mardi 16 décembre 2014

Noël attaque


Il était une fois un calendrier de l’Avent magique, échoué dans le débarras d’un antiquaire, Vallis, qui l’avait récupéré dans un vide-grenier falsifié, un de ceux réservé aux particuliers où l’on voit pourtant de multiples objets destinés à des collectionneurs. Le brocanteur avait repéré ce vieil objet à suspendre, qui ne servait qu’en fin d’année et l’avait trouvé digne d’intérêt, malgré ses boiseries fatiguées et ses soieries usées. Il l’avait monnayé trois francs six sous, profitant de l’heure matinale et de l’ambiance brumeuse pour faire valoir ses prérogatives de commerçant avisé et peu scrupuleux.
Il l’avait emporté chez lui, l’avait dépoussiéré, rafistolé, avait reverni ses bois vieillis et lavé ses tissus autrefois scintillants. Il avait aussi vérifié qu’il comportait bien 24 tiroirs, 24 dates et 24 emplacements vides, sans doublon ni oubli. Voilà. On était le 28 novembre et le calendrier reluisait et brillait de mille feux, prêt à être installé dans une vitrine pour attirer le chaland. En fait, l’antiquaire l’emporta pour que son stand soit remarqué, à la Brocante d’Enfer, qui a lieu chaque année du dernier week-end de novembre au dimanche d’avant Noël, cette année un 21 décembre.
Accroché au milieu des armoires Louis XII et des commodes Louis Philippe ; au milieu des dentelles style Marie Antoinette et des brosses à cheveux plutôt Mme de Maintenon, le calendrier faisait belle figure. Un peu anachronique, mais qui s’en souciait ? Sur ces allées, l’essentiel était de paraître, pas d’être authentique.
La perle du 1er tiroir était bleue. Mais toute la journée, le ciel ne fut que brouillard, pluie fine et pieds glacés. Autant dire que pour un jour d’ouverture, c’était râpé. A 20 heures, le brocanteur ferma son stand sans avoir rien vendu, ne sachant si c’était dû au mauvais temps, à son air renfrogné ou à la mauvaise conjoncture économique.
Le 2 décembre, une petite femme toute emmitouflée de tissus vint voir le brocanteur et carrément, lui demanda l’aumône, en argumentant que le mois de décembre était propice aux ventes et qu’il pouvait bien se fendre d’un petit sou dans sa main gantée de trous afin d’éviter qu’elle meure de froid dans la nuit. Il fit la sourde oreille, tout en faisant semblant de lire la presse locale qui relatait la grève des services d’urgence, qui hurlaient leur colère de ne pouvoir venir en aide aux nécessiteux, de plus en plus nombreux. Les services de gardiennage houspillèrent la vieille qui partit en maugréant. Un peu plus tard, le brocanteur s’aperçut qu’il manquait la perle bleue du tiroir 1er décembre. Il ouvrit le tiroir, regarda dedans, y trouva un sou. Il le regarda bizarrement, renifla et le laissa tomber dans son porte-monnaie avec sa recette de la journée (3 dentelles au rabais et un vieux livre tout écorné).
Le lendemain, Vallis arriva de mauvaise humeur car il avait assez mal dormi. Le calendrier de l’Avent lui avait trotté dans la tête toute la nuit, il le trouvait assez mystérieux, se demandait si c’était vraiment une bonne affaire et s’il ne ferait pas mieux de s’en débarrasser. Encore fallait-il qu’il ait des clients ! Il aurait pu l’offrir en cadeau après une bonne vente.
 Cette journée-là comme la suivante fut glaciale et il ne put s’empêcher de penser à cette petite femme qui l’avait menacé de mourir de froid. Où était-elle aujourd’hui ? Dans quelle masure, sous quel pont, vers quel abri de fortune ? A tout hasard, il ouvrit le tiroir correspondant à la date du jour et eut la surprise d’y trouver encore un sou. Or il était sûr de n’avoir rien déposé dans aucun des tiroirs lorsqu’il avait tout remis à neuf. Il se retint d’ouvrir tous les tiroirs d’un coup, pensant que ça pourrait lui porter malheur. Comme il regardait au loin, rêveusement, il crut voir la même femme que la veille, et presque sans le vouloir, leva la main pour la héler et qu’elle vienne à lui. Elle s’approcha en glissant, toujours aussi emmitouflée, mais tendit vite la main lorsqu’elle vit le sou entre les doigts du brocanteur. Merci, Monseigneur, lui dit-elle, la nuit porte conseil, pas vrai ? Elle avait des doigts étonnamment fins et pas du tout froids. Et elle n’était pas si moche que ça, après tout. Elle lui fit un sourire de gamine et lui tourna le dos. Curieusement, alors même que ses ventes du jour furent aussi tristes que celles de la veille, il n’en fut pas totalement désespéré et se surprit même à sourire dans le vague, sans comprendre quelles pensées le faisaient ainsi rêver.
Le petit bonhomme de pain d’épice peint sur le tiroir correspondant au 5 décembre fit un clin d’oeil lorsqu’au matin du lendemain, Vallis, s’asseyant sur un coin de table XVIIIème pour déguster son café, y trouva une petite brioche, enveloppée dans un papier journal, comme autrefois. Il regarda autour de lui mais tout était comme d’habitude et apparemment, aucun de ses voisins n’avait eu droit à une brioche. Il la regarda sous toutes les coutures et lui trouvant un air de fameuse brioche, mordit dedans. Le bonhomme de pain d’épices soupira.
Décidément, cet hiver était catastrophique : il neigeait le 6 décembre. Les ambulances et services d’urgence passèrent toute la journée toutes sirènes hurlantes. Quelques clients très emmitouflés, très pressés et sûrement très désargentés passèrent sans rien débourser. Pour se changer les idées, Vallis se dirigea vers le tiroir du jour, qu’il trouva à moitié ouvert : un flot de dentelles en surgit, une dentelle si fine et si merveilleusement brodée qu’il en eut le souffle coupé. Il était sûr que ce tiroir ne contenait rien il y a encore quelques jours. D’où venait ceci ? A qui était-ce destiné ?
Il commença à être inquiet lorsque le lendemain, il remarqua qu’un flocon de neige était dessiné sur le tiroir du 7 décembre et qu’il y trouva dedans un flocon de neige, en papier plié de type karigami, tout blanc. Des cadeaux ? Qui donc pouvait lui faire de si jolis cadeaux, lui qui était un vieil ours solitaire depuis tant d’années ? La calendrier ne fabriquait tout de même pas lui même ces objets au cours de la nuit… Il résista encore à l’envie de tout ouvrir d’un coup mais se pencha quand même pour vérifier. Nulle marque de fabrique, nul « made in… », aucune signature de fabricant. Peut-être l’objet le remerciait-il ainsi de l’avoir remis à neuf ?  Il se traita aussitôt de vieux fou : aucun objet ne pouvait penser ni fabriquer quoi que ce soit.
On ne pouvait pas dire que ce soit une bonne année pour la Brocante d’Enfer, pourtant le brocanteur se levait chaque matin de plus en plus pressé de voir ce que lui réservait cette nouvelle journée. Le 8 décembre, il prit peur que tout cela ne soit qu’un rêve car non seulement il ne se passa rien mais le tiroir du 8 était vide lorsqu’il l’ouvrit en arrivant. Ses doigts farfouillèrent jusqu’au fond mais rien. Et si finalement ce calendrier de bois n’était qu’un calendrier de bois ? Il se dit lui-même que, bien entendu, cela ne pouvait être autrement et que tout le reste n’était que mauvaises farces ou élucubrations. Dommage, tout de même, marmonna-t-il le soir juste avant de s’endormir. On aimerait tant croire au Père Noël.
