vendredi 28 décembre 2012

le promeneur du XIXème (1)


L’Italie est-elle faite pour s’y promener ? Oui, mille fois oui : s’y promener en ayant du temps pour admirer tout ce qu’il y a de beau. Au XIXème siècle, c’était presque plus facile qu’aujourd’hui, en tout cas pour ceux qui pouvaient se le permettre. Il fallait tant de temps pour aller de Paris à Rome qu’on y restait des mois, jusqu’à en être saturé. Aujourd’hui, on fait « 3 jours à Rome » et on passe à autre chose.
Stendhal nous raconte, dans « Promenades dans Rome », son ou ses séjours dans la ville éternelle, avec panache, avec (auto) dérision, avec humour, avec flagornerie et fatuité parfois mais toujours avec beaucoup d’esprit et d’érudition.
Les Romains, comme les Anglais d’aujourd’hui, avaient eu l’adresse de persuader leurs femmes que s’ennuyer était le premier devoir d’une matrone respectable. Ce ne fut guère que vers le temps de César que les femmes riches sentirent la duperie de ce système ; alors Caton cria que tout était perdu.

On apprend des tas de choses sur la vie de ces voyageurs français, touristes plus ou moins fortunés mais avides de beauté et curieux de tout. Au jour le jour, les promenades dans Rome et ses environs comme les soirées mondaines chez les ambassadeurs sont prétextes à une foultitude d’idées, de critiques, de commentaires non seulement sur l’histoire romaine mais aussi sur l’art en général, ou les systèmes politiques du moment :
Je désire, comme honnête homme, surtout quand je suis en butte aux vexations des polices italiennes, que toute la terre obtienne le gouvernement légal de New York ; mais, dans ce pays si moral, en peu de mois l’ennui mettrait fin à mon existence.
L’auteur n’oublie pas de donner quelques coups de pied à la religion et ses excès et se moque pas mal de lui-même et de ses compagnons de voyage. Tout en décrivant très précisément ses visites à Saint-Pierre, ce qu’il faut voir dans les musei vaticani et les églises et ce qu’on peut « oublier » de regarder.

Che disse mal d’ognun fuor che di Dio
Scusandosi col dir : non lo conosco
(qui médit de chacun hormis de Dieu, s’excusant par ces mots : je ne le connais point – il s’agit de l’Arétin, poète toscan)

Finalement, Rome est bien la même, malgré la vie trépidante des siècles, l’incessant progrès, la vitesse du temps qui passe. La statue de Marc Aurèle est toujours à la même place, les copies d’imitations de copies toujours aussi nombreuses, la Pietà de Michel-Ange toujours en entrant à droite à Saint-Pierre, le Colisée toujours en ruine, magnifique. Et la basilique Saint-Pierre, sur laquelle Stendhal revient, encore et encore, basilique boussole, basilique aimant, fascine toujours autant avant d’y aller, au moment d’y entrer, dedans, et encore une fois, lorsqu’on en sort, puisqu’on brûle d’y retourner.
Et comme en réponse au vieux Corneille, dans Horace :
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naitre et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Je me joins à Stendhal pour dire plutôt :
Rome, unique objet de mes sentiments !
Rome, vers qui m’entraîne le bras de mon amant !
Rome, par qui je renais et que mon cœur adore !
Rome enfin, que j’aime sans le moindre effort !

Oui, bon, les rimes sont peut être moins riches… mais l’important est ailleurs…

samedi 15 décembre 2012

Carrefour City

C'est le fruit de 4 séances d'atelier d'écriture, en novembre et décembre 2012, imaginé par la Boutique et animé par Pascal Dessaint, écrivain. Point de départ le fait divers, consignes vagues de nouvelle "noire", écriture libre et individuelle. Séance de lectures, de pensées, d'écriture, de réécriture, de restitution, pour arriver enfin à quelque chose d'abouti, si ce n'est fini. Je vous le livre tel quel :


-       Mais sacrebleu, pourquoi ne se passe-t-il jamais rien ici ? Avec tout ce qu’il y a autour, ça devrait pourtant l’faire, tu trouves pas Raoul ?
Raoul enfournait sa 3ème part de pizza dégoulinante et ne pouvait répondre que par des grognements. Raoul était mon coéquipier habituel, on se connaissait bien.
Je me suis mis à brailler, en scandant mes phrases avec de grands gestes. Raoul a ouvert les vitres de la voiture banalisée.
-       Sur ma gauche, devant nous, la piscine olympique et municipale ! Un peu vieillissante, certes, mais qui a repris du poil de la bête et même doublé sa fréquentation depuis… Depuis que, après travaux, son système de chauffage est alimenté via l’énergie produite par les fumées du crématorium voisin, municipal lui aussi ! Bref, il faut désormais descendre pour nager dans le grand bassin…
Raoul grognait de plus en plus mais je ne savais pas identifier si c’était de mécontentement ou si ses gloussements exprimaient plutôt une jubilation secrète.
-       Derrière nous, toujours sur la gauche, un hôtel dénommé Excelsior mais avec 1 étoile ! C’est pas le Sofitel de New-York mais on en voit de belles quand même, s’pas Raoul, qu’on en a vu de belles, sortir de c’t’hôtel ?
Raoul cette fois acquiesçait, quoiqu’en silence. C’était pas un beau parleur comme moi, Raoul. Tant mieux, j’avais juste besoin d’un public acquis.
-       Pour continuer sur ce carrefour idéal, à droite, la rue des Abbesses la mal nommée. Depuis la loi de 2003, c’est le théâtre de la prostitution « en chambre », avec une femme posée à chaque rebord de fenêtre du rez-de-chaussée, poitrine largement découverte. Il suffit de sonner et on vous ouvre de suite en fermant la fenêtre. Y en a qui referment même pas leur braguette en sortant de la piscine. Et pour finir, juste en face, je vous le donne en mille : l’Espace du Judaïsme, ouvert à un public choisi, posé, masculin et studieux.
Je suis resté silencieux une seconde.
-       Si avec tout ça, ça pète pas, j’y comprends rien.


