jeudi 31 décembre 2015

à la "petite" manière de Sei Shonagon


Les choses qui donnent un très grand plaisir
Etre avec mes enfants
Les choses qui font monter les larmes aux yeux
Les voir ensemble
Les choses qui donnent le vertige
Ma vieillesse inexorable devant leur jeunesse éclatante
Les choses claires et pures
Leur passé et leur avenir, encore longtemps j’espère
Les choses embarrassantes
Toujours le désir de bien faire quand ils sont là
Les choses qui font naître un doux souvenir du passé
Une photo de l’un, des deux, de nous trois

Dame Sei Shōnagon est une femme de lettres japonaise, auteur des Notes de chevet, l'un des deux chefs-d'œuvre de la littérature japonaise de l'époque de Heian (IXe ‑ XIIe siècles).

mardi 15 décembre 2015

Un verre, ça va


En général, j’aime bien qu’on me regarde dans les yeux quand on me parle. C’est être franc du collier, on sait où on va et à qui on a affaire. Mais là, franchement, j’peux pas. J’ai beau faire des efforts en m’appliquant, j’y arrive pas. Ces yeux chassieux, bigleux qui me regardent… ou qui ne me regardent pas, d’ailleurs, ça fait 20 minutes que j’arrive pas à savoir. C’est à moi qu’elle s’adresse ou à l’autre consommateur assis au comptoir ? Comment savoir, on boit la même chose et quand l’un fait claquer ses doigts pour en redemander un autre, elle remplit les deux verres. Quand j’ai vu, j’bois double disait l’autre. Mais elle, elle voit rien ou alors pas la même chose que moi. Je penche un peu la tête, elle sourit. Je regarde en l’air, elle continue de sourire. Elle voit rien je vous dis. Ou elle voit tout en double et c’est moi qui m’embrouille. Je voudrais commander autre chose pour voir si elle nous sert en même temps, pour voir si elle nous distingue l’un de l’autre ou si, se mélangeant entre le consommateur de droite et celui de gauche, ses deux yeux n’en distinguent qu’un seul, vague silhouette un peu floue qu’elle sert et ressert toute la nuit. Soudain je pouffe : comment va t’elle nous rendre la monnaie ?  Comment compte t’elle ces sacrées pièces que même un ivrogne comme moi a du mal déjà à distinguer ? Je ris tout seul. Mon collègue de comptoir, mauvais joueur, lance un billet en lançant un : gardez la monnaie. Fastoche. Ou alors il a l’habitude et sait d’avance que sa monnaie est perdue. Elle le regarde partir avec les yeux brouillés. Ou c’est peut-être moi qu’elle cherche du regard, allez savoir. J’arrive pas à la regarder dans les yeux alors je les noie dans mon verre. Ca vaut peut-être mieux.