Le 9 décembre était un samedi. Vallis fit tellement d’affaires ce jour-là qu’il fut obligé de remonter à son magasin pour y chercher des meubles, des objets, des bijoux, des livres. Il ne pensa à ouvrir le tiroir qu’en fin de soirée, lorsque tout fermait. Il n’en crut pas ses yeux : dans le tiroir se trouvait un portrait. Un portrait minuscule, un portrait de femme, un visage un peu caché par un voile bleu, comme une peinture de la Renaissance. Il n’arrivait pas à voir les traits de cette femme qui avait comme un vague air de connaissance. Il prit le portrait et le mit dans sa poche, se promettant de mieux regarder, à la loupe s’il le fallait, une fois rentré chez lui.
Mais la loupe assez grosse pour y voir se trouvait en fait dans un vieux coffre bourré d’outils et d’objets de toutes sortes, coffre qu’il emportait toujours dans ses déplacements au hasard des brocantes. Il dut donc attendre le lendemain pour examiner le portrait, qui ne lui parla pas plus que la veille. La couleur bleue, il était sûr de l’avoir déjà vue… Il leva les yeux mais sur le tiroir indiquant le 10, il était dessiné une cerise. Quelle incongruité, se dit-il, pour un mois de décembre… les seules cerises disponibles en hiver venaient du Chili et coûtaient 3 à 5 fois plus cher qu’en saison.  Dans le tiroir, une partition : Le Temps des Cerises, de A. Renard, paroles de J.B. Clément. Il rêva toute la nuit des jolies femmes qu’il avait rencontrées et qui l’avaient quitté, tout au long de sa vie, et se sentit bien seul.
Il lui prit l’idée le lendemain de remettre à neuf une jolie poupée de porcelaine qui pourrait ainsi rehausser son stand de babioles. Le lundi, ce n’est de toutes manières pas un bon jour pour vendre. Il s’occupa les mains, repeignant, cousant, recollant des morceaux de manière invisible. Il avait toujours aimé les objets, c’était l’une des raisons qui l’avait poussé à se faire brocanteur, revendeur d’objets en quelque sorte. Il prit même un morceau de la dentelle « donnée » par le calendrier et en cousit sur les manches de la poupée. Lorsqu’il eut fini et qu’il l’installa sur le lit en merisier qui trônait, elle avait une bien belle allure. Il quitta la brocante fier de lui, sans avoir eu le temps de penser au calendrier.
Au matin du 12 décembre, la poupée était toujours là (la brocante était sécurisée la nuit) mais stupéfait, il fouilla fébrilement dans sa poche à la recherche du portrait qu’il compara au visage de la poupée : oui, c’était bien elle, le voile bleu, qu’il n’avait pas remarqué la veille, rabattu sur le visage si fin de Renaissance italienne. Etait-ce bien la même poupée que celle qu’il avait tenu entre ses mains toute la journée, la veille ? Il ne savait que penser.
Les 13 et 14 décembre, Vallis fut bien agité. Il se demandait s’il ne devenait pas complètement fou et ne savait que penser de ce calendrier, s’il était vraiment magique ou si quelqu’un se moquait de lui depuis des jours. Méfiant, il ouvrit quand même, avec retard, les tiroirs des derniers jours mais ils ne contenaient rien d’intéressant. Une cliente, à la recherche de déco kitsch, lui fit la remarque que ce calendrier de l’Avent était trop moderne pour aller avec le reste de sa boutique, mais avant qu’elle ait eu le temps de lui faire une offre, il se surprit à lui annoncer que cet objet n’était pas à vendre.
Maussade, il passa la journée du 15 à ruminer de bizarres pensées. Il était très partagé et ne savait que faire. En début d’après-midi, un livreur vint lui porter un paquet en lui disant que tout était payé et que le magasin Jewlry and Cie le remerciait et lui souhaitait de bonnes fêtes. Il regarda le paquet sans oser l‘ouvrir et ne sut pas si des clients étaient passés, lorsque le soir tomba. Sur le quinzième  tiroir était dessiné un diamant bleu.
Aujourd’hui,, se dit-il en se levant le matin suivant, je saurai bien ce qu’il se passe ! Il entra dans sa boutique, jeta un œil sur la poupée qui n’avait pas bougé et défit le paquet. Dans une petite boîte en bois se trouvait, emmitouflée dans une soie bleutée, la perle qu’il avait perdue au début du mois, la perle du 1er décembre. Elle était sertie, prête à rejoindre le doigt qui la porterait. Il fut désespéré : comme le Prince charmant qui demandait à toutes les jeunes filles de chausser la pantoufle de vair perdue par Cendrillon, allait-il devoir demander à chaque femme qu’il croisait d’essayer la bague bleue pour trouver l’élue ? Il ricana et jeta la bague dans le tiroir, avec l’étui.
Il n’ouvrit pas boutique le 17. Abattu, il resta chez lui à se demander pourquoi sa vie était soudain devenue si compliquée. Depuis sa stupide idée de refaire à neuf ce calendrier fait de bois, de tissus moirés et de sorcelleries, il se sentait en même temps exalté et triste, joyeux et morne, sans savoir de quoi demain serait fait.
A la fin des deux jours suivants, qui passèrent sans qu’il semble s’en rendre compte, il comprit enfin qu’il était amoureux. Sauf qu’il ne savait pas de qui, puisque tous ces rendez-vous presque quotidiens avec le mystère ne lui avaient pas révélé ce qui se passerait au bout du dernier jour et qu’il ne se voyait pas survivre une semaine de plus sans savoir à quoi s’en tenir. Le bonhomme de neige peint sur le 19ème tiroir avait un air tantôt ricanant, tantôt suppliant, mais Vallis n’ouvrit aucun tiroir. Il ne voulait pas penser que Noël aurait lieu dans 5 jours et qu’il allait le passer seul, comme chaque année depuis longtemps.
La frénésie de Noël s’accéléra, s’intensifia, malgré les porte-monnaies vides, les mauvaises nouvelles des journaux et le mauvais temps qui décimait le reste de vie urbaine. Ceux qui en avaient les moyens achetaient n’importe quoi et ceux qui n’avaient rien n’achetaient rien. Vallis se sentait complètement décalé, malgré la surprise de ce qu’il trouva dans les tiroirs non encore ouverts : un savon bleuté, un blaireau moucheté et un miroir doré. Mais pour qui donc devrait-il se faire beau ?
Enfin, le dernier jour de la Brocante d’Enfer arriva. Vallis commença à ranger sans conviction, un peu au hasard, attendant quelque chose qui ne venait pas. Il alla chercher son camion vers 18h, il faisait déjà nuit et les lumières de la ville clignotaient, transformant les passants hagards en pantins désarticulés. Lorsqu’il revint à la boutique, la poupée n’était plus là. A sa place il y avait son portrait en vrai, la petite femme emmitouflée dans des voiles bleutés. Elle avait le calendrier de l’Avent sous son bras. Vallis restait immobile, sans pouvoir bouger. La femme se leva, vint se planter devant lui et lui fit de son air effronté : Je suis le dernier cadeau du tiroir. Vas-tu me garder ?