Il était 10h du matin, samedi. Nos chefs savaient qu’il allait se passer quelque chose, à coup sûr, ça faisait déjà une semaine qu’on « planquait » toute la nuit, jusqu'au lendemain midi. On n‘avait rien vu à part la vache volée par Dédé. Sa camionnette était passée lentement devant nous, il nous avait fait un petit signe de la main. On n’avait pas bougé. La queue de la vache dépassait un peu à l’arrière, mais il était 4h du matin.
On avait été prévenu la veille. Dédé allait « emprunter » l’une des vaches de la Cow Parade, qui venait à peine de commencer. Il allait prendre la vache verte, celle debout sur quatre tomes bien rondes, celle dédiée au Cantal, le département d’origine de sa femme Yvette. Celle-ci était clouée dans un fauteuil depuis son suicide manqué : elle avait tenté de se jeter avec sa voiture dans un ravin, mais elle avait toujours été mauvaise conductrice et ça s’était vérifié une fois encore.
Depuis, Dédé la bichonnait et comme il n’était plus possible d’aller le week-end se balader dans le Cantal, il avait demandé la permission d’amener le Cantal chez lui, une nuit, juste pour voir l’effet que produirait son cadeau surprise dans les yeux d’Yvette. Le chef avait dit oui à une seule condition : qu’il ramène la vache 24h après, exactement à la même place. Et que personne ne moufte. Personne n’avait moufté. Y a pas que chez les ingénieurs que le corporatisme existe. La camionnette avait traversé de nuit, deux fois,  toute la ville en silence. Ni les plantons ni les contrôles caméras n’avaient rien vu. C’est beau la solidarité.
Tous les journaux en avaient fait leur « une » le lendemain et les vaches décorées de mille manières et de mille couleurs avaient alors été rapatriées au Jardin des Plantes, en troupeau. Le jardin était fermé la nuit et durant la journée, ni les mioches accrochés au manège, ni les joggers, ipod scotché à l’oreille, n’allaient vouloir voler une vache de plusieurs quintaux. Et puis les journaux avaient oublié, surtout lorsque la vache était revenue toute seule, 24h après avoir été volée, à la même place, sans que nul n’y comprenne goutte.

Soudain, ils sont arrivés. Ce n’était pas les lève-tôt habituels, premiers réveillés, premiers à se tremper dans l’eau des morts, 27°, correct. C’était pas non plus ceux de la rue aux putes, quoique… on sait jamais, ces oiseaux-là, c’est très volatil.
Non, c’était des manifestants, une petite centaine quand même avec des pancartes et tout, plutôt tranquilles. Vous savez ces manifs de vieux comme on en a tant vu pour les retraites. Des manifs calmes, sans jeunes, des gens qui manifestaient gentiment leur réprobation et saluaient poliment les CRS au passage, mains dans les poches, tranquilles.
Ils se sont massés devant l’entrée de la piscine, sur les marches et ont d’abord attendu que chacun trouve sa place. Y avait quand même un meneur, enfin, un chef de file qui, après avoir parlementé un moment avec le journaliste de La Dépêche, a pris enfin la parole pour rappeler ce pourquoi ils étaient là. Pendant son petit discours, quelques pancartes timides se sont levées enfin. Je suis sorti de la voiture pour regarder de plus près.


Les cendres de mon père ont servi à chauffer cette piscine,
Monsieur le Maire, ai-je droit à une entrée gratuite ?

-       Pas mal, pensais-je mais bon, personne n’a rien dit quand l’énergie produite par les déchets ménagers dans le centre d’incinération a servi à chauffer tous les logements sociaux de la périphérie…

Pour l’instant, c’était encore calme. Les catholiques intégristes, majoritaires, savaient donc râler en silence. J’ai failli appeler du renfort quand les écolos ont débouché par derrière. Je me suis ravisé quand j’ai lu leurs pancartes :

Ni incinération Ni nucléaire
Energie positive et verte
Monsieur le Maire
Choisissez de nager en eau froide
Plutôt qu’en eau trouble

Ca commençait à bourdonner quand même sacrément fort et certains adeptes du crawl devaient jouer des coudes pour entrer. Ils en profitaient pour dire tout bas des choses du genre : « puisqu’on prélève bien des organes sur les gens décédés, pourquoi leurs cendres ne serait-elles pas réutilisées également ? »
Certains scientifiques essayaient d’expliquer que seule l’énergie était réutilisée et que l’objet incinéré n’avait en fait aucune espèce d’importance. Leurs propos étaient couverts par des exclamations outrées. On ne badine pas avec le mort.

Raoul me tapait sur l’épaule en me montrant du doigt la grille de l’Espace du Judaïsme, derrière laquelle se massait une dizaine de rabbins en habit. Il en a profité pour grogner en regardant par en dessous les bousculades entre manifestants : « On ne sait pas si les gens viennent à la piscine pour y trouver un peu de chaleur humaine ou quoi. ».
J’ai senti comme un malaise quand le plus vieux d’entre eux, voûté, chapeauté, natté, s’est approché lentement du meneur de manif pour lui parler.
J’essayais de les surveiller attentivement mais au bout de quelques minutes, ils ont fini par se donner une accolade. Le catho a pris son mégaphone :
-       Chers volontaires ! Mon ami le grand rabbin vient de m’éclairer sur le soutien sans faille de la communauté juive. La religion juive interdit toute crémation après la mort, vous pensez donc comme ils souffrent d’avoir leur siège en face de cet équipement municipal honni. Nous sommes donc nombreux dans cette lutte ! Nous le serons encore plus samedi prochain, je vous le promets !
Allons bon, me dis-je, va falloir revenir.