mardi 1 décembre 2015

Le roi s'amuse... mais pas nous


Le monde n’a pas besoin de création, il a besoin de nouveauté, disait je ne sais plus qui. Il avait raison, mais hélas il n’y en avait guère, de nouveauté, dans la production de Rigoletto au Théâtre du Capitole en ce mois de novembre 2015. Des décors inexistants avec la perspective récurrente, qui s’applique à tout et ne ressemble à rien. Je ne dirai pas grand chose de la mise en scène, rien de nouveau… les techniciens étaient tellement désabusés que le rideau de scène commençait à tomber des cintres avant même que les dernières notes ne soient chantées. J’exagère, mais si peu.
 Et les voix me direz-vous ? Hé bien, elles étaient à l’avenant : malgré un Rigoletto solide dans son registre, il était aussi trop solide, en fait, de par son physique, pas du tout difforme ni bossu, on se demandait tout du long pourquoi donc il se laissait faire et jouait le bouffon. Rien dans sa tenue ne justifiait cette absence de révolte. Trop grand, pas assez humble et donc pas assez convaincant. Sans réclamer l'outrance, là c'était vraiment tout dans l'imaginaire, certes bien partagé avec le public qui connaissait l'oeuvre. Mais ne mettre que dans les quelques minutes du début la fameuse coiffe de bouffon, c'est pas vraiment suffisant pour s'imprégner du personnage. Gilda aurait pu faire l’affaire mais sa voix tient plus du registre de Leonora dans le Trouvère que de la fragile et jeune Gilda. Elle aussi était donc un peu décalée et pas complètement aussi fraîche et légère dans les aigus qu’on aurait pu le souhaiter. Quant au Duc, on comprend sans peine, en l’entendant, que les femmes deviennent volages… Bien campé, physique avantageux, il aurait pu être un duc de première si la voix avait été assez solide pour attirer tous les suffrages. Cela n’était pas le cas non plus, et deux voix de solistes trop faibles sur trois, c’était trop. Les trois personnages principaux sont omniprésents. Il faut donc qu’ils assurent ; ce n’était hélas pas vraiment le cas. Les seconds rôles par contre ont bien tenu leur partie.
 Finalement, de tout cela c’est la musique de Verdi qui s’en sort, toujours aussi belle, éclatante et bien servie par un orchestre présent. Les chœurs d’hommes étaient également à la hauteur malgré une gestuelle et un placement un peu hésitants (on les comprend). Le début du 3ème acte, toujours somptueux, a été l’un des moments les plus émouvants. Par la musique uniquement, car le visuel était toujours aussi fade malgré les éclairs format flash de polaroïd. De manière générale, les voix n’étaient pas mises en valeur par cette mise en scène aussi pauvre. Bon, c’est vrai, la production date de 1992, pas fraîche donc….
Il faudrait toujours se renseigner sur les dates de création des productions annoncées en début de saison. Mais comme il faut réserver quasiment un an à l’avance pour avoir une chance d’avoir une place à peu près correcte (je ne parlerai pas du tarif ni du confort, de peur d’en faire trop pour cette fois), on achète un peu à l’aveugle et on reste prisonnier de la programmation, pas toujours novatrice et riche.
Allons ! la musique est belle, qu’importe le reste… !

mercredi 25 novembre 2015

Sol y Sombra


Ce matin, soleil éclatant, chaleur, je suis montée…
… En haut des marches du vieil escalier de pierre, sur le rebord duquel poussent d’étranges plantes, des végétations touffues et tordues, comme des cheveux de femme. Ces cheveux que j’ai perdus, ces touffes que mon bonnet ne cache plus.
C’était le bonheur avant, et je ne le savais pas. C’est toujours quand on a perdu quelque chose que l’on s’aperçoit de sa présence, vivante et chaude. Le bonheur peut s’éparpiller en petits instants de joie comme celui-ci, qu’importe : soleil éclatant, chaleur. C’est suffisant pour ce matin et je me gorge de ce tout petit bonheur là.
Après tout, l’avantage, c’est que je n’achète plus de shampooing. D’ailleurs je ne savais jamais lequel prendre, le choix était beaucoup trop important, dans la vie on a besoin de rien. Pas d’autant en tout cas. Je glisse mon peigne en corne dans ma poche. Je ne l’ai pas jeté, même s’il ne sert à rien. C’est un bel objet et je l’aime quand même, mon ancien compagnon de bataille chaque matin.
Un nuage calme cache soudainement le soleil éclatant. Plus de chaleur. Un bref instant, j’ai froid déjà. Il ne faut pas penser. Alors je rêve aux trois brins de muguet qu’on m’a apporté au retour du marché. Ce 1er mai est un peu spécial, je le sais bien. Ce ne sera pas le train-train quotidien ; je le veux pour moi car il n’y en aura pas d’autre. Cette journée est à moi et je la veux tout entière et spéciale jusqu’à la nuit tombée. Tant qu’il fera jour, je resterai vivante et sensible à ce qui m’entoure, simplement. Le chat Pantoufle vient se frotter contre mes jambes maigres. Je souris vaguement, béatement et ne veux penser à rien, qu’au soleil, éclatant et à la chaleur en dedans.

A ma mère, sur son escalier de pierre. 
A tous ceux qui ont le courage de lutter.

dimanche 8 novembre 2015

Qu'est-ce qu'une nuit ?


Sombre pénombre, royaume des ombres
Nuits opaques et deuils luisants
Vêtements noirs aux fils d’argent

Sombre pénombre, royaume des ombres
Ecorces fuligineuses des troncs coupés
Qui ruissellent  et crissent sous les pieds

Sombre pénombre, royaume des ombres
Forêts éparses, froides et livides
Poupées paniquées qui hurlent dans le vide

Sombre pénombre, royaume des ombres
Le diable rit, c’est son anniversaire
Chaque nuit blafarde sur cette terre

lundi 26 octobre 2015

La nuit n'est jamais complète et il y a toujours...