Ils ne se marièrent pas et n’eurent pas d’enfant. Mais les quelques jours de décembre passés ensemble jusqu’à Noël furent prolongés. Ils durent peut-être encore aujourd’hui, allez savoir. Quant au Calendrier, nul ne sait ce qu’il est devenu. Moi, je crois qu’il est parti porter bonheur ailleurs.

mardi 2 décembre 2014

Souvenir musical



Ma fille a 15 ans. Elle écoute du rock, du pop, d’autres musiques plus ou moins variées, plus ou moins électriques, plus ou moins bruyantes. Mais elle entend aussi ce que j’écoute quand elle n’est pas dans sa chambre : des chansons françaises, du classique, de l’opéra… Alors elle veut bien que je l’emmène à un concert de l’Orchestre du Capitole sous la direction de son nouveau chef, un jeune russe qui promet et dont on ne comprend pas comment ni pourquoi on a pu l’arrêter quelques temps à Toulouse. Elle se laisse emmener parce-que, au programme, c’est Tableaux d’une exposition de Moussorgski et qu’elle a déjà aimé le disque.
Nous arrivons, nous prenons place, un peu en haut, à droite de l’orchestre. C’est bien, on voit le pupitre du chef de manière bien distincte. Les musiciens arrivent, le chef ensuite, applaudi par ce public déjà conquis, après juste quelques mois d’envol, par ce chef gentil, précis, musical et vif.
Toutes les deux, mais je crois que le reste du public aussi, nous sommes tout de suite emportées par la musique tourmentée, imagée, de cette exposition russe. Dès les premières notes, nous suivons les pas parfois nonchalants, parfois lourds et pressés de celui qui déambule sur le parquet ciré du musée, de la galerie d’art, à Saint-Pétersbourg ou ailleurs, qu’importe. Nous suivons des yeux les gestes du chef d’orchestre, ses mouvements ronds et précis et surtout nous suivons ses mouvements lorsqu’il danse, littéralement, avec la flûte, les cloches, ou pour lancer les violons, et qu’il va jusqu’à mimer le ballet des poussins qui suivent leur poule de mère. L’orchestre suit, joyeux, aérien, heureux. Pas besoin d’images, nul tableau n’est nécessaire : le chef et sa danse suffisent à notre bonheur parce que l’orchestre le suit, louvoie, fait des rodomontades et des esquisses de notes, rondes, ciselées, argentées.
A la fin du concert, ma fille a applaudi à tout rompre et dans un chuchotement m’a dit : maman, j’avais des frissons tellement c’était beau. Oui, il s’était passé quelque chose ce soir là, entre le chef, l’orchestre et nous et avec le souffle de Moussorgsky qui s’était posé là.
Ma fille écoute toujours du rock. Mais sur son I Phone, elle a aussi de la musique classique, des musiques du monde et de la chanson française. Elle veut bien venir quand je lui promets une surprise, elle veut bien écouter de nouvelles choses, quelque soit le genre et la case dans laquelle on les met. Ce qui est important, c’est l’émotion qu’elle ressent, pas le genre de musique qu’elle écoute.

