaient
changer d’attitude aussitôt après avoir vu mon travail : qu’ils allaient
sortir dans la rue et suivre exactement la consigne inscrite sur le téléviseur.
Bien entendu, rien de tout ça ne s’est produit : les gens venaient,
hochaient la tête, échangeaient des propos intelligents, puis repartaient. ».
Les œuvres artistiques ne sont pas non plus éternelles, même si certaines d’entre
elles durent longtemps. Et même si les artistes sont tous des gens formidables, comme chacun sait.
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