La semaine suivante, la piscine était fermée au public, pour cause de compétition. Il allait donc y avoir du sport.

***

Il faisait un peu froid, ce dimanche matin, sur la place de la piscine désormais vide. Les petites arroseuses nettoyeuses municipales tournoyaient en bruissant tout au long des rues avoisinantes.
Avec leurs imperméables, on reconnaissait les journalistes en quête d’informations. En quête de quelqu’un qui aurait vu quelque chose et qui serait indemne. Et prêt à parler, pour rien.
Lorsqu’elle est sortie du Foyer des petites sœurs des pauvres, toute menue, presque fragile, la meute lui est tombée dessus, micros branchés :
- Madame, madame ! S’il vous plaît ! Avez-vous vu les manifestants d’hier ? Ils étaient nombreux ?
-       Mais bien sûr que j’les ai vus, tous, tous, j’pouvais presque les compter, de ma fenêtre ! Des milliers, qu’ils étaient, vous pouvez l’écrire dans votre canard. Ca grouillait de partout, j’avais jamais vu ça. D’habitude, la rue est plutôt tranquille. Avec mes copines de la rue des Abbesses, dans leurs moments creux, on arrive même à s’faire un p’tit goûter. Moi j’y travaille plus depuis déjà 4 ans, j’crèche dans c’foyer et j’ai plus grand-chose à faire. J’m’amuse à regarder les gens, c’est la vie, quoi.
Le journaliste le plus proche l’a recadrée tout de suite en lui posant une autre question.
-       Lesquels sont arrivés en premier ? Bah, c’est les Verts, les écolos, toujours prêts à gueuler, ceux-là. J’étais aux premières loges et j’les ai vus comme je vous vois. Les p’tits jeunes, les « Camille » comme ils s’appellent, à peine expulsés de Notre Dame des Landes, ils ont débarqués ici, avec tout leur barda. Les flics étaient déjà postés partout. On s’connaît bien, y en a qui se rappellent à mon bon souvenir. Les cathos, eux, sont arrivés en dernier. Z’ont dû aller  à la première messe. Eux étaient beaucoup moins débraillés, ça faisait drôle de voir s’acoquiner tout c’beau monde, ils allaient pas vraiment ensemble. Mais faut pas croire, y avait aussi d’autres gens, des gens de tous bords. Y en avait sans pancartes, ni Dieu ni Maître, les mains dans les poches, j’sais pas s’ils avaient vraiment un avis ou si c’était juste pour râler contre Monsieur le Maire. L’est pas aimé, çui-là, c’est moi qui vous le dis, il a du mouron à s’faire.
Les micros se sont rapprochés. Puisqu’on parlait du Maire, ça commençait à devenir intéressant. Mais la petite vieille suivait son idée.
-       Cette manif, elle était plutôt réussie, si vous voulez mon avis. En tout cas jusqu’au moment où les autres sont arrivés. Parce-que là, évidemment tout a capoté. Les jeunes Camille, eux, y z’ont l’habitude de s’battre, mais les cathos, pour tout vous dire, ils sont trop mous. Y tendent la joue gauche et tout et tout. Alors contre les gros bras des syndiqués CGT venus défendre leur outil de travail, ils avaient aucune chance. Les flics ont pas trop fait d’zèle. Les cathos non plus, sont pas aimés.
Un journaliste a ramassé une pancarte démantibulée qui traînait encore dans le caniveau. Après y avoir jeté un œil, il l’a levée pour que tous la regardent :

Non au Démantèlement du Service Public
Soutien aux travailleurs du Crématorium
Un Outil au service de Tous
Un jour ou l’autre

Le témoin en a profité pour continuer :
-       Les pancartes, elles servaient à taper les uns ou les autres, les banderoles étaient piétinées. On apercevait juste les brassards rouges des cégétistes. Les équipes sportives, venues pour la compet, se sont prises au jeu. Faut dire qu’à eux aussi on leur volait leur outil de travail, vu qu’ils étaient pas arrivés à entrer dans la piscine. Ils n’étaient pas contents, ça s’comprend. Et puis eux n’en ont rien à faire de ce qui sert à chauffer leur chlore habituel. De toutes manières, comme je vous l’ai dit, on pouvait plus savoir qui pensait quoi et à mon avis, ça n’avait plus vraiment d’importance. Ils se battaient, c’est tout ce qui comptait. On a commencé à entendre les sirènes de police mais elles s’arrêtaient loin de la meute. Les rabbins derrière la grille hésitaient à l’entrouvrir pour faire passer les blessés. Les rideaux de l’Excelsior bougeaient un peu. Personne n’en est sorti. Mes copines de la rue des Abbesses, toujours grand cœur, en ont fait rentrer quelques uns. C’était un vrai capharnaüm, mais j’étais contente, j’aime bien quand y a d’la vie, quand ça bouge.
« Mais comment ça s’est fini ? » a crié une jeune stagiaire à lunettes qui grelottait et voulait partir. Elle n’avait qu’un calepin et prenait des notes.
-       Ben, quand les gaz lacrymo ont fait leur office, la messe était dite. Seuls les blessés sont restés, les autres ont filé. Des ambulanciers en masque à gaz sont venus ramasser les corps, les flics ont chopé quelques Camille restés assis par terre, ils ont pas touché aux gros bras. Z’étaient p’t’être syndiqués, eux aussi. Y a pas que chez les ingénieurs que le corporatisme existe. La fête était finie. Je suis descendue à la cuisine collective me préparer à manger.
La nuée s’est éparpillée d’un seul coup. Devaient estimer qu’ils avaient assez de matière pour écrire leur papier. La petite vieille a haussé les épaules et s’est dirigée vers la bouche de métro la plus proche.