Le jeune chef russe est toujours là, même s’il commence à prendre son envol pour des steppes lointaines. En peu de temps il aura fait beaucoup pour la musique, pour les jeunes, pour nous tous. Il est ici chez lui. Aucune frontière, aucune guerre ne pourra jamais bloquer ces mélanges là.

merci à Dominique Boutel - souvenir musical - La matinée du samedi - France Musique - 27/12/2014

samedi 8 novembre 2014

le jardinier des Medicis


Je m’appelle Giancarlo Buonarossi, né à Fiesole, autant dire quasiment à Florence. Les deux communes se touchent depuis des centaines d’années, sans jamais s’unir complètement.
Je suis le jardinier des villas Medicis, une petite dizaine de demeures, autrefois somptueuses, qui se pressent autour de Florence, jamais trop éloignées du Palazzo Vecchio, à portée de carrosse du Palais Pitti, mais tellement moins visitées…

Les Buonarossi ont toujours été jardiniers, toujours pour les Medicis. Depuis des siècles, les deux familles sont liées, proches, sans jamais se mélanger cependant. L’une était riche, l’autre toujours pauvre.

Pauvre en monnaie sonnante et trébuchante, sans aucun doute, mais riche de passion pour les roses et les citronniers, amoureusement élevés dans ces jardins. Aujourd’hui je n’ai plus guère les moyens d’entretenir des parterres de roses, mangeuses d’eau, précieuse dans ce pays si souvent desséché l’été. Alors je me rabats sur les citronniers que je soigne tout au long de l’année. L’hiver dans les serres, l’été au soleil. Il y a une espèce différente dans chaque villa. Dont celle déjà produite aux temps fastueux du grand-duc ou de Laurent le Magnifique.

Ni les villas ni mes citronniers ne s’éteindront comme s’est éteinte la lignée des Medicis, je le sais. Aujourd’hui, inscrits au patrimoine de l’Unesco, les villas et leurs jardins resteront à jamais dans leur écrin et seuls ceux qui les aiment s’y aventurent.
Ils déambulent dans les vestibules, s’égarent dans les couloirs, attendus par le gardien qui leur ouvre les portes et les referme derrière eux, sans rien leur dire, comme s’il était muet, comme si l’italien qu’il pouvait parler était encore celui du temps de Giovanni ou Caterina, qu’on a du mal à comprendre aujourd’hui. Je crois surtout qu’il préfère se taire.
Moi aussi j’aime travailler dans le silence. Je travaille peu l’été, pour ne pas me faire voir. Les gens se lassent, je reste, et les saisons passent.
 
C’est vrai, j’aime aussi Florence, pourtant bruyante et peuplée. J’aime flâner sur la place de la Seigneurie et saluer le grand Neptune, jeter un œil au David, à la même place depuis autant de temps que nous, les jardiniers des Medicis et puis tous les autres, qui parsèment la Loggia dei Lanzi. J’aime me promener le long de l’Arno, sous le corridor Vasari, en jetant un œil mauvais sur les nantis qui se prélassent sur la plage privée, sous les Offices, au vu et au su de tous les délaissés. Autrefois, l’Italie était le pays des cent villes, des villes libres, qui faisaient ce que bon leur semblait sans s’inquiéter d’une quelconque capitale.  Puis est venu le temps de l’unité, après des années de guerres, et depuis, Florence est prisonnière de son ancienne gloire, de sa magnificence, de son passé lumineux dont restent tant d’augustes traces. Dans mes jardins, il n’y a plus rien. Pas de statues ou presque. Les bassins jadis jaillissants restent vides. Et j’erre dans les allées trop caillouteuses en regrettant les bandes de pelouse fine où se posait le pied des belles, attendues par leur galant. 

 










Les Medicis, chacun leur tour, sont venus se délasser, à l’intérieur de ces murs ou dans ces jardins, de la fatigue du pouvoir. Pouvoir exclusif d’une famille, suprématie d’un seigneur, pendant des siècles, sur les gens et la terre de Florence. Ici, ma famille a tout pouvoir sur les fleurs, les arbres, les saisons depuis aussi longtemps qu’eux et nous sommes toujours là. Moins de meurtres, de trahisons, de mariages malheureux que chez les Medicis. De petites joies chez de petites gens qui vivent sans tapage. Nul commerce mais des finances toujours mal en point dans la famille Buonarossi. Quelle importance ? Les finances des Medicis ont commencé à fondre dès que Laurent a préféré commanditer des œuvres à ses artistes à demeure plutôt que se consacrer aux affaires. Chacun fait ce qu’il veut.

Je me plante devant les 6 boules du blason des Medicis, qui a fait couler tant d’encre et donné lieu à de multiples explications, toutes plus incongrues les unes que les autres. Je connais le secret des 6 boules et ne le dirai jamais, je l’ai promis ; comme mon aïeul il y a tant d’années.


Les villas en ont vu des fêtes, des carnavals, des mariages et des dernières heures. Je me souviens d’un certain anniversaire de Platon, fêté le 7 novembre, où l’on organisa un grand banquet, littéraire, mémorable. Jamais anniversaire n’a été aussi somptueux. Du grand art. L’alliance des plaisirs de la table et de ceux du cœur. Seul le cinéma pourrait aujourd’hui faire revivre ces instants secrets, mais j’attends en vain le réalisateur qui fera tourner ses caméras autour des serres, des cuisines, des arches et des escaliers :

Que la jeunesse est belle
Qui s’enfuit sans cesse
Qui veut être heureux qu’il le soit
Nul ne sait de quoi demain sera fait