 

...Une enfant quelque part qui fait le pitre dans la lumière bleutée au lieu de s’endormir tranquillement à la nuit tombée. Elle se lève, tourne et virevolte, cherche quoi faire, descend à la cuisine chercher un ustensile et s’amuse avec. Elle le met en équilibre sur sa tête et fait des cabrioles. L’ustensile tombe, patatras, un bruit épouvantable cascade dans l’escalier, la petite se fige et attend que tout soit retombé dans le noir de la nuit. Rien ne bouge, pas même les rideaux sur la fenêtre entrouverte malgré l’hiver. Alors elle remonte dans sa chambre, lentement, en ayant presque peur de son ombre qui danse sur le mur et de son pas qui fait grincer les marches de l’escalier, qui paraît vivant.



 Plus tard, dans les couloirs de l’internat du collège, l’enfant grandie trop vite aura du mal à surmonter sa peur des lumières nocturnes qui à leur tour viendront danser sur le mur du dortoir où elle est priée de ne pas faire de bruit. Et malgré la présence des autres filles, malgré la lumière jaune et chaude qui filtre sous la porte de la surveillante, l’enfant se lèvera chaque fois, enfilera son anorak et très doucement, sur la pointe des pieds, ira regarder la neige tomber, flocons luminescents derrière la vitre du couloir. Cette lumière-là est la plus belle, elle ne l’oubliera jamais.




Cette lumière-là, blanche dans la nuit noire, n’a rien à voir avec l’éclat cru et resplendissant du soleil, qui tombe tout droit sur les peaux blafardes, rosées d’abord, puis rougeoyantes, des juillettistes affalés. L’enfant se garde de rester sous cette lumière aveuglante. Elle préfère l’ombre du parasol, qui bouge, qui danse et virevolte au gré du vent, comme elle quand elle était petite. Elle sait jouer avec, pendant des heures, elle en oublie les vagues qui dansent elles aussi.


Les garçons aussi aiment jouer. Mais dans l’ombre et avec les filles. L’enfant ne sait pas qu’il ne faut pas les suivre dans les encoignures de portes, dans les ruelles obscures où nul lampadaire ne s’amuse à faire danser leurs ombres, 4 ombres simultanées, dans le rond de la lumière jaune. Elle ne sait pas ce qu’elle perd en acceptant cette nuit étroite, où seul le garçon l’entraîne par la main, viens, allez viens, n’aie pas peur, je suis là. Mais elle, ce qu’elle aime, c’est voir danser des ombres fugaces sur son visage et dans ses yeux effarés. Ils ont tous les deux peur, car aucun d’eux ne sait où ils vont aller.


La rue est déserte. La nuit est silencieuse. La ville est endormie. Les maisons sont éteintes. Seule la fenêtre de la maison où l’enfant habite est éclairée et jette une lueur mordorée sur les pavés déserts. L’enfant, qui n’en est plus une, sauf les nuits de ses insomnies,  regarde l’aube se lever. Elle attend la neige, qui va commencer à tomber. Ses souvenirs d’enfance remontent à la surface, la font pleurer, sans tristesse ni nostalgie ; puisque c’est toujours la même magie, vingt ans après.





Paragraphes construits d’après photos réalisées par des lauréats du Festival Manifesto – Toulouse 2015 : 1/ Karolin Klüppel – 2/ Heiko Tiemann – 3/ Sandra Mehl – 4/ Bérangère Fromont – 5/ Zacharie Gaudrillot-Roy. Merci à ces artistes de nous avoir prêté, le temps d’un tour de table, leurs photos choisies.