***

La Dépêche – lundi 3 décembre 2012 – Ville centre

Une manifestation a réuni samedi matin quelques 3000 personnes venues protester contre la décision du Conseil Municipal, très controversée bien qu’adoptée à une large majorité, d’alimenter le système de chauffage de la piscine municipale par l’énergie produite par le crématorium voisin. Il y a eu des échauffourées assez violentes et une trentaine de blessés ont dû être transportés à l’hôpital le plus proche. Les forces de l’ordre ont procédé à des arrestations.
Jean-Marc Ivolun, Maire de la commune, a fait une déclaration dans la soirée : «Ces comportements d’une rare violence sont inacceptables. La décision de la majorité municipale est légitime et je n’accepterai pas que des groupuscules extrémistes, de quelque bord qu’ils soient, viennent perturber le fonctionnement de la démocratie représentative. Cette décision correspond parfaitement aux attentes et au bien-être des administrés. Il s’agit d’une innovation en matière d’énergie qui génère naturellement un développement économique et participe à la création d'emploi, immédiate ou future».
Nous ajoutons en conclusion qu’aucune date n’a été déposée en préfecture, à notre connaissance, pour une prochaine manifestation.

samedi 8 décembre 2012

L'enveloppe jaune


Certains lecteurs ont un livre de chevet. Un livre qu’ils ont toujours à côté d’eux, et qu’ils lisent régulièrement, voire même chaque jour. Une référence en somme. La lectrice que je suis a un auteur de chevet, c’est Simenon. Oui, je sais… personnage controversé mais qu’importe, ce n’est pas le personnage qui compte, c’est ce qu’il a écrit. 25 tomes dans la collection Omnibus, et je ne parle pas de ses romans autobiographiques, peu lisibles, mais des Maigret et des romans de la destinée, les romans « durs ». C’est presque ceux que je préfère, même si Maigret, quand même, on y revient, comme à Sherlock Holmes.
source : wikipedia
J’ai besoin de me replonger de manière régulière dans les ambiances lourdes, poisseuses, pluvieuses, boueuses, au sens propre comme au sens figuré, de ces romans (la densité poisseuse de ses romans – Alain Bertrand). La magie, c’est que dès les 10 premières lignes, on est complètement embourbé dans un ailleurs qui n’appartient qu’à ces personnages, ceux de l’histoire qu’on est entrain de découvrir. Tout un monde. Tellement bien décrit, tellement bien écrit. Laissons parler Jacques Dubois à propos des enquêtes « à la Maigret » : « Il ne s’agit pas à proprement parler de « résolution de l’énigme » mais plutôt une compréhension des êtres, une levée, au moins partielle, de leur opacité. Et s’il faut passer à l’action, la pente véritable de Maigret c’est la flânerie, la contemplation, la méditation. C’est d’elles que sortent solutions et résolutions. Aussi les phases de « latence » sont-elles nombreuses. des instants d’ « intense platitude », d’abandon vague et comme un peu veule, dont Simenon se délecte ». Nous aussi.
Certaines histoires vous suivent pour la vie, tellement on a été dedans (La chambre bleue), si rapidement, ailleurs, déjà après les premières lignes. Comment Simenon peut-il bien réussir cette magie, il ne peut pas avoir tout et tant vécu… ?
C’est peut-être le secret de l’enveloppe jaune. Une par roman. Elle contenait tous les personnages, leur histoire et leur généalogie, leurs noms, les lieux, l’intrigue, le calendrier, la saison. C’était le travail préparatoire, écrit au crayon à papier minutieusement taillé. Une fois cette mixture bien prête, Simenon s’enfermait et écrivait. L’enveloppe jaune n’était pas toujours suivie, mais qu’importe. Tout était là, ne restait que l’écriture.
Moi je ne peux pas m’en passer, mais j’ai de la chance, je n’ai presque pas encore tout lu et pourtant !
Oui c’est du roman populaire, qui connaît un succès planétaire. Une chance pour ceux qui n’aiment pas lire, pour ceux qui ont juste le temps d’un voyage en train – c’est souvent assez court - et aussi pour ceux qui aiment les ambiances. Qu’importe le pourquoi on aime, en tout cas ça parle à ce qui est en nous, ça raconte la vie de personnages d’une banalité déconcertante, qui pourtant « passent la ligne ». Tout est dans le début de l’histoire. Une fois que vous êtes entré dedans, vous ne pouvez plus en sortir.
Vous entrez ?

lundi 26 novembre 2012

Chi non s'avventura non ha ventura


C’est une forêt d’histoires. Qui s’entrecroisent, se mêlent sans se rencontrer jamais. Il s’agit de raconter celle d’Athanase Kircher, grand savant, inventeur aveuglé par sa foi en NSJC, un homme étonnant qui a réellement existé et a marqué son époque. C’est l’inventeur de la lanterne magique, ancêtre du cinoche. Par contre, en déchiffrage de langues inconnues, il n’était pas très bon. Heureusement, Champollion est arrivé, mais après. On peut également y lire celle des carnets d’Eléazard qui commente la première, tout en tentant d’oublier sa femme Elaine partie en mission de paléontologie, en pleine forêt amazonienne et qui est en bien mauvaise posture. Loredana, Italienne bien en chair, l’aide un peu, même si c’est Soledad qui est amoureuse de lui. Et puis il y a Moéma, Marlene le travesti, Ze et Nelson, qui jouent les pauvres de service. Il y en a, des pauvres « de service » dans ces histoires. Eux ne voient jamais la transformation de pierres en or, même en rêve. Ils jouent les bernés et triment du matin au soir et du soir au matin, sans jamais de repos sauf le dernier. En grisé se profile l’histoire du Brésil, conquête des Portugais sur les Indiens, conquête de l’homme blanc sur la forêt, conquête des riches sur les pauvres, toujours d’actualité. 
En même temps, on est à Rome en 1650 avec la valse des papes et leurs commandes d’œuvres d’art toutes plus belles les unes que les autres. La célèbre Fontana dei quattro fiume nous offre son histoire, et aussi l’éléphant sculpté par Le Bernin devant Santa Maria Maggiore, mais il y a également les histoires de magouilles foncières, fiscales et politiciennes, des années plus tard, à des milliers de kilomètres de là, de l’autre côté de l’océan. On y croise même des indiens qui n’ont jamais vu d’homme blanc, même s’ils parlent un peu latin. Mais à ce moment du récit, ils en voient justement, des blancs qui se sont perdus en voulant trouver l’eldorado sous forme de fossiles. Seront-ils sauvés, seront-ils mangés ? C’est une histoire de tigres, qui sont chez eux.