Toutes les villas ont connu plusieurs transformations, et mes jardins aussi. Une lente décrépitude. Pratolino et son colosse dégoulinant, Poggio a Caiano, résidence préférée de Laurent, maintes fois rafraîchie et où reste la fresque de Pontormo. Careggi, où le Magnifique mourut, aujourd’hui hôpital, presque sans jardins. Et La Petraia, au cortile orné de fresques du jeune Volterrano, reste pourtant bien cachée, secrète : on ne peut l’atteindre qu’à pied. Même la villa de Castello, où s’enferma Caterina, mère de Jean des Bandes noires, a été embellie, modifiée, resculptée, restaurée. Je ne sais s’il faut s’en féliciter. Je trouve mes jardins bien tristes et me réfugie souvent dans l’odeur de mes citronniers, pour fuir la réalité. Les rares visiteurs ne s’attardent guère, je les comprends. Je les regarde de loin, bien caché et me prend à sourire s’ils s’extasient devant la beauté des fruits. Nul ne me connaît. J’en suis content et contrairement aux Medicis, j’ai encore des enfants et des petits enfants qui courent sous les arbres centenaires en criant. Les villas sont belles, modestes. Bien loin d’un palais Pitti aussi fermé qu’une prison et de ses jardins tracés au cordeau. Je n’aime pas Boboli. Ce n’est pas un jardin, c’est une ville. Une ville asphyxiante et rectiligne, sans vie. Même au temps des fêtes nautiques, il n’arrivait pas à la cheville de la plus petite de mes villas, du plus brouillon de mes jardins. Là où l’on se sent bien, sans fioritures ni faux-semblants.  Là où la nature reprend ses droits, où le grand seigneur redevient l’égal du jardinier, le temps de ses quelques années sur terre.

mardi 21 octobre 2014

la revanche des gringalets

Difficile d'écrire un "autre" roman après la saga Harry Potter... très difficile. Au moins, JK Rowling aura fait totalement autre chose (Une place à prendre - JK Rowling - Grasset 2012). Pas de magie, pas d'univers maléfique ni de sorcellerie. Rien que la vie quotidienne d'une petite bourgade anglaise, rien que des êtres humains veules, lâches, racistes ou égoïstes. Et des adolescents un peu paumés, comme partout, révoltés et prêts à en découdre avec le monde entier. L'être lumineux qui arrivait à en sortir quelques-uns de la fange dans lesquels ils sont plongés meurt subitement. Alors tout le monde se lâche, plus aucune retenue. Les nombreux personnages (trop nombreux ?) de ce roman ne sont pas reluisants, notamment les adultes. Les adolescents ne le sont pas non plus forcément mais on sait qu'ils vivent une période difficile et on a tendance à les comprendre au moins certaines faiblesses, même si d'autres semblent pourtant impardonnables.
Suite à cette disparition, tout se délite petit à petit, tout s'écroule, toute la belle façade des nantis se lézarde et le quart-monde replonge vite dans sa boue, faite de violence et de drogue. En fait, personne n'aime personne dans cette campagne, mais chacun fait bien semblant. Et finalement, les ados s'en sortent, certains en tout cas, et pas forcément ceux qu'on croit, pas forcément ceux qui paraissaient les plus armés, les plus forts pour affronter cette mascarade qu'est la vie sociale. Les relations humaines, parents-enfants notamment sont parfois dépeintes avec cruauté : mépris, indifférence, violence. Les relations entre hommes et femmes, même mariés, ne sont que mensonges, hypocrisie, peurs. Les rôles sont en fait renversés : les jeunes sont plus lucides que la plupart des adultes, engoncés dans une apparence rigide, arriviste, supérieure. Ceux des quartiers défavorisés, jeunes ou vieux, finissent mal, très mal. Et ceux qui arrivent à partir, d'une manière ou d'une autre, savent qu'ils ont gagné la bataille contre la médiocrité. Ils iront refaire une vie ailleurs. Et tenteront de prendre une place, eux aussi, dans cette société, cette fois en gardant la tête haute.

mardi 7 octobre 2014

Un bal masqué... sans fards



- à 20 ans tu n’écoutais pas du hard rock en te droguant ?
- non, à 20 ans j’écoutais Don Giovanni en me pâmant


Un ballo in maschera est un des opéras de Verdi les plus attachants, d’une part parce que l’ambiance est plutôt gaie même si l’histoire est cruelle ; d’autre part parce qu’on y retrouve les prémisses de grands airs futurs du roi Verdi : Otello, notamment (début de l’acte III). Un brouillon en quelque sorte.
La production du moment au théâtre du Capitole à Toulouse a attiré les foules, ce n’est pas si souvent que l’on joue ici un opéra connu de Verdi.
J’y ai trouvé l’orchestre et les chœurs très professionnels, un ton au dessus du reste, malgré une direction assez plate. Les solistes tenaient leur registre mais sans plus, avec un Oscar impeccable et virevoltant. Les autres n’avaient pas assez de présence, comme s'ils n’y croyaient pas complètement. On peut les comprendre : il n’y avait quasiment ni décors ni mise en scène, assez statique (mais alors pourquoi ces longs changements de tableaux ?) ou incompréhensible (une Ferrari rouge téléguidée passant entre les jambes des personnages… ?) alors que la scène chez Ulrica la sorcière devrait être flamboyante. Il y a quand même eu d’excellentes idées. Notamment celle de situer Riccardo, le comte, en dehors du cadre, au sens propre comme au figuré. C’est en effet une représentation et le personnage central n’en est pas l’acteur, plutôt le spectateur. Comme un Roi soleil, il est au dessus de tous les autres, toujours à part, habillé de satin scintillant au milieu de ceux habillés de noir, semblables. La lumière est celle encadrant les miroirs des loges d’acteurs. Sa mise en valeur est ainsi assurée et sa personnalité trouble rehaussée. Il se regarde faire son numéro et s’agiter les autres, sans être particulièrement passionné par ce qui se passe. Les autres personnages, Amelia, Renato,  nous ressemblent, avec nos pauvres inquiétudes, notre humanité quotidienne. Riccardo ne peut se mélanger à eux, c’est un météore fulgurant.
 Je ne résiste pas à vous faire partager certains commentaires de spectateurs :