mardi 20 octobre 2015

Festival du polar ou comment se débarrasser du cadavre


Dans les Pouilles, au sud de l’Italie, au fond de la botte, il fait très sec. La mer n’est jamais bien loin mais reste inaccessible à cause des falaises, à pic. Et puis, lorsqu’on fait partie d’une équipe aussi prestigieuse que celle du Professore Ragalitte, archéologue en chef et sommité mondiale, on n’a pas le loisir d’aller se rafraîchir dans les vagues. On ne fait que travailler, travailler, du matin au soir : piqueter, passer la balayette, le plumeau, le pinceau, étiqueter, manipuler avec précaution et respirer la poussière à plein nez. Sans aucune reconnaissance pour le travail accompli, même après nos découvertes qu'il s'est empressé de s'attribuer devant les caméras de télévision. 
On en a eu tellement marre du Signore Ragalitte et de ses exigences, qu’on lui a planté la broche de la princesse mérovingienne trouvée la veille, en plein cœur, pendant son sommeil. Comme on était tous hébergés dans un couvent des Carmélites situé à côté, le problème du cadavre ne s’est pas posé tout de suite : il y faisait en effet très frais. Et si la Mère supérieure aurait pu s’inquiéter, elle était trop paresseuse pour insister devant nos rassurantes paroles, qui la tranquillisaient :
-       Il signore Ragalitte sta molto fatigué, il travaille sur des parchemins segreti, il ne faut pas le déranger. Va tutto bene.
Au bout d’une semaine, quand même, ça commençait à puer la momie putréfiée. Et les fouilles devaient se prolonger tout au long de l’été ! Alors on a eu l’idée : notre jeune princesse mérovingienne allait bien nous aider. La pauvre, enterrée toute seule dans ce tombeau, pour l’éternité ! Il était juste et équitable de lui donner un compagnon dans la mort, celui qu’elle n’avait pas eu le temps d’avoir dans sa courte vie.
Chacun s’est acquitté de sa tâche selon ses compétences, comme on fait dans une bonne équipe : Jérémiah s’est occupé du scalp. En tant que descendant direct d’une tribu apache, c’était rassurant. Joseph, notre charpentier, a construit le squelette d'un vrai faux sarcophage qu’Isaac a décoré de verroteries brillantes et mordorées. Et Caïn, notre cuisinier, s’est chargé d’écorcher ce Ragalitte déjà un peu décomposé. Les rats de la crypte du couvent des Carmélites ont apprécié ces restes, moins sanguinolents qu’on aurait pu le croire. Huit petits jours avaient suffi pour assécher notre squelette princier. On l’a donc déposé délicatement dans son cercueil antique fraîchement raboté et puis on a tous fait semblant de s’extasier lorsqu’en creusant, l’apprenti l’a trouvé. Quel beau couple ils faisaient, il Signore Ragalitte et notre princesse ! Qui n’en croyait pas ses yeux exorbités : un prince italien allait l’accompagner dans son tour du monde déjà programmé ! Ils allaient affronter le regard émerveillé des touristes niais, ensemble et à jamais !

mercredi 7 octobre 2015

Lettre à...


Sans le savoir, vous avez imprégné ma vie entière. Sans le vouloir, j’ai suivi vos traces. Vos écrits que j’ai pourtant lus tardivement, me sont familiers. Ma vie ressemble à la vôtre, 50 ans plus tard. Etiez-vous en avance, serais-je en retard ? Elle y ressemble exactement. Cette sœur jumelle qui vous a échappé, c’est moi. Et vous ne le saurez jamais. Je ressens ce que vous écrivez et vos écrits reflètent ce que je suis. Vous et moi tout à la fois. Tellement semblables, et n’ayant cependant rien en commun. Vous étiez une autre moi-même, libre amoureuse, étincelle vitale. Vous avez métamorphosé ceux qui vous ont croisés, vous continuez à vivre aujourd’hui pour celles qui ignorent tout de votre combat. Je ne peux me détacher de ce que vous étiez, je me reconnais à chaque mot, à chaque page. Ma mère, ma sœur, mon amie tout à la fois. Combien sont-elles, éparpillées à travers le  monde, qui me, qui vous ressemblent, sans jamais se rassembler ?


mercredi 30 septembre 2015

Au conditionnel



Si je savais écrire, j’obtiendrais sans nul doute le prix Goncourt
Si j’avais un verre d’eau, j’aurais la possibilité d’étancher ta soif
Si on me donnait une motte de beurre, je ne saurais qu’en faire car je n’ai pas inventé le fil
Si j’avais trois mains, il m’en faudrait sûrement une quatrième
Si les plumes s’envolaient, si la neige fondait, si les regards se perdaient, ça voudrait dire qu’on est tous deux sous l’édredon, face à la cheminée, entrain de s’aimer
Si je marchais toujours tout droit devant moi, j’arriverais sûrement à Rome, ma foi
Si je mangeais trop de pommes de terre, non, ça ne pourrait pas arriver, car je n’en serai jamais rassasié !
Si je sortais par la porte, tu ne me reverrais plus jamais
Si j’avalais un sabre, son propriétaire de Cosaque viendrait sûrement me le réclamer
Si j’avais une poignée de clous, il me manquerait quand même un marteau
Si je partais sans me retourner, je ne t’oublierais quand même jamais.