On passe d’une histoire à l’autre, d’un personnage à l’autre. Un peu perdus au début, on s’y retrouve assez vite et on attend la suite avec impatience. Il faut donc tourner la page et passer au chapitre suivant. On y passerait la nuit.

Je ne sais plus où j’avais trouvé la critique de ce bouquin, qui m’avait donné envie de le lire. Les tigres y sont bien chez eux.
Je ne peux occulter ce passage, tellement d’actualité en ces temps si fragiles :
« Si un croyant se sent insulté parce qu’on a moqué l’image de son dieu, c’est, au mieux, qu’il doute encore de son existence, au pire, qu’il est assez stupide pour s’identifier à lui. Mais qu’il trouve des armes pour venger cette offense dans les lois d’une société ou dans leur négation, cela le transforme en ennemi juré, en bête fauve à encager. »

Bref, c’est un bouquin écrit en langue française, qui parle du Brésil, des hiéroglyphes et de cocaïne. Sur les liseuses électroniques, il n’existe qu’en langue anglaise, alors achetez-le en librairie !
Et pour tous ceux qui ont eu des parents communistes, comme moi : «  Sous prétexte que les communistes se sont cassé la gueule en URSS (…), il faudrait cracher sur le marxisme, rejeter la lutte contre l’oppression, l’espoir du Grand Jour ? Non, princesse, ça arrangeait trop de monde, cette histoire. C’était pas net du tout. Ils se pavanent aujourd’hui, mais ils ont développé que le sous-développement, si tu veux mon avis. Même l’aide aux pays du tiers-monde, tu sais comment ça marche ? On prend du fric aux pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres… ».

Bien sûr ça finit assez mal. Y compris pour l’avenir et pour ceux qui restent : « Faire office de télévision, de calculette, d’agenda, de livre de comptes, de catalogue commercial, d’alarme, de téléphone ou de simulateur de conduite automobile, c’est ce qui pouvait arriver de pire à l’ordinateur. Ernst Jünger nous avait pourtant prévenus : L’importance des robots, écrivait-il en 1945, croîtra à mesure que se multiplieront les cuistres, donc dans d’énormes proportions ». Ce sont des histoires hélas très réalistes.

      Là où les tigres sont chez eux – Jean-Marie Blas de Roblès - Zulma 2008

dimanche 18 novembre 2012

Quelque chose à faire avant la fin du monde


C’est bientôt les fêtes de fin d’année. C’est donc le moment de fouiner pendant des heures dans les librairies, en prenant son temps pour lire les 4èmes de couverture, voire plus. On peut y faire des cadeaux, pour soi ou pour les autres. Mais il faut aller dans tous les rayons, y compris ceux dans lesquels on ne va jamais d'habitude.
Alors j’y suis allée, plusieurs fois et j’ai pris mon temps. J’ai été attirée, non pas par le Prix Goncourt mais par un petit bouquin intitulé « 99 choses à faire en attendant la fin du monde » (Eric Bouhier – Le passage – 2012), qui comme chacun sait, se situe le 21décembre de cette année.
Ca pourrait bien faire un petit cadeau charmant. Surtout ça m’a donné envie, au lieu de vous barber avec la fin du monde, de vous faire aussi un petit cadeau de fin d’année qui raconte plutôt un début, un commencement, une entrée en matière en quelque sorte :