Elle : mais c’est débile, l’histoire
Lui : oui, c’est toujours un peu neu neu

Elle : il est long le 3ème acte ?
Lui : bah 40 mn à peine, le temps que tout le monde meurt

Ce qui résume assez bien l’Opéra, art complet, fait d’abord pour le chant et la musique… le reste finalement n’a que peu d’importance. Et la magie du génie musical de Verdi opère toujours.

samedi 4 octobre 2014

mille cose da Firenze

Toute l’année, à Florence, se pressent des milliers de touristes, qui font la queue devant la Galleria degli Uffizzi, qui se pressent sur le Ponte Vecchio, qui parcourent les rues entre la piazza della Signoria et le Duomo ; inlassablement. Pourtant, à Florence comme ailleurs, même dans le quartier historique, il suffit de prendre une rue parallèle pour se retrouver seul, de passer l’Arno sur le pont suivant pour se sentir presque italien,  de laisser le bus vous conduire à son terminus pour découvrir des endroits inattendus :

⇧Il y en a au moins une au coin de chaque Duomo de Toscane, hilare, curieuse, gaie, une vache qui vous regarde en meuglant, qui vous surprend au détour d'une rue, qui vous laisse perplexe.

← Signes cabalistiques, entrelacs de marbres colorés, labyrinthes de pierre, il faut prendre le temps de regarder chaque pan de mur, de tous côtés, il faut lever les yeux et scruter les voûtes et les plafonds, sinon, on ne voit rien...
Les yeux se lassent, certes, il y en a tellement à voir. On pourrait y passer ses dimanches.





Une ville inondée, c'est une catastrophe. Mais Florence inondée, je vous laisse imaginer l'ampleur... des fresques vieilles de plusieurs siècles qui tombent en lambeaux, les réserves des musées toutes mouillées, des chefs d'oeuvres par centaines à restaurer... Les cloîtres envahis, les églises pleines d'eau. 1844, 1966, il y a encore des traces, sur les murs, et dans les souvenirs. On pense qu'aujourd'hui on a tout mis en sûreté. Mais qui peut être certain de l'Arno, qui paraît pourtant calme et indifférent par rapport aux flots de touristes ? ➮

⇧ Loin de la foule, les italiens vivent : dans le quartier San'Ambrogio, outre l'église et ses trésors, il y a des puces, des drôles de casemates sur la piazza, où sont entassés des objets anciens, des objets sans valeur aucune, sauf pour le collectionneur, des vieux miroirs et des chemises en lin. Tout cela n'a pas de prix. Sauf si vous êtes intéressés...

⇧ Ils sont installés sur de grands pupitres géants, on ne sait pas à quoi ils servent car personne n'est aussi grand. Qui peut les lire, les chanter ? Des cantates à la gloire du Seigneur attendent des voix à leur mesure. Pour les entendre, il faut être florentin et entrer dans les espaces réservés pour prier. Ou alors il faut être patient.


⤆ Des piaggio... il y en a partout mais il faut attraper l'appareil au vol pour pouvoir les photographier, tant ils se faufilent vite dans les ruelles. Plus florentins que les scooters, ils servent à tout, passent partout. Certains sont rutilants, d'autres en plein délabrement mais en tout cas toujours pétaradants... J'en ai attrapé un seul en mouvement, une chance !







 Certains vivent sous les ponts... d'autres au dessus. La face cachée des hauts lieux touristiques est parfois très curieuse. Les locataires en tout cas n'étaient sûrement pas nés lors des dernières crues, ou alors ils ont l'oubli facile. Et je n'aimerais pas être à leur place lors des tempêtes d'hiver. Y a t'il encore des poissons comestibles dans l'Arno ? ➮








⇧ Oui c'est un chef d'oeuvre, admiré de tous. Mais on ne peut s'empêcher de se dire, en voyant le geste de Joseph, qu'il se dit : bon dieu mais qu'est-ce que j'ai fait ?! Effectivement, s'il avait su le quart de ce qui allait arriver... d'un autre côté, on ne lui a pas vraiment demandé son avis et tandis que chacun, boeuf, âne, rois mages et bergers se prosternent et adorent ce bébé joufflu, lui sent bien qu'il y a quelque chose de pas net dans tout ça, mais trop tard.

La nuit aussi, David reste sur la place. Il est immobile, son regard fixé sur les Uffizzi. Neptune, qui le regarde de travers, profite peut être que personne ne le voit pour jeter un oeil sur les fenêtres éclairées et ouvertes de la Salle des Cinq Cents du Palazzo Vecchio où, pourquoi pas, Monsieur le Maire reçoit ou le Conseil municipal délibère, chi sà ?


 





















En France, on fait semblant d'avoir le choix entre des lungo, les vollutto et les ristretto... mais en Italie lorsqu'on commande un caffè, tout simplement, on se retrouve avec 2 centimètres d'un café excellentissime au fond du gobelet, à peine assez pour y ajouter du sucre. On a plus qu'à l'avaler d'un coup, en une seule gorgée. Quitte à y revenir rapidement pour avoir sa dose quotidienne. Oui, le caffé est vraiment bon et ne ressemble absolument à rien d'autre qui se dise café, de Londres à Paris.
 
Oui, le diable est partout, sur le plafond doré du Baptistère comme caché dans de vieilles ruelles pavées où se tiennent encore des échoppes monstrueuses où on vend de tout et de rien, surtout de rien, de toutes manières il n'est pas question d'y acheter quoi que ce soit car on ne comprend ni ce qui est affiché ni les prix ni même ce que marmonne le vendeur, du fond de son magasin et qu'on a, au fond, un peu peur de lui demander quelque chose. ⬇︎


⇧Dans la chapelle des Espagnols, à Santa Maria Novella, on se prend à partir vers de lointains rivages : tout est orné de fresques, tout est peint et on n'aurait pas assez d'une journée pour tout détailler. Alors on prend des photos, assis sur les bancs de pierre. Et on rêve...



