Avec l’aide de JeanTarDieu et du Moulin à paroles 

mardi 22 septembre 2015

Ressac - monologue intérieur


Toutefois, certaines méduses peuvent aussi bourgeonner d’autres méduses sur le rebord de l’ombrelle.
Jacques Ruffié « le sexe et la mort »

"Moi j’aime pas la mer, on devient méduse rien qu’en la regardant. Cette espèce d’hypnose qui nous prend quand on s’assoit sur le sable pour écouter ce sempiternel ressac. Ressac et sac de sable, on s’englue, le sable colle aux fesses, y en a jusque dans les plis du drap pourtant secoué chaque matin.
La poésie des vagues me donne le mal de mer, les cargos et leurs cheminées me rendent nauséeuse, je ne vois que pillages et naufrages dans les histoires de pirates et ceux qui partent à la rame me font pitié. La mer qu’on voit danser le long des golfes clairs me fait salement penser aux pourritures charriées, aux milliers de poissons qui se mangent les uns les autres, sans jamais s’aimer. Vive la pisciculture. L’océan est rageur, la méditerranée poussive.
Y en a qui aiment ça, la mer et les bateaux. Ils passent même leur vie dessus. Mais entre le désastre du grand Titanic, la bataille du Jutland et ses milliers de noyés, les boat people oubliés et les corps de migrants rejetés, la mer, moi, elle me débecte.
Je préfère l’eau bleutée des piscines plastifiées, calme et limpide. Ou encore mieux, un aquarium de salon, avec des fausses amphores et des petits cailloux colorés. Pas de vagues, pas de danger. Ah, Zut ! Un de mes poissons clown a encore crevé".

mercredi 16 septembre 2015

Empathie, quand tu nous tiens



Souvenir – Quand j’ai rendu mon questionnaire rempli et que le formateur a fait ses calculs, je l’ai vu froncer les sourcils, me regarder et recalculer. A la fin, sans un mot, il m’a tendu les résultats. Puis m’a proposé de chercher autre chose qu’un boulot d’infirmière. Empathie = zéro a t-il annoncé. J’ai des places pour huissier de justice, la formation commence demain, vous avez toutes vos chances.

Proverbe – Tant va Jésus vers son prochain qu’à la fin il s’empathe.
Proverbe – L’empathie ne corrige pas la myopie.
Projet – J’aurais pu bien entendu décider de m’inscrire en tant que bénévole au Restos du Cœur. J’avais de quoi, en tant que responsable d’un groupe de la grande distribution, de quoi proposer des améliorations. Moi aussi je peux avoir des idées plus ou moins charitables, même si, comme les produits frais entassés dans les rayons, leur durée d’utilisation optimale est assez limitée. Mon idée n’a duré que le temps d’y penser et je me suis vite remis à calculer la marge des yaourts sans lait, la dernière nouveauté du rayon frais.




atelier d'écriture du 15/09/2015 - Le moulin à paroles.

dimanche 23 août 2015

un street art énergique ?


J’aime beaucoup l’Espace EDF Bazacle. Ouvert sur le fleuve, riche d’une terrasse d’où l’on peut passer des heures à rêver en mirant la mini chute de la Garonne devant les briques rouges de l’Hôtel Dieu, La Grave et le Dôme, majestueux. Les oiseaux s’y amusent et les photographes ne s’en lassent pas. Certainement une des plus belles vues de Toulouse.
En plus de ce site naturel, l’Espace offre gratuitement au public sa légendaire passe à poissons et des expositions variées, de près ou de loin en rapport avec l’énergie, la fée électricité, en plus de ses expositions permanentes sur la (nécessaire) puissance des kilowatts.
Cet été, le street art, art de la rue, graffing, était à l’honneur. Bonne idée, gâchée par la thématique imposée : l'Energie dans la ville. Je n’y connais pas grand-chose en art de la rue mais quand la rue est ainsi canalisée, ça peut pas donner que du bon. Et puis un art de la rue sponsorisé par une grosse puissance industrielle, ça peut pas faire bon ménage. L’énergie urbaine, électrique, ça va un peu mais l’originalité des graffeurs, elle se trouve dans leur liberté de ton et de dessin, dans leur pouvoir de suggestion, de rêve, d’opposition à leur libre circulation. Drôle d’idée, quoi. J’ai quand même bien aimé le graf d’EKZ, le seul qui a osé se démarquer du lot et marquer sa liberté (comme dans l'exemple ci-dessous). 
 A suivre, d’autant que l’époque est à la contestation des faux paradis, fabriqués et imbéciles. L’Angleterre, pays de tous les contrastes, en abrite un de plus, depuis quelques jours : le Dismaland, inspiré par Banksy, autre artiste provocateur. Bon vent à ceux-là.