CAFE LITTERAIRE
Un matin de bonne heure, il fait encore presque nuit, elle passe devant la boîte à livres de la bibliothèque et se prépare à y déposer les livres empruntés, lus, terminés, pas tous aimés. De loin elle aperçoit quelqu’un arrivé avant elle et qui s’est arrêté devant la boîte, immobile. Il se tient là sans bouger depuis plusieurs secondes et a l’air d’attendre à l’envers. Elle s’approche pour comprendre, que fait-il donc ? Elle n’en croit pas ses yeux : cet homme, venu aussi pour déposer ses livres, ne peut s’en détacher et avant de les remettre définitivement dans le pot commun, de les laisser tomber de haut, les regarde une dernière fois, lit encore le passage tellement apprécié, feuillette encore les pages, caresse encore d’un doigt la couverture qui l’a accompagné plusieurs soirs. Il ne peut se décider à les rendre, sûrement c’était de très bons livres. Elle ne sait si elle doit en rire ou en rester attendrie, en tout cas elle ne sait que faire et s’approche quand même un peu, il faut malgré tout qu’elle se décide à faire quelque chose pour qu’il lui laisse un passage.
Elle, n’a pas de mal à se détacher des choses matérielles (les livres sont-ils des choses matérielles ?) même si elle se souvient que, toute petite, elle avait beaucoup de mal à jeter une lettre dans la boîte, avec l’impression d’y jeter en même temps une partie d’elle-même, d’une manière irréversible. 
 La boîte à livres de la bibliothèque lui ressemble un peu, à la boîte à lettres de son enfance mais heureusement ce n’est pas irréversible et ça lui fait moins peur : on peut retrouver les livres partout, si ce n’est dans ce même endroit, dans des tas de librairies qui ont les portes grandes ouvertes.  L’avantage, c’est justement de n’acheter là que ceux qui lui ont vraiment plu ici.
Finalement l’homme s’aperçoit de sa présence et se confond en excuses et vagues explications : il vérifie s’il n’a rien oublié dans le livre, ou il se demande si c’est bien celui-là qu’il doit rendre aujourd’hui… Elle rit et lui dit qu’il n’a pas d’explications à donner, aimer un livre, même de bibliothèque, c’est arrivé à tout un chacun. D’ailleurs ces endroits ne sont ils pas faits justement pour découvrir sans débourser un « cent » des merveilles qui n’auraient même pas été feuilletées dans un rayon de libraire voire même pas seulement commandées ou proposées par le libraire lui-même ?
Il la regarde et finit par rire lui aussi, en lui disant que oui, elle a bien raison, c’est que ce livre à lui a rappelé beaucoup de choses qui se sont passées dans sa vie à lui et effectivement il a du mal à s’en détacher et pensait justement aller l’acheter, aurait-elle le temps de venir avec lui, ils en profiteraient pour parler de leurs goûts littéraires…
Entrée en matière abrupte, les chapitres qui suivent seront ils de la même veine ? Interloquée, elle répond non bien sûr elle ne peut pas, pas maintenant, car elle part travailler, une fois les livres rendus…  Cependant il faut bien une suite à ce premier chapitre, alors il l’invite à boire un café, samedi prochain pourquoi pas, sûrement, elle ne travaille pas le samedi ? La librairie étrangère rue Cortès a  de bien belles choses sur lesquelles on peut discourir des heures et en plus on peut également y boire un café, un thé que sais-je, accompagné même parfois, si l’envie nous en prenait, de gâteaux faits maison.
Elle ne sait pas dire non, ne veut pas vraiment dire oui et reste la bouche ouverte quelques secondes. Cela ne ravise pas cet homme qui s’en va en lui disant donc à samedi 15h, je compte sur vous, j’espère sincèrement vous revoir ; je suis sûr qu’on a beaucoup de choses en commun. Elle le rappelle en lui indiquant qu’il a encore à la main le livre tant apprécié, elle rit franchement, c’est vraiment un drôle de type. Lui ne s’en fait pas et lui tend le manuel en lui demandant si elle peut le faire pour lui, ce sera plus simple comme ça. Elle dit oui, à bientôt et en glissant le livre dans la boîte ne peut s’empêcher d’en lire le titre :
« allons voir plus loin, veux tu ? »
Elle se retourne vivement mais l’homme s’est déjà éloigné, elle ne peut le héler de si loin et d’ailleurs, que lui dirait-elle ? Savait-il qu’elle allait lire ce titre et l’avait il fait intentionnellement ? Elle ne le saura que si elle va au rendez-vous donné. C’est un joli piège, un joli hameçon, une jolie façon de lier connaissance.
Elle glisse quand même le livre dans la boîte, le sien puis les autres qu’elle avait apportés. Pendant qu’ils tombent les uns sur les autres, elle réfléchit, se pose des questions qui n’auront de réponse que plus tard.
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’elle a lu ce livre, qu’elle l’a aussi adoré et qu’elle a aussi beaucoup aimé le suivant du même auteur. Qui s’intitule « longtemps ». De bien beaux samedis en perspective…

samedi 10 novembre 2012

Nuits de Chine (3)

Au début, bien évidemment, on ne se rend compte de rien. D’ailleurs, en général la première nuit on ne dort pas beaucoup. Donc on n’entend rien que le souffle ténu de l’autre, lové contre son épaule, éventuellement les bruits inconnus si on est dans la maison de l’autre. On dort si peu en fait que le sommeil de quelques heures est lourd et puis on a décidé que rien ne viendrait gâcher ce tout début de liaison, ce tout début d’amour.
Après quelques semaines, on a commencé à s’habituer l’un à l’autre et surtout on s’est aperçu des différences entre le sommeil de l’un et celui de l’autre : l’un dort, l’autre pas. L’un a besoin de noir total, l’autre peut laisser quelques rais de lumière éclairer de lune la chambre. L’un a toujours froid et tire toute la couette de son côté, l’autre a toujours chaud, même nu et ne s’étonne d’avoir froid que lorsque toute la couette est passée de l’autre côté en pleine nuit. L’un se réveille aux aurores, l’autre s’accroche au lit chaud, aux draps tièdes qui sentent bon l’amour et la nuit ensemble. L’un se réveille plusieurs fois dans la nuit, tant il est angoissé tant il a de choses à penser, l’autre se réveille également mais se rendort aussitôt, sans réfléchir, sans angoisse, sans interrogations. L’un se lève immédiatement tant il a de choses à faire, l’autre ne rêve que de rester encore un peu dans ses bras, et pleurniche des baisers, de la tendresse, même le matin de bonne heure.
Après quelques mois, on s’est habitué à nos différences et ni l’un ni l’autre ne s’étonne d’être si « différents », on fait avec, c’est tout. Même si les frustrations commencent à venir, même si chacun d’entre eux a l’impression de faire d’énormes concessions, un peu plus chaque jour.  Puis ils en font de moins en moins. Chacun reprend sa façon naturelle de dormir, sans s’inquiéter de ce que fait ou fera l’autre.
Ce qui fait que le décalage entre les deux s’accentue : l’un a commencé sa journée depuis plusieurs heures lorsque l’autre émerge. C’est le dimanche, un des seuls jours entiers à passer ensemble, c’est juste dommage et ça influe sur le reste de la journée.
Après quelques années, les attentions de départ s’éliminent naturellement au fur et à mesure que le décalage s’accentue et que le temps passe : mieux vaut ne pas parler des bruits incongrus tout au long de la nuit, des soupirs de lassitude ou pire, d’ennui, des couchers dos à dos qui font suite à des incompréhensions mutuelles, des attentes muettes, de l’oreiller mouillé de pleurs silencieux, du sentiment d’avoir un mur de brique construit au beau milieu du lit.
Enfin ça se termine : lorsque les ronflements de l’un ne deviennent plus supportables, lorsqu’on entend plus que ça, même si l’on sait qu’il nous arrive également, parfois, d’avoir un léger bruit nasal… mais ça ne peut ressembler à ce tracteur en tournée, à cette locomotive en furie qui emplit le lit, la chambre, la maison entière puisque même installé sur le canapé du séjour on l’entend encore…
Je défie quiconque de tenir à ce rythme plus de quelques mois sans changer de vie, de conjoint, d’endroit, sans s’enfuir loin où enfin apprécier une nuit seul entre les draps, où rien ni personne ne peut nous réveiller, où rien ni personne ne peut nous tirer les draps, où l’on éteint la lumière juste quand on en a envie, seul enfin s’allonger et s’étirer, quel délice.