 
⇧Au Moyen-Age,  il y avait déjà les palazzi et autres bâtiments. Mais si d'un côté les nobles se faisaient percer des finestrelle, fenêtres à hauteur d'enfants afin d'éviter d'avoir à les porter pour qu'ils voient eux aussi le popolo passer plus bas sur les pavés, les gens du peuple, eux, se faisaient en douce passer du vin par les taverniers. C'était interdit, soit, alors on perçait des petites trouées dans le mur, une bocca da vino, avec porte en bois à laquelle il suffisait de cogner pour la faire s'ouvrir : la pièce passait de main en main et la flasque aussi, à l'envers. Ni vu ni connu, j't'embrouille et tout le monde était content. Certaines bouches sont encore visibles, parfois même entretenues mais plus utilisées.


Pour finir, il ne faudrait pas penser que l'Italien ne sait pas se moquer de lui-même, de son pays et de toutes ces choses merveilleuses que le monde entier se presse pour aller voir. Non, l'Italien sait se moquer tout en gardant un  sens artistique certain. Ces peintures satiriques des chefs d'oeuvre parsemèrent notre séjour florentin. Resteront-elles aussi longtemps que celles de leurs ancêtres ?


















mercredi 24 septembre 2014

mouvement(s) d'humeur

Le matin quand je me réveille
J'ai du mal à quitter Morphée
Pour aller justifier la paye
Que mon patron peut s'octroyer
Ce n'est pas vraiment que je tienne
A continuer d'l'engraisser
Mais aussi petite soit la mienne (de paye)
J'en ai besoin pour bouffer
Je fais des trous dans ma ceinture
Un par jour pour mieux gérer
Le minimum que cette enflure
Se croit obligé de me céder

Y en a qui seront jamais dans la merde
Y en a qu'auront jamais de problème
Et ce sont souvent ceux là même
Qui nous dirigent ou qui nous gouvernent


Je le croise devant l'usine
Dans sa belle BMW
Dans sa Porsche ou bien son Alpine
Suivant ce qui l'a motivé
Moi je gare mon vélo
Depuis qu'ils ont décidé
Afin de relancer le marché de l'auto
D'interdire aux poubelles de rouler
Il a les fringues toujours impec
Les mains propres et jamais tachées
Moi mes paluches je bosse avec
Et mes neurones sont élimés


Il a des potes en politique
Des plantes grasses à arroser
De celles qui jamais ne lui piqu'
'ront le coeur de son chéquier
Ils ont le cumul sympathique
de maire et de député
Ils ont la morale cathodique
Et le chômage suranné
Et peu importe l'ascenseur
Qu'ils aiment à se renvoyer
peu importe puisque l'erreur
C'est qu'on est trop dans l'escalier

Combien de temps encore, va-t-on se laisser faire
combien de temps encore, sans rien faire

Yves Jamait

mercredi 17 septembre 2014

Florence, musée ouvert


Au-delà des situations inconcevables et autres errements géographiques du best seller américain Inferno, dont l'histoire démarre à Florence, capitale de la Toscane médiévale et contemporaine, chef d’œuvre de la Renaissance et de l’art italien, voici de véritables petites taches de couleur, souvenirs étoilés d’un séjour trop court.

1/ Le choc du Duomo
Même si on ne se rend pas tout de suite compte de la coupole de Brunelleschi, majestueuse, ronde, magnifique. Même si la façade est un peu masquée par le Baptistère, couvert, manque de chance, par un échafaudage transparent qui laisse heureusement entrevoir ses beautés cachées, il est toujours curieux de regarder l’effet sur les visages de ceux qui le découvrent pour la première fois, impression de découverte du bout de la rue, le Duomo de Florence : c’est toujours saisissant, les yeux toujours admiratifs, incrédules, se lèvent et n’en croient pas… leurs yeux. Rayé de blanc, vert et rouge, sculpté de tous côtés, flanqué d’un campanile vertigineux, découvrir le Duomo est un choc dont on ne se remet pas. 

 2/ Le Baptistère
Et le baptistère alors, me direz-vous ? L'air de rien, on entre sans trop savoir ce qu'on va y trouver. On est encore sous l'écrasante majesté de la cathédrale en face. Et dès qu'on est dedans, on ne sait plus où donner de la tête : toujours ces colonnes marbrées vertes et blanches, la lumière qui tombe en oblique des fenêtres inaccessibles pour le commun des mortels, dont hélas on fait partie. Et des mosaïques dorées, des figures d'archanges, d'enfer, des scènes bibliques, des adorateurs et des prêcheurs, des anges et des diablotins mangeurs d'hommes, maudits.
Et ce Christ, enfin, le seul qui ne porte pas tout le poids des péchés du monde, le seul qui semble heureux, serein, rayonnant. En fait, une fois qu'on y est entré, on n'a plus du tout envie d'en sortir.