mercredi 19 août 2015

Chez Iyannis {Xania, Crète, Grèce}


Je me suis pourtant levé tôt pour travailler. Je dois rendre coûte que coûte ce fichu mémoire le 3 septembre, il me reste 1 mois et j’ai l’impression de ne pas avancer. Ca fait deux mois que je suis rentré à Xania, après avoir, une dernière fois, rendu visite aux palais de Cnossos, Festos et Gortyne, pour m‘imprégner de ce que peuvent encore restituer ces vielles pierres poussiéreuses. Seule l’imagination d’un Evans, ou d’un archéologue amateur doux et rêveur comme moi, peut parvenir à reconstituer ces puzzles de ruines. Alors je suis parti chez mon père, à Xania, pour me plonger dans les bouquins et écrire ce mémoire de fin d’études : l’économie dans la civilisation minoenne, un exemple d’équilibre entre l’urbain et le rural, 1500 ans avant Jésus-Christ.
Parfois je me dis que Skafidakis, mon prof à l’université d’Héraklion, m’a joué un sale tour en acceptant ce sujet de mémoire. C’était il y a deux ans, mais la Grèce était en pleine dépression économique, déjà. Et aujourd’hui, c’est plutôt une répression économique, après cet élan populaire du mois de mai, qui a porté un gouvernement de gauche, de vraie gauche, au pouvoir. Pour l’instant, rien n’a l’air d’avoir bougé, surtout dans les îles où le tourisme bat son plein. Dans le restaurant tenu par mon père Iyannis, qui est cuisinier depuis toujours, les prix sur le menu n’ont pas changé mais pourtant, les produits frais sont tous beaucoup plus chers. Il laisse passer la saison, on verra demain. C’est ce que dit la majorité des Grecs aujourd’hui. Mais septembre risque d’être un demain compliqué. Pour moi aussi, si je ne réussis pas à terminer ce fichu mémoire. Je préfère ne pas penser à après-demain, à ce diplôme dont je ne saurai que faire si je le décroche.  Il n’est pas possible d’être un économiste en Grèce. Prof à la rigueur, mais on n’aura jamais droit à la parole et encore moins l’écoute, dans les colloques ou conférences de niveau international. L’économie ne fait pas bon ménage avec la Grèce, aujourd’hui. Pourtant, il y a des milliers d’années, ce pays était prospère et la Crète était bien verte, au lieu d’être ce caillou gris et sec qu’elle est aujourd’hui. Je l’aime comme elle est, bien sûr. Je ne l’ai pas connue autrement, sauf dans les rares écrits qu’il nous reste à déchiffrer. La seule chose que l’ont n’ait pas perdu malgré les aléas, les tourments, les guerres et les invasions,  c’est la parole du peuple, qui clame haut et fort ce qu’il veut. Même s’il échoue, au moins le despote, tyran ou troïka, dictateur ou créancier, qui prend la place, sait d’avance qu’il ne sera pas aimé mais craint. C’est le sort des despotes me direz-vous et ils s’en moquent bien, en général. Surtout en généraux.
 Parfois je me dis au diable l’économie, prends un petit bateau et va admirer, le long des rochers de la côte sud, les milliers de poissons mordorés qui n’ont peur de rien, tu auras peut-être la chance de voir Dame Tortue sortir lentement de sa caverne grise et glisser silencieusement sur le fond sableux. Non, pas avant d’avoir fini d’écrire, pas avant d’avoir envoyé ce pavé à Skafidakis ; j’entends mon père raconter au voisin que des touristes français, hier soir, lui ont demandé du watermelon, comme dessert, de la pastèque ! La pastèque est bien moins produite en Crète que l’olive, mais ne vaut pratiquement rien, même pas son poids. Des milliers de pastèques transitent chaque jour de l’été entre les fermes isolées et les centres urbains. Elles s’entassent dans les remorques, les bennes, les malles – parfois sous les sabots des chèvres – et parcourent des kilomètres, juste pour rafraîchir le gosier asséché des touristes. Ce n’est pas économiquement viable bien sûr. Mais on vit comme ça ici, et mon père a donc servi des tranches fraîches de pastèque à tous ses clients du soir, gratuitement et en rigolant.
Quand j’aurai fini, quand j’aurai enfin soutenu ce mémoire de malheur et qu’il faudra bien faire quelque chose, j’aurai le choix entre partir d’ici pour aller gagner ma vie ailleurs, faire partie de cette diaspora grecque qui envoie de l’argent frais, comme des pastèques, au reste de la famille, ou rester ici et « me la couler douce ». C’est à dire vivre chichement mais sans stress, sans envie mais avec peu d’argent. Travailler beaucoup pendant la saison touristique, sans horaires, sans nuit ni jour. Et jouir du calme le reste de l’année. Le peu de mois que j’ai passé dans le reste de l’Europe m’a fait comprendre déjà que je ne pourrais me passer trop longtemps de cette lumière bleue, de ces reflets argentés, de l’odeur de la mer, jamais éloignée de plus de quelques kilomètres à peine. Je n’ai pas envie d’accumuler des richesses, des objets, même technologiquement impeccables, qui au lieu de me libérer ne font que m’asservir encore plus aux géants financiers. Je préfère découper une pastèque et l’offrir généreusement, sans arrière-pensée, sans cupidité. La vie, simplement. Loin de l’économie, loin de la politique. 
Je me mets à rêver. A rêver d’une Ariane moderne qui grâce à son fil magique, ferait sortir la Grèce du labyrinthe infernal où elle se retrouve aujourd’hui. A ramer à contre courant de ses idées, de ses volontés, de ses espoirs en une autre manière de voir la vie. C’est de l’utopie ? Sauf si la Grèce se relève. Sauf si elle réussit ce tour de force de se relever malgré les autres. Sauf si l’Europe se rend compte qu’elle part dans le mauvais sens et qu’elle change de cap. On peut rêver.