dimanche 4 novembre 2012

Montolieu, village d'Aude


Il s’appelle « le village des livres », car vous y trouvez une librairie à peu près tous les 50m. Des librairies de livres d’occasion bien sûr. Pas seulement, mais en grande majorité. Pour les nostalgiques ou les collectionneurs. 
Les premiers y trouveront avec émerveillement les livres qu’ils lisaient quand ils étaient petits, exactement dans la même édition, épuisés depuis longtemps. Quelque en soit le prix, il faut les acheter car à votre prochaine visite, ils n’y seront plus. 
Les deuxièmes pourront enfin terminer d’acheter les tomes manquants d’une collection, commencée il y a longtemps et jamais finie par manque de temps. Pareil, il ne faut pas hésiter à acheter tous les tomes manquants, car à la prochaine visite, un autre sera passé. Et en librairie normale, ça fait longtemps que ladite collection a changé de look, ça fait tache dans l’étagère.
Certaines librairies sont spécialisées, en géographie, en voyage, en illustrés… La plupart sont généralistes, hé oui, il faut bien vivre mon bon monsieur. On y redécouvre des magazines ou recueils oubliés, on y trouve des livres jamais lus ou vite dépassés ; des livres de cuisine tachés et la collection blanche de Gallimard presque en totalité. On y va soit à l’aventure, soit avec une liste de choses à trouver. De toutes manières, il y en a trop, on n’arrive pas à tout faire en un seul jour, il faut donc y retourner.
Un conseil : sortez de l’argent liquide d’un distribanque, avant d’arriver à Montolieu car il n’y en a aucun sur place, et tenez-vous à la somme distribuée. Sinon, c’est très dangereux, vous trouvez toujours plus de livres intéressants que ce que vous aviez prévu.
Et puis surtout, profitez aussi de ce temps hors du temps pour aller vous balader aux abords de la manufacture royale, manufacture totalement en ruines et pas vraiment en cours de restauration, dont il reste seulement les murs, mais qui parlent. On se croirait dans un vrai décor de cinéma. Végétation grimpante et vieilles pierres entremêlées, fenêtres béantes aux reflets mordorés, portes ouvertes sur le vide… Tout peut arriver. 
Il n’est pas forcément conseillé de tenter de dormir sur place, sauf si vous aimez les sensations fortes mais par contre vous pouvez vous y restaurer au "Thé and co" - place Guéhenno, restauration familiale d’où l’on sort les papilles exultées.
Ce n’est pas loin et l’on peut y trouver des trésors pour amoureux des livres. Vous y retournez quand ?

jeudi 1 novembre 2012

La mort de Liù


Vous aimez pleurer ? Bienvenue chez Puccini. Ses livrets d’opéra sont tragiques mais pas du tout incompréhensibles, comme souvent chez Verdi par contre. 
Non, ici, on est dans le réalisme, le vérisme, on comprend très vite et très bien que la situation est catastrophique et qu’elle ne va pas s’arranger, en tout cas pas pour notre héroïne préférée. Ce n’est pas toujours le rôle titre, ce n’est jamais celle qui gagne, c’est toujours celle qui meurt, plutôt de mort violente et sans aucune issue de secours possible. 
Et bien entendu - nous sommes à l’opéra tout de même - après un air particulièrement touchant : Vissi d’arte pour Tosca, Un bel di vedremo pour Butterfly… A l’instant où son destin se scelle.

Dans Turandot, une histoire pleine de drame familial, de rites ancestraux, de mandarins joviaux et grimaçants, d’empereur de Chine et de princesse mal lunée (c’est le moins qu’on puisse dire), ce n’est pas ladite princesse au cœur froid qui nous fait larmoyer. Non, en fait cela nous importe peu, qu’elle ne veuille appartenir à aucun homme à cause d’une sombre histoire d’enlèvement d’aïeule et que l’heureux élu prince Calaf, viril et sûr de lui, finisse par la faire fondre d’amour et de volupté. C’est banal, pour un livret d’opéra.

Mais là où tout se métamorphose, là où quelque chose se passe, là où le cœur se serre en dehors de toute prouesse vocale, c’est lorsque la « petite » esclave Liù, attachée au service du vieux père de Calaf, prise au piège de son propre passé, doit se donner la mort pour échapper à la torture qui la ferait parler et perdre le seul amour de toute sa vie, inaccessible et sans espoir. 
Alors elle finit en beauté, Liù : elle avoue son amour impossible pour Calaf, elle, l’esclave invisible et soumise ; elle lance à Turandot : l’amerai anche tu (toi aussi tu l’aimeras) et elle meurt ravie d’avoir pu donner autant de preuves de cet attachement, de cet amour de toutes manières irréalisable. On n’est pas dans Peau d’Ane où les princes se marient avec des (fausses) souillons. Ici, la princesse de glace Turandot ne se mariera qu’avec un homme de sang royal qui élucidera les 3 énigmes inventées par elle. Tant pis pour les gueux qui auraient deviné quand même.
Mais ce qui touche dans la scène de la mort de Liù, ce n’est pas tant tout ce qu’elle nous dit, c’est tout ce qui se passe après. Car une fois morte, Liù se fait le révélateur de toute l’horreur de ce royaume de sang, de mort et de peur. 
La foule devient roide de honte, les femmes ravalent leur tristesse, Calaf se renferme, horrifié et même Turandot se tient coite, interdite devant cette chose qu’elle ne connaît pas, révélée par Liù : l’amour. 
Et une fois que son vieux maître a compris que Liù ne sera plus jamais à ses côtés, après avoir en vain lancé des imprécations contre ce peuple si sanguinaire, il ose dire enfin tous ces mots que jamais elle n’aura entendu, des mots d’amour dans le plein sens du terme. Et la foule les reprend, les chuchote, les fait glisser à son oreille. Ils la recouvrent comme un linceul alors même qu’elle n’a plus de souffle et en même temps que tous murmurent « Liù, poesia », la poésie nous prend en effet et nous fait pleurer sur le sort de tous les anonymes qui n’ont droit à rien, qui ne s’indignent de rien, qui vivent et meurent selon le bon vouloir des princes et des princesses, dans leur ombre, jamais en pleine lumière, sauf lorsque Puccini le met en scène et en musique.

jeudi 25 octobre 2012

Squirrels Square


Ce fut un peu long, surtout vers la fin, mais j’ai réussi à le finir ce satané bouquin, 3ème tome des aventures, de la saga des Joséphine, Zoé, Hortense et les autres – Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Katherine Pancol – Albin Michel 2010). 850 pages quand même, pour finalement arriver au bout de péripéties qui ont un p’tit air tragique mais qui se dénouent comme par miracle au fur et à mesure, puis complètement pour tous à la toute fin. Comme les contes de fées, vous savez, ceux qui finissent bien. 
L’auteur nous ferait presque croire que les gens peuvent changer, que l’amour existe et que les hommes savent attendre des années pour que la femme de tous leurs désirs leur tombe dans les bras, sous un arbre dans Hyde Park. 
Que des clochards peuvent être recueillis et hébergés par des millionnaires et même changer leur vie. Que les concierges arrivent à garder leur loge et leur job même quand le syndic est véreux. 
Et que Paris est à quelques minutes de Londres et vraiment pas très loin de New-York.
Mais c’est la vie de qui, ça ? Des héros de « plus belle la vie », des belles histoires qu’on n’arrive pas à croire même si c’est vrai et même si on les lit dans la presse qu’on trouve chez le dentiste. Oui je sais, Bill Gates lui-même s’occupe de donner ses millions à ceux qui doivent en avoir besoin alors qu'Apple arrose ses actionnaires. Et un roman, ça sert aussi à rêver, justement, à s’échapper de la nôtre, de vie, qui ne ressemble pas du tout à ça, en tout cas au quotidien. 
Bon, je ne veux pas vous faire pleurer, je suis allée au bout du bouquin, c’est donc qu’il est bien écrit, avec beaucoup de dialogues, style enlevé, même si on ne doute pas une seconde que ça finira bien et qu’on n’arrive pas totalement à sympathiser avec l’un de ces personnages, nombreux mais pas vraiment crédibles. 3 tomes je vous dis, enfin ils doivent tous exister en format poche, vous pourrez les glisser dans votre bagage de plage l’été prochain. Ou en faire cadeau à votre dentiste.
Demain, je file chercher un ouvrage inconnu et étranger à la bibliothèque.

jeudi 18 octobre 2012

Nuits de Chine (2)


Les enfants font souvent des cauchemars, des cauchemars récurrents, sortes d’épreuves initiatiques inconscientes qui s’arrêtent lorsque l’initiation a réussi, sans qu’on sache ni comment ni pourquoi. Comment aider un enfant qui s’éveille d’un cauchemar ? En étant là tout simplement, sans rien dire, le rassurant d’une caresse, d’un poids de chair présente, pour qu’il se rendorme le plus vite possible et oublie ce réveil furieux.  Parfois on ne sait pas qu’ils font des cauchemars, parfois on entend juste des paroles incohérentes, syncopées, qui montrent la lutte qu’ils sont entrain de mener avec on ne sait quoi de terrible, de dangereux. Mais il n’est alors pas question de se réveiller ou de les rassurer alors qu’ils dorment vraiment. C’est leur affaire après tout, puisqu’ils ne demandent rien, ils n’ont pas besoin d’aide, pas encore. L’avantage d’un cauchemar c’est qu’on peut se réveiller. On peut s’en sortir. 
L’avantage d’un cauchemar quand on est enfant c’est que des parents sont là pour rassurer, apaiser, caresser et faire oublier. Ce n’est pas une question d’âge, tant que des parents sont là, tout est possible. Même lorsque l’enfant vous dépasse d’une tête, pourrait vous faire tomber d’une chiquenaude si l’envie lui en prenait, même lorsque vous ne savez pas comment vous y prendre avec lui tant il vous semble différent et lointain, détaché, il arrive qu’une nuit, pendant votre sommeil, vous entendiez votre porte s’ouvrir doucement et une masse sombre se glisser furtivement dans le lit, à côté de vous, vous laissant juste le temps de vous pousser de côté. La masse ne dit rien, elle dort déjà. Le cauchemar était suffisamment noir pour le faire se lever et chercher un endroit rassurant. Il l’a trouvé : c’était là où vous étiez. Dans la nuit noire, vous écoutez son souffle régulier. Vous hésitez entre le rire et le pleur. Rire de voir un grand ado apeuré par un rêve au point de venir chercher refuge dans le lit de sa mère tout en dormant. Pleur de songer à ce lien qui vous unit, en espérant de toutes vos forces qu’il durera longtemps, quoi qu’il arrive.