 3/ la Porte
A Florence, les artistes reconnaissent le génie des autres. Pas toujours, d'accord, mais enfin, plus qu'ailleurs. Il faut dire qu'ils sont légion, à avoir embelli la ville au fil des époques... Et donc Michel-Ange, qui n'avait pourtant besoin de personne, est venu admirer la porte est du baptistère réalisée par Lorenzo Ghiberti et l'a trouvée tellement belle qu'elle était digne d'être celle du Paradis. Giorgio Vasari, lui, estimait que c'était le plus beau et le plus parfait chef d'oeuvre de l'art sur cette terre. La porte du Paradis (une copie, la vraie est à l'ombre du Museo dell'opera del Duomo) est visible par tous, on peut y passer des heures. Ou alors il faut -déjà- penser à y revenir.
 4/ Attention chef d'oeuvre
Puisqu'on est dedans... Michel-Ange a t-il fait autre chose que des chefs d'oeuvre ? A Rome, non. Et à Florence non plus : le David trône depuis 500 ans sur la piazza della Signoria devant le Palazzo Vecchio (oui je sais : l'original a été mis à l'abri dans la Galleria dell'Academia à quelques centaines de mètres de là, je vous invite à suivre pas à pas l'itinéraire du transport de la statue dans les rues de Florence, qui a eu lieu à la fin du XIXème siècle sous l'air béat des badauds, ce même air qu'on voit sur tous les visages des touristes lorsqu'ils lèvent les yeux vers David) et il ignore superbement le grand Neptune qui le regarde méchamment. Pour changer, on peut aussi le voir, magnifique, en "vrai" avec tous ses contemporains ou presque, au moins ceux qui ne sont pas au Louvre. L'esquisse de Saint Mathieu est impressionnante dans le sens où, effectivement, on voit émerger de la pierre un corps, déjà formé mais pas fini, la création humaine sans avoir besoin du divin.
 5/ Nus sous la pluie
Oui, ils sont là, nus sous la pluie, le soleil et la lune, chaque jour depuis des siècles. David regarde au loin, vers le couloir des Uffizzi et son regard n'accroche même pas les statues disséminées dans la Loggia dei Lanzi, où chacun s'abrite de la chaleur et tente de faire des photos originales malgré les cerbères qui aboient à chaque faux pas. Persée, l'Enlèvement des Sabines... et si on s'intéresse un tant soit peu à chacune de leur histoire, force est de reconnaître le talent de ces artistes qui ont tout donné à leurs créatures, à leurs créations. On ne reste pas de marbre devant cette Méduse de bronze qui s'affiche, béante, devant tous et qui a tant coûté à Cellini, forcé de tout jeter dans le fourneau pour que ce satané bronze puisse en sortir, perfetto.
6/ Incognito
Je ne parlerai pas de la galerie des Offices et des peintures qu'elle recèle. On trouve n'importe où son histoire. Encore que, n'est-ce-pas, recevoir en cadeau de mariage la Vénus d'un certain Sandro Botticelli pour orner sa chambre à coucher, ça révise facilement toutes les théories anti-noces.
Mais il est à Florence d'autres musées bien moins connus, bien moins fréquentés alors même que des trésors s'y cachent. Le musée du Bargello fait partie de ceux-là et l'avantage, c'est qu'on n'y fait pas la queue pour y entrer, pour y voir, immédiatement et sans pitié, le Bacchus ivre de Michel-Ange, joufflu et attendrissant. D'autres Bacchus lui tiennent compagnie mais sans comparaison. Le Bargello est un musée sans prétention qui a joué des tas de rôles différents dans l'histoire de la ville, de palais à prison, aujourd'hui abri de Donatello et autres artistes majeurs de la Renaissance. Un havre de paix. 

7/ Palazzo Palazzi
A Florence, en matière de palais, on est servi. Il y en a à tous les coins de rue. Des qui ont changé de fonction, des qui sont encore des palais, avec des bancs de pierre qui courent tout le long de leurs façades ocrées, pour que les gens puissent s'y asseoir et s'y reposer, et attendre ceux qui font, encore, des photos. On en aime certains, d'autres pas. 
 
A mon avis, le Palais Pitti, grande masse carrée, n'arrive pas à la cheville du Palazzo Vecchio, bien plus biscornu mais tellement plus chargé d'histoire. On s'y perd, on s'émerveille, on est dans un labyrinthe de pièces grandes et petites, toutes avec "quelque chose". A Pitti, tout est pareil et on défile d'une pièce à l'autre sans s'en apercevoir. Heureusement, il y a les peintures. Hélas, il y a le Giardino de Boboli. Il n'a de jardin que le nom, c'est plutôt une série d'allées caillouteuses bordées de statues. Oui, bien entendu il y a des arbres mais bon, en fait on ne dirait pas. Bref j'ai pas aimé l'un et beaucoup aimé l'autre, qui n'a pas de jardin mais des balcons, des loggias, des chambres, une salle des lys, un studiolo et une salle des Cinq Cents d'où, du plafond, nous regarde le grand Cosme 1er, droite lignée des Medicis.

8/ Les Medicis
Ah la famille Medicis ! De Rome et Florence, de Paris à Edinbourg, il y en a eu tant, des grands, des magnifiques, des papes ou des cardinaux, des Catherine qui ont su régner sur la France en prenant le temps d'y imposer certaines manières en introduisant l'usage de..la fourchette ! Des Laurent qui se sont entourés des plus talentueux artistes, détectés dès leur plus jeune âge. Des grands politiques et des meneurs d'hommes. Et puis aussi, une famille qui a connu des revers, des trahisons, des peines, des peurs... et qui a marqué non seulement la Renaissance florentine mais encore bien longtemps après, a laissé des traces dans la ville. Le corridor Vasari, long couloir fermé qui court du Palazzo Vecchio au Palais Pitti en passant au dessus du Ponte Vecchio est encore là pour en témoigner : c'étaient eux les maîtres de Florence.
Je ne vais pas insister sur l'histoire des Médicis, ils sont presque tous dans les livres d'histoire. Plutôt, j'aimerais vous narrer l'histoire de leur jardinier, mais chut...
9/ Fresques, Cloîtres, Chapelles
On n'en finit pas d'entrer dans les églises, qui sont toutes plus belles les unes que les autres. Qui n'ont rien à voir avec celles que l'on connaît en France, grises, froides et poussiéreuses. En Italie, en Toscane, elles sont chaudes, claires et lumineuses pour qu'on voie mieux les détails des peintures murales dans les chapelles, les sculptures sur les colonnes colorées, les dessins entrelacés de marbres.


La vie est là, ce ne sont pas des choses mortes comme on en a l'habitude ici. Chacune a son histoire et il y a eu des scènes tragiques dans toutes. Galilée, Dante sont passés là. Rossini y a son tombeau. Les fresques racontent la vie de tous les jours, lorsqu'elles n'ont pas disparu lors de l'inondation de 1966 qui fit tant de dégâts.
 Un cloître vert, une chapelle espagnole, l'Enfer de Dante et les clefs du paradis : voilà Firenze.