PHOTO LOUISA GOULIAMAKI/AFP

lundi 10 août 2015

la clairvoyance de Salman Rushdie


N'ayant rien à ajouter de plus à tout ce que dit Salman Rushdie dans l'excellente interview publiée par l'Express le 22 juillet 2015, je lui laisse la parole
J'aimerais juste que d'autres voix intellectuelles et politiques disent la même chose
Merci aux journalistes qui vont chercher ces paroles précieuses
Quand en plus, ceux qui savent trouver les paroles vraies écrivent des mots enchantés... chapeau bas !




mardi 7 juillet 2015

Marathon des mots édition 2015



Oyez oyez, individus désireux de se faire entendre au son de quelques acrostiches, assurément mal perçus et noyés dans la torpeur caniculaire de ce début d'été. J'ai quand même osé prendre d'assaut quelques secondes le micro, devinez lequel de ces quatre a été sonorisé au milieu du parterre d'auditeurs parsemés au milieu du jardin du Donjon, ce vendredi 26 juin ?


#1
Ah vous dirais-je mon tourment,
Maman
Il doit ressembler au vôtre, celui
D’il y a quelques temps lorsqu’
Un jeune garçon s’est rapproché de
Vous
En essayant de vous dire
Régine !
Belle de mes jours
Embrassez-moi…

#2
Acrostiches et anagrammes
Mémos ou mémoires en huit tomes
Insertions et instagram
Documents et dédicaces
Ustensiles d’écriture et usures de gomme
Vœux sur word
Epistoles ou épigrammes
Réécritures et ratures
Bavures d’encre bleue
Enfin, écrivez !  Comme vous voulez

#3
Assurément, il n’y avait rien à redire
Mon père était vraiment un fieffé coquin
Instable et inutile à la société
Donc l’avocat de la défense
Un petit boutonneux engoncé dans sa robe
Voyant qu’il ne tirerait aucune gloire
En défendant ce rustre, préféra se
Retirer et laisser tomber
Bong fit la tête de mon père dans le panier
En tombant. Voilà pourquoi je ne suis pas née.

#4
Amis, je suis vraiment confus de mon étourderie
Du haut de la Tour Eiffel, j’ai laissé choir quelques mots et un seul pro-
Verbe, las ! Ce n’était pas le bon pour un marathon : rien ne sert de courir il faut partir à point

merci aux Amis du Verbe, toujours partants quoiqu'un peu